Rimbaud, Cahiers de Douai.
« L'éclatante victoire de Sarrebrück »
Explication linéaire
L’étude porte sur le poème entier
Remportée aux cris de Vive l’Empereur !
(Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.)
Au milieu, l’Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s’en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, ? car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s’étourdit de grands noms
À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
De son chassepot sent frémir sa nuque en brosse,
Et : « Vive l’Empereur !! » — Son voisin reste coi…
Un schako surgit, comme un soleil noir… — Au centre,
Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »
Octobre 1870.
Introduction
Accroche
• 2 août 1870 : bataille de Sarrebrück entre la France et la Prusse. C’était la fin de la guerre un mois plus tard.
• Bataille gagnée par la France, mais sans intérêt stratégique.
• Propagande de chaque camp : défense obstinée côté prussien, victoire éclatante côté français.
• La presse Belge n’est pas dupe et se moque de cette bataille.
Situation
• Rimbaud comme Victor Hugo, déteste Napoléon III et le Second Empire.
• Il s’oppose vivement à la guerre de 1870 dans de nombreux poèmes dont « Le dormeur du Val ».
• Inspiré par une caricature de la presse Belge, il se saisit de l’occasion pour écrire un poème satirique.
• Titre ironique « L’éclatante victoire » pour une bataille qui a fait une vingtaine de morts, en majorité français.
• Tous les procédés tournent en dérision cette guerre et le pouvoir qui l’a déclarée.
Problématique
Comment ce poème, partant d’une caricature, renforce encore son caractère satirique pour dénoncer la propagande d’un empereur sur le point de perdre la guerre ?
Mouvements pour un commentaire linéaire
Le poème nous fait découvrir cette caricature en quatre étapes : jusqu’à la pointe finale humoristique.
1) « Au milieu » la figure de l’empereur, moqué parce qu’il s’enorgueillit d’une faible victoire.
2) « En bas » c’est-à-dire en-dessous, des soldats partagent une victoire qui n’a pourtant rien d’héroïque.
3) À droite, on perçoit une certaine réticence à crier victoire.
4) Au centre, révélée en dernier, la blague potache constitue la pointe du poème.
Axes de lecture pour un commentaire composé
I. Décrire une caricature
1) Renforcer la caricature
2) Décrire un dessin
3) Représenter des militaires
II. Renforcer l’intention satirique
1) Orienter l’interprétation
2) Ironie et fausse naïveté
3) Une satire politique
III. Déborder le dessin par la littérature
1) Restituer une narration
2) Parodie du registre épique
3) Mise en scène théâtralisée
Premier mouvement :
Une invitation à interpréter une caricature
Remportée aux cris de Vive l’Empereur ! (Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.)
Au milieu, l’Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s’en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, ? car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En quoi ce titre est-il ironique ?
• L’adjectif « éclatante » est exagéré pour une bataille mineure.
• Polysémie du mot « éclatant » : violence du terme.
• Le sous-titre insiste lourdement avec le point d’exclamation.
• La parenthèse prolonge encore ce sous-titre.
⇨ Intention : faire voler en éclat ce mensonge de la propagande.
Comment le sous-titre révèle-t-il une volonté politique ?
• Le discours rapporté « Vive l’Empereur ! » indique tout de suite qu’au-delà de la bataille, c’est le pouvoir qui est visé.
• Napoléon III est désigné par son titre, qui rappelle que son pouvoir s’est fondé sur un coup d’État.
• Le titre « Empereur » est répété dès le premier vers du sonnet.
• Le point de vue « belge » annonce un regard extérieur sur cette guerre franco-prussienne.
⇨ L’exagération est aussi celle d’une propagande caricaturale.
• Le terme « gravure » ne désigne pas forcément une caricature.
• L’adverbe « brillamment » poursuit l’hyperbole de « éclatante ».
• Le verbe pronominal « se vendre » semble annoncer une démarche séditieuse dont on ne dénonce pas les auteurs.
• La valeur même de la gravure « 35 centimes » revendique un genre artistique peu élevé.
⇨ Avant même de lire le premier quatrain, le lecteur connaît la volonté de caricature du poète.
Comment se traduit la description d’un dessin (Ekphrasis) ?
• Lien logique « Au milieu » : description d’une image.
• Préposition « dans » espace sur le papier.
• Couleurs « bleu … jaune … rose » rappellent l’adjectif « colorié ».
• L’adjectif « raide » esquisse une attitude.
• Le participe présent « flamboyant » : action représentée dans la durée : moment figé dans le temps.
• Connotations de l’adjectif « flamboyant » : il faut imaginer l’air orgueilleux, le panache de l’Empereur.
⇨ Le lecteur reconnaît les traits d’un dessin.
En quoi cette description dépasse le dessin ?
• Terme abstrait « une apothéose » : on peut se demander, comment cela est-il rendu dans le dessin ?
• Terme « apothéose » : divinisation d’un empereur romain, par extension, moment où la gloire atteint un sommet. Cela laisse deviner que la chute n’est pas loin.
⇨ Nécessité d’interpréter ce qu’on voit.
Présence du regard interprétatif ?
• Ponctuation révélatrice : le point-virgule annonce l’interprétation « très heureux » signalée avec un point
• Originalité : virgule suivie d’un point d’interrogation, interroge l’interprétation. C’est une modalisation (questionne l’énoncé).
• Lien logique de cause « car » nous fait entrer dans l’interprétation.
• La couleur « il voit tout en rose » comment est-ce représenté ?
⇨ Le poème insiste sur l’interprétation à charge.
Un regard critique jouant sur la caricature
• Cet empereur joue à la guerre comme un enfant « dada ».
• Rime signifiante, paronomase : « dada … papa ».
• Allitération en F en tête de vers « Flamboyant … Féroce ».
• Effet de contraste saisissant « Féroce … doux ».
• Parallélisme (même structure syntaxique) « comme » x2.
• Deux comparaisons « Zeus … papa ».
⇨ Le poète mêle des effets d’exagération et de contraste.
Deuxième mouvement :
L’attitude peu héroïque des artisans de la victoire.
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s’étourdit de grands noms
Représenter des soldats novices
• CC de lieu « en bas » on descend aussi dans la hiérarchie.
• Terme de l’argot militaire « Pioupiou » = nouvelles recrues.
• L’adjectif « bon » la bonne volonté remplace l’expérience !
• Paronomase « Pitou // Pioupiou » personnage stéréotypique.
⇨ On passe directement de l’empereur à la bleusaille.
Des soldats inactifs
• La diérèse sur « sieste » allonge le mot.
• Cliché des jeunes soldats qui s’ennuient après la bataille.
• L’imparfait « faisaient » l’action de dormir est interrompue.
• Le présent « se lèvent » le dessin représente donc des soldats encore à moitié endormis.
• L’adverbe « gentiment » ironise sur leur lenteur.
⇨ Scène qui n’a rien de féroce ni d’héroïque.
Comment le registre épique est-il désamorcé ?
• Présence des instruments militaires « tambours » et des armes les plus destructrices « canons ».
• Mais la préposition « près » n’indique qu’une proximité.
• Insistance sur les couleurs vives « doré … rouges ».
• Mais le chiasme crée une opposition « tambours … canons ».
• L’adjectif « rouge » antéposé insiste sur le symbole.
• Mais le « tambour doré » empêche toute personnification.
⇨ Volonté de démontrer une absence d’héroïsme.
Comment la victoire est-elle déjà décrédibilisée ?
• Phrase courte qui complète le quatrain, se concentre sur le personnage de Pitou.
• Le rôle de « Chef » remplace le titre prestigieux (« Empereur »).
• Majuscule qui insiste ironiquement sur ce mot « Chef ».
• La voix pronominale « s’étourdit » est comique : il est le seul à écouter son propre discours.
• Le point d’exclamation insiste avec ironie.
⇨ L’effet comique prépare déjà la chute du poème.
Allusion cachée à la fin du sonnet
• Participe passé « tourné » insiste sur la conséquence présente de l’action de se tourner. Il nous tourne le dos.
• Pitou « remet sa veste » il est donc déjà à moitié déshabillé.
• Évolution des actions : « remet … s’étourdit ».
⇨ Le poème transforme le dessin en véritable narration.
Troisième mouvement :
La pointe du sonnet, blague potache
À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
De son chassepot sent frémir sa nuque en brosse,
Et : « Vive l’Empereur !! » — Son voisin reste coi…
Un schako surgit, comme un soleil noir… — Au centre,
Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »
Un premier personnage conquis par la propagande
• Personnage-type « Dumanet » : soldat fanfaron issu du théâtre (La Cocarde tricolore, vaudeville des Frères Cogniard, en 1831).
• Le « chassepot » fusil de l’époque, conçu par Antoine-Alphonse Chassepot en 1866.
• L’attitude n’est pas exemplaire : « appuyé sur la crosse » : fusil non pas au garde-à-vous mais au sol.
• Les cheveux sont « en brosse » : coiffure réglementaire !
• La brosse évoque le cheveu qui se dresse : émotion de voir l’empereur en personne !
⇨ Le soldat qui salue l’empereur est loin d’être un modèle.
Comment se manifeste l’opposition politique ?
• Deux hémistiches équilibrés.
• Le discours direct « Vive l’Empereur » brusque, sans verbe de parole, seulement introduit par la conjonction « Et ».
• Le double point d’exclamation marque l’ironie.
• Le tiret n’annonce pas un dialogue mais au contraire un silence éloquent « Son voisin reste coi… ».
• Points de suspension : la sédition est silencieuse
⇨ Ces effets préparent déjà la pointe du sonnet.
Comment la narration nous laisse-t-elle attendre une surprise ?
• Le verbe « surgir » est particulièrement dynamique, mettant le dessin en mouvement.
• Alors que tout est très coloré, voilà que « surgit » un chapeau militaire « noir » de couleur sombre.
• Association contradictoire « soleil noir » ironise sur la dimension poétique de ce moment trivial.
• Ce point noir est un « soleil » parce qu’il est particulièrement visible. Il se trouve véritablement « au centre » du dessin.
⇨ Souci de mettre en scène le dessin pratiquement comme une pièce de théâtre. Un nouveau personnage apparaît.
Quel est le rôle de ce nouveau personnage nommé « Boquillon » ?
• Ce mot « Boquillon » désigne en fait un bûcheron : ce n’est pas un militaire comme les autres.
• Les couleurs « rouge et bleu » comme s’il fallait rappeler qu’il porte lui aussi l’uniforme.
• L’adjectif est renforcé « très naïf » souvent chez Rimbaud, l’ironie est en fait de la fausse naïveté.
⇨ On trouve ici quelque sorte le porte-parole de Rimbaud.
Comment la pointe du sonnet est-elle mise en scène ?
• Les rimes plates en « -rosse » créent un moment d’attente.
• Importance des gestes, l’enjambement insiste sur le mouvement : « sur son ventre // se dresse ».
• Mais le participe présent « présentant » fige à nouveau le personnage dans l’attitude que lui prête le dessin.
⇨ Tout est fait pour mettre en valeur le geste.
En quoi cette pointe de sonnet est plus sophistiquée qu’il n’y paraît ?
• Les quatre derniers vers forment une rime embrassée particulièrement riche et rare « equoi ».
• Les deux discours rapportés directs s’opposent et se complètent : « Vive l’Empereur !! » en début de vers. « De quoi ?... » en fin de vers.
• Mais la dernière réplique rime surtout avec la fameuse réticence à saluer l’empereur « coi ».
⇨ La dernière réplique est une réponse à Dumanet.
En quoi cette blague potache est porteuse de sens ?
• Analyser la blague a quelque chose de décevant, mais cela reste intéressant d’un point de vue littéraire !
• La question de Boquillon ajoute un complément du nom « Empereur de quoi ? ».
• Question ouverte et rhétorique (on n’attend pas de réponse).
• Ce qu’il montre répond à la question : Empereur de mes fesses.
⇨ Sous-entendu : « il dirige mes fesses, mais je reste libre de mes pensées ».
Conclusion
Bilan
• Ce poème est d’abord une ekphrasis : la représentation d’un dessin, et en l’occurrence, d’une caricature. Ainsi, tout est fait pour forcer l’intention satirique. La fausse naïveté permettant de créer des effets d’ironie cinglants.
• À la dimension figée du dessin, Rimbaud ajoute une intention narrative, une mise en scène pratiquement théâtrale, qui met en valeur la chute finale du sonnet.
• Rimbaud revendique un genre peu élevé, un humour potache un brin provocateur, mais cette fausse simplicité cache une charge satirique très forte.
Ouverture
• En 1954 à la fin de la guerre d’Indochine, ce n’est pas à un Empereur, mais au président que Boris Vian s’adresse, pour clamer son horreur de la guerre.
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter Boris Vian, « Le déserteur », 1954.
Autre ouverture possible
• Louis-Ferdinand Céline, dans Voyage au bout de la nuit se moque aussi de la propagande de guerre.
Depuis mon enrôlement de la place Clichy, j’étais devenu devant tout héroïsme verbal ou réel, phobiquement rébarbatif. J’étais guéri, bien guéri. Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.
Wilhelm Camphausen, Bismarck et Napoléon III à Donchéry, le 2 septembre 1870.
► Pour un prix libre, vous accédez à TOUT mon site, sans limites !
► Le système de paiement est international et sécurisé à 100%.
► Vous pouvez vous désengager en un seul clic.
► Une question particulière ? Contactez-moi par email : mediaclasse.fr@gmail.com