Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !
Octobre 1870.
Introduction
Accroche / amorce
En mai 1870, Rimbaud a encore 15 ans, il a décidé de devenir poète, et il envoie une lettre à Théodore de Banville, le grand poète parnassien :
Nous sommes aux mois d’amour ; j’ai presque dix-sept ans, l’âge des espérances et des chimères, comme on dit. — et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, — pardon si c’est banal, — à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes. Arthur Rimbaud, Lettre Théodore de Banville, 24 mai 1870.
Mais déjà, on perçoit une certaine auto-dérision : c'est banal, ce sont des chimères. Trois mois plus tard, il fugue, et il expérimente une vie de bohème, qui est surtout une vie d'errance et de dénuement. Mais cela va complètement changer sa manière d'écrire : il mûrit une méthode inouïe qu'il présentera à son professeur de rhétorique, Georges Izambard :
Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Arthur Rimbaud, Lettre à Georges Izambard, 13 mai 1871.
Situation
« Ma Bohème » se trouve justement à la charnière de ces deux époques, à un moment où Rimbaud se détache de ses premières admirations et commence à élaborer cette méthode : vous allez voir que toute sa poétique en est bouleversée.
Problématique
Comment Rimbaud affirme-t-il dans sa bohème une volonté de renouveler la poésie à travers une errance qui tend déjà vers un dérèglement de tous les sens ?
Axes pour un commentaire composé
> Le dénuement de la vie de bohème
> Une poésie de l'errance
> Une confrontation entre le rêve et la réalité
> Une ironie et une distance critique à l'égard des anciennes formes de poésie.
> L'accès de la poésie à un au-delà de l'humain.
> Les prémisses d'un dérèglement de tous les sens.
Premier mouvement :
Une regard attendri sur un pauvre poète
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
« Les poings dans mes poches crevées » : difficile d'être plus pauvre ! D'abord, les poings sont forcément des mains vides. Ensuite, les poches crevées perdent ce qu'elles contiennent. Et pourtant, le poète multiplie les pronoms possessifs, que l'on trouve d'ailleurs dès dans le titre du poème : quelque chose de plus important dépasse cette misère physique.
Un « paletot », c'est un manteau qui descend jusqu'à mi-cuisse. Ici, il devient « Idéal ». Avec humour, Rimbaud fait référence à la philosophie de Platon pour qui le monde des idées domine le monde réel des formes. Cette misère matérielle permet peut-être justement d'atteindre d'autres sphères plus élevées.
Les poings ont une certaine connotation : on a les poings serrés par révolte, ou à cause du froid… Justement quand on n'a plus rien à perdre. Dans le même sens, l'adjectif crevées semble transformer les poches en animaux morts, peut-être des peaux de bête. Manifestement, le poète est métamorphosé par ce dénuement qui lui donne une certaine proximité avec la mort et la Nature, c'est-à -dire, un univers hors de l'humain.
On va rester prudents, mais il me semble que cette image des mains raidies par le froid et la révolte ; et pour ainsi dire, plongées dans l'au-delà, contient déjà en germe la méthode poétique à venir du jeune poète :
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Démeny, 15 mai 1871.
Le mot « paletot » est particulièrement intéressant : on entend « pâle » et « tôt » des mots qui s'appliquent bien au voyageur fatigué par une journée de marche. Le poète est à l'image de son manteau : crevé, mais proche de l'idéal. Chez Rimbaud, la figure de l'hypallage est généralisée : les adjectifs peuvent qualifier d'autres noms ou pronoms qui se trouvent à proximité.
À quoi renvoie cet adverbe « aussi » ? Le paletot est idéal, exactement comme la beauté recherchée par les romantiques et les parnassiens. Rimbaud se moque d'eux, il leur dit : regardez votre beauté, ce n'est que du vent ! Et en même temps, il est très sérieux : la quête de beauté est déchirante, ce manteau en est la preuve !
Le verbe « aller » revient deux fois, mais il est utilisé de deux manières très différentes : « s'en aller » c'est partir ou fuir... Alors que « aller sous le ciel » c'est vraiment une marche sans but, c'est-à-dire, une errance. Le complément de lieu « sous le ciel » ne désigne pas une direction ou une destination : c'est le lieu même de l'errance.
Dans la littérature, on trouve le motif bien connu du chevalier errant, qui plaît beaucoup aux romantiques. C’est exactement ce que Rimbaud suggère avec le mot « féal » il se voit comme un chevalier qui a prêté allégeance, et pas à n'importe qui en plus : la Muse, avec une majuscule, apostrophée à la deuxième personne ! Rimbaud développe ironiquement des clichés romantiques.
Et ce n'est pas fini : les exclamations avec les interjections « Oh ! là là ! », la force de l'adjectif « splendide », le féminin pluriel pour les amours, qui renvoie à l'amour courtois... Rimbaud en fait trop pour ne pas être ironique. Il n'a même pas 17 ans, mais il se moque déjà de son propre bovarysme, vous savez l'héroïne de Flaubert qui, du fond de sa province ennuyeuse, rêve d'amours romantiques, c'est la même ironie, à la fois tendre et grinçante.
Si on revient sur l'un des premiers poèmes de Rimbaud, on ne trouve pas du tout cette distance critique, écoutez :
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme. Arthur Rimbaud, Poésies Complètes, « Sensation », 1895.
Quand il écrit ce poème, Rimbaud n'a que 15 ans, et il se projette dans le futur : « j'irai … je sentirai … je laisserai, etc. », le jeune poète se définit lui-même comme un rêveur. Il cultive une certaine naïveté.
Dans « Ma Bohème » au contraire, les verbes sont au passé « allais … devenait … étais ». L'imparfait signale des actions qui ont duré dans un passé révolu. Le « rêve » est devenu un passé composé (pour une action révolue dont on perçoit les conséquences au présent). Le rêve a disparu. En quelques mois, on voit apparaître une véritable distance critique : à peine plus âgé, Rimbaud se moque déjà gentiment de l'enfant qu'il a été.
La rime embrassée « crevées ... rêvées » est signifiante : le rêve s'oppose à cette réalité où les vêtements ne durent pas. Peut-être même qu'on peut entendre que le rêve a crevé, il s'est dégonflé, comme un ballon. C'est une caractéristique de la poésie de Rimbaud : même dans ses moments d'exaltation, il y a déjà les prémisses d'une lassitude, d'une impatience pour quelque chose d'autre.
Rimbaud joue avec les marques du lyrisme (l'expression d'émotions personnelles de façon musicale). Mais il en fait trop : la première personne est très présente, presque 2 par vers. Les allitérations (retour de sons consonnes) en L sont redoublées par les interjections. D'ailleurs on peut se demander si l'outil exclamatif porte sur l'adjectif splendide ou sur le pluriel : « combien d'amours ai-je rêvé ? » On s'éloigne de l'idéal amoureux unique et absolu des romantiques !
Deuxième mouvement :
Une évolution esthétique
Mon unique culotte avait un large trou.
— Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse ;
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
La culotte trouée est un signe de pauvreté, et pourtant, il égraine des rimes, comme des semailles : en quelque sorte, il déborde d'une créativité qui va peut-être germer et porter des fruits. Le trou, qui symbolise un manque, devient la source d'une richesse, comme une corne d'abondance.
Dans ce quatrain, les possessifs sont multipliés : ils s'éloignent de plus en plus, jusqu'aux étoiles. Mais en même temps, on passe du singulier au pluriel. Ce dernier possessif fait bien référence à l'expression "ma bonne étoile" : la chance vaut mieux que les richesses. Dans la mythologie latine, fortuna est justement la déesse de la chance, souvent représentée avec une corne d'abondance.
Le verbe « avoir » revient deux fois, mais que possède-t-il ? Un large trou, c'est-à-dire moins que rien. Ou alors, des étoiles avec un doux frou-frou, c'est-à-dire un simple bruit légèrement musical !
Mais à travers ce frou-frou, c'est la lumière des étoiles qui devient sonore, exactement comme les rimes qui deviennent solides comme des graines ou des cailloux. C'est une synesthésie : une confusion des perceptions. La création se nourrit de ce dérèglement des sens.
Avec le Petit-Poucet, Rimbaud fait référence au genre du conte de fées et à l'univers de l'enfance. Le rêve revient une deuxième fois, c'est un polyptote : la répétition d'un même mot sous des formes différentes. Rimbaud développe cet imaginaire enfantin, tout en insistant sur l'aspect révolu de l'imparfait : celui qui parle ainsi évoque avec nostalgie une époque passée.
La course du Petit-Poucet est imitée par les allitérations en R qui sont parsemées à travers le texte. Les enjambements (la phrase se poursuit d'un vers à l'autre) entraîne le lecteur dans cette « course des rimes » qu'on entend bien en lisant le texte à l'oral. La « course » c'est aussi implicitement la course du soleil : et en effet, cela annonce la tombée de la nuit avec l'apparition des étoiles.
La constellation de la Grande-Ourse devient comme le nom propre d'une auberge (on a souvent des composés de noms d'animaux, le lion-d'or, le chat-qui-fume, etc). On comprend bien sûr que le poète dort à la belle étoile.
En plus c'est la constellation de l'étoile polaire, celle qui guide le voyageur et les rois mages dans la bible. Cette étoile est en fait une planète, Vénus, c'est-à-dire, symboliquement, la déesse de la beauté.
Les deux noms propres composés sont en miroir et révèlent un effet de contraste : le Petit-Poucet a la plus grande auberge qui soit, comme s'il était lui-même absorbé par cette Nature sauvage et mystérieuse qui le dépasse. D'un point de vue allégorique, cette Grande-Ourse est comme une divinité qui protège le poète. On retrouve d'ailleurs le même motif dans le Dormeur du Val « Nature, berce-le chaudement, il a froid ».
Cette auberge animalisée n'a rien d'humain : la bohème de Rimbaud est dans la Nature, pas dans la ville. On s'éloigne de la bohème des romantiques, ou de la vie de dandy d'un Baudelaire dans le quartier latin.
« Mes étoiles au ciel » qui ont un « doux frou-frou », désignent bien les poètes qu'il aime à cette époque : les parnassiens, qui sont à ses yeux les héritiers des poètes de la Pléiade qui ont justement emprunté leur nom à une constellation de 7 étoiles.
J’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, — puisque le poète est un Parnassien, — épris de la beauté idéale ; c’est que j’aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète. Voilà pourquoi. — c’est bête, n’est-ce pas, mais enfin ? Arthur Rimbaud, Lettre à Théodore de Banville, 24 mai 1870.
Mais dans ce poème Rimbaud commence à se détacher, et il se moque doucement des parnassiens, de plusieurs manières. D'abord, ses rimes à lui, ce sont les cailloux du Petit-Poucet, des pierres sans valeur, mais qui permettent de retrouver son chemin. Alors que les parnassiens comparent leurs poèmes à des diamants ciselés, comme Théophile Gautier dans son célèbre recueil : « Émaux et Camées ».
Dans le même sens, le « doux frou-frou » des étoiles s'oppose au « large trou » de la culotte de Rimbaud. Sur une robe, les frou-frous symbolisent le luxe, le superflu, des accessoires décoratifs, attrayants mais inutiles. C'est exactement ce que Rimbaud reproche aux bijoux des parnassiens, ce n'est pas de l'art, c'est de l'ornementation.
Mais Rimbaud ne se moque pas seulement des parnassiens, il raille aussi les romantiques et leur lyrisme exagéré. Le « doux frou-frou » est musical, avec le son OU démultiplié, notamment dans les rimes. Ce n'est pas le « O » cercle parfait de l'idéal, c'est le OU de la plainte ou même de la huée. On devine bien que l'adjectif « doux » signifie en fait « fade » :
Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, — que sa paresse d’ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871.
Dans un autre poème, l'Oraison du Soir, Rimbaud raconte qu'il urine au clair de lune. Hé bien ici je me demande s'il n'y a pas un peu la même chose : Rimbaud se moque de ses propres poèmes d'enfance, naïfs, qui tombent par le trou de sa culotte : pas besoin d'aller chercher plus loin l'image scatologique ! Il a semé des rimes qui n'ont plus aucune valeur à ses yeux.
Troisième mouvement :
La véritable blessure du poète
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Traditionnellement, dans le sonnet, on trouve une volta (un moment de basculement entre les quatrains et les tercets). Ici, c'est surtout un moment de pause dans le poème. Chez Rimbaud, « assis » est souvent connoté négativement, c'est le bibliothécaire qu'il ne faut surtout pas déranger dans le poème « Les Assis » par exemple.
Cette image de la bibliothèque à ciel ouvert me semble intéressante : le poète est assis pour écouter les étoiles : symboliquement, pour consulter des livres. Il s'arrête aussi, parce qu'il est blessé au pied, peut-être à cause des cailloux de ses rimes. Pour Rimbaud, la poésie n'est pas lisse, elle est acerbe et douloureuse.
Le pluriel des routes insiste sur la répétition et la durée de l'imparfait. Si les étoiles écoutées sont des poètes, alors les routes représentent en quelque sorte l'Histoire Littéraire elle-même. Voilà pourquoi Rimbaud évoque cette étrange pause sur le bord des routes : il contemplait le cheminement des anciens poètes dans l'Histoire, avant de s'y engager lui-même.
« Ces bons soirs de septembre » c'est-à-dire, le mois des vendanges : Rimbaud évoque le moment où les rimes semées portent leurs fruits pour devenir un « vin de vigueur »... À travers tout un processus de fermentation, de distillation… Et en effet, le verbe écouter à l'imparfait dans le premier tercet devient très vite rimer au participe présent. La perception a permis la création.
Les pronoms « où » qui devraient reprendre un lieu, font en fait référence à ce « mois de septembre » : le cheminement est temporel, et les routes ont bien une dimension symbolique pour un parcours, une évolution. Le lecteur est emporté dans ce mouvement, à travers une longue phrase qui se prolonge sur les deux tercets, avec l'enjambement qui renvoie le complément du nom au vers suivant.
Le symbole se poursuit, car les étoiles tombent en gouttes de rosée : symboliquement, la poésie ancienne s'est liquéfiée au front du nouveau poète, comme une couronne de lauriers, une auréole étoilée, une couronne d'épines. On peut y voir une référence à la transsubstantiation de l'eau, en sang et en vin, ou encore, une opération alchimique : la boue crottée des vieilles étoiles se métamorphose en rosée, lumière liquide.
Cette rosée provoque plein de sensations : la couleur, le parfum des roses, la sensation froide de l’eau, le goût du vin, son écoulement représenté par les allitérations en V … Peut-être même aussi la douleur du stigmate qui donne au poète une dimension christique. La synesthésie a une dimension mystique : elle permet d'accéder à un monde inconnu.
Le mot « vigueur » contient le mot « vie » qu'on retrouve à un moment stratégique dans « Le Bateau ivre », où il désigne justement les richesses que le voyage apporte lorsqu'on atteint l'inconnu :
J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
— Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ? Arthur Rimbaud, Poésies Complètes, « Le Bateau ivre », 1895.
On trouve alors le poète « rimant au milieu des ombres fantastiques ». En littérature, le fantastique est caractérisé par la l'intrusion du surnaturel, c'est-à-dire, d'éléments qui sortent du monde réel tel que nous le connaissons. Pour paraphraser la lettre du voyant, le poète ramène de l’informe depuis un autre monde.
Chez Platon dans La République, la réalité n'est qu'une projection du monde des idées : il la compare à un jeu d'ombres sur la paroi d'une caverne. Rimbaud reprend et détourne cette célèbre allégorie de la caverne : pour lui, le monde des idées n'a rien d'harmonieux, c'est au contraire un monde sauvage et obscur.
La lyre noble du lyrisme est rapprochées des élastiques avec leur sonorité étrange, qui désignent les lacets des chaussures : le genre élevé est rabaissé au niveau des pieds. C'est typiquement le registre burlesque : traiter un sujet noble de manière triviale. Trivial, du latin trivium, le vulgaire, c'est ce que l'on trouve au croisement des chemins.
Rimbaud se moque de ce « lyrisme fantastique », qui prend alors le sens de « fantasque ». Pour Rimbaud, les poètes (romantiques notamment) mettent un peu trop l'accent sur la première personne. Or ici, regardez « comme des lyres, je […] » Rimbaud met une coupe après la 5e syllabe, alors que la césure se trouve à l'hémistiche ! De cette manière, l'accent est mis de façon désagréable sur la première personne.
Mais on peut aussi comprendre « des ombres fantastiques, comme des lyres » et alors l'instrument de musique devient comme un monstre, et le poète qui en joue serait comme un moderne Orphée qui apprivoise des animaux fabuleux. On peut penser bien sûr, à Orphée qui parvient à charmer Cerbère pour entrer aux Enfers.
La rime « fantastique … élastique » est particulièrement riche, mais un peu ridicule, on entend le verbe « astiquer » comme si c’était une activité ménagère, avec des connotations grivoises comme dans ces « livres érotiques sans orthographe » dont il parle dans Une Saison en Enfer. Tirer les élastiques, c’est aussi déshabiller une femme. Mais au lieu de délacer un corset, il enlève ses souliers blessés, on est loin d'une amour splendide rêvée par un poète romantique.
Dans l'expression « mes souliers blessés » c'est une métonymie (un glissement par proximité) : ce sont ses pieds qui sont blessés. Mais c'est aussi une hypallage qui contamine tout le poème : tout est blessé : le cœur, le poète, les poches crevées, la culotte trouée, les étoiles sont elles-même des trous, jusqu'aux gouttes de rosée qui s'approchent de gouttes de sang.
Traditionnellement, le sonnet se termine sur une pointe : un effet de surprise final. Mais ici, le dernier vers est particulièrement énigmatique : le « pied » est rapproché du « cœur » avec un effet de contraste très fort : le cœur, le siège des émotions, est aussi blessé que le pied par les cailloux de la route. Le rêve est fatalement blessé par la réalité.
Le pied, c'est aussi une unité de mesure : Rimbaud se trouve au bord du cœur… C'est-à-dire, pas directement dans l'expression lyrique de ses émotions, mais de façon toujours un peu décalée.
Enfin, le pied, c'est la syllabe latine, qui a un sens beaucoup plus musical dans cette langue qu'en français. De cette manière le rythme de la marche est assimilé au battement du cœur, c'est tout simplement la vie qu'il s'est choisi… Cette dernière interprétation est particulièrement étrange, quand on sait que Rimbaud mourra suite à son amputation de la jambe droite, à l'âge de 37 ans.
Conclusion
Bilan
Dans ce poème, le dénuement extrême de la vie de bohème permet d'accéder en fait à une grande richesse symbolique : l'errance correspond chez Rimbaud à une recherche constante, qui fonde une esthétique personnelle et originale, où le rêve se brise parfois contre la réalité.
Il renie alors les anciennes formes de poésie, se moquant du lyrisme romantique et des prétentions parnassiennes, pour chercher sa propre voie. Sa poésie et sa bohème sont finalement une seule et même chose : un dérèglement des sens qui permet d'atteindre un inconnu.
Ouverture
D’autres poètes comme Apollinaire ont ensuite également partagé ces visions d’un mois de septembre arrosé d’un vin de vigueur…
Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie
Et la nuit de septembre s’achevait lentement
Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait à peine. Apollinaire, Alcools,
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