Couverture pour Les Fleurs du Mal

Baudelaire, Les Fleurs du Mal
« Correspondances »
Explication linéaire



Notre Ă©tude porte sur le poĂšme entier



La Nature est un temple oĂč de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe Ă  travers des forĂȘts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs Ă©chos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.



Introduction



Les Correspondances : ce poĂšme est fondateur dans l’esthĂ©tique de Baudelaire, car c’est dans ce texte qu’il rĂ©vĂšle l’importance de la figure de la synesthĂ©sie dans les Fleurs du Mal « Les couleurs, les parfums et les sons se rĂ©pondent. »

Mais cela va plus loin qu’une simple association entre perceptions : chez Baudelaire ce n’est plus seulement l’Art qui dĂ©crit la Nature, mais un dialogue oĂč la Nature tient aussi un discours sur l’Art. Le PoĂšte est alors celui qui est capable de dĂ©chiffrer les signes cachĂ©s de l’univers. Cette idĂ©e va marquer les artistes qui viennent aprĂšs lui, car elle est Ă  la fois musicale, picturale, architecturale...

Rimbaud est l’un de ces poĂštes immĂ©diatement influencĂ©s par Baudelaire. Il Ă©crit par exemple, dans sa Lettre dite du Voyant :
Inspecter l'invisible et entendre l'inouĂŻ Ă©tant autre chose que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poĂštes, un vrai Dieu.

Baudelaire a conscience de l’originalitĂ© de sa poĂ©sie, et de sa dimension picturale. Dans sa critique de l’Exposition Universelle de 1855, il trouve chez le peintre Delacroix le principe qu’il met en place dans ses Correspondances :
Qui n'a connu ces admirables heures, [...] oĂč les sens plus attentifs perçoivent des sensations plus retentissantes, oĂč le ciel d'un azur plus transparent s'enfonce dans un abĂźme plus infini, oĂč les sons tintent musicalement, oĂč les couleurs parlent, et oĂč les parfums racontent des mondes d'idĂ©es ? Eh bien, la peinture de Delacroix me paraĂźt la traduction de ces beaux jours de l'esprit.

Problématique


Comment Baudelaire propose-t-il dans ce poÚme une esthétique nouvelle, faisant de la poésie un moyen privilégié de déchiffrement du monde ?

Axes utiles pour un commentaire composé :


> Un poùme philosophique qui explore les relations de l’homme au monde.
> La poĂ©sie est proposĂ©e comme moyen de dĂ©chiffrement de l’univers.
> Des correspondances qui créent des associations entre perceptions.
> Un poĂšme polyphonique oĂč les paroles s’échangent.
> Un poĂšme qui s’inscrit en rupture et en continuitĂ© dans l’Histoire de l’Art.
> Un manifeste poĂ©tique qui Ă©claire l’esthĂ©tique des Fleurs du Mal.



Premier mouvement :
Plusieurs formes de correspondances



La Nature est un temple oĂč de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe Ă  travers des forĂȘts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.


On reconnaĂźt dans ce poĂšme un sonnet, avec deux quatrains et deux tercets. Le sonnet est une forme canonique en poĂ©sie qui permet de mettre en valeur un basculement et une pointe. D’ailleurs, rien qu’en regardant les rimes, on voit dĂ©jĂ  comment le poĂšme Ă©volue du dĂ©but jusqu’à la fin. Les rimes embrassĂ©es servent Ă  mettre en relation, les rimes croisĂ©es manifestent un moment de basculement, les rimes plates annoncent une pointe Ă  la fin du poĂšme.

DĂšs les premiers vers, on voit que le poĂšme va traiter de thĂšmes philosophiques. Tous les verbes sont au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale : ce n’est pas une histoire ou une anecdote, mais bien un propos qui se veut universel.

Le mot Nature a une majuscule, nous indiquant que c’est un concept gĂ©nĂ©ral.
« La Nature 
 l’homme » de par leur disposition en tĂȘte de vers, ces deux Ă©lĂ©ments sont mis en opposition. La Nature est du cĂŽtĂ© de la stabilitĂ© et de l’éternitĂ©, avec le verbe d’état et l’image atemporelle du temple, tandis que l’homme est du cĂŽtĂ© de l’éphĂ©mĂšre, avec le verbe passer : qui est un euphĂ©misme pour le verbe mourir. Un euphĂ©misme, c’est l’expression attĂ©nuĂ©e d’une idĂ©e dĂ©sagrĂ©able.

Revenons alors sur le titre. Le mot Correspondance possĂšde en un premier sens, philosophique et mathĂ©matique, pour dĂ©signer le rapport logique entre deux ensembles. C’est exactement le mĂ©canisme de la mĂ©taphore et de la personnification, qui sont des figures d’analogie : ils rapprochent deux ensembles diffĂ©rents.

« La Nature est un temple » c’est une mĂ©taphore, avec un comparĂ© et un comparant. Quel est le point commun entre les deux ? La spiritualitĂ©. Sans parler directement d’un Dieu ou d’un crĂ©ateur, le poĂšme assimile dĂ©jĂ  la Nature Ă  un ĂȘtre vivant, avec la personnification des forĂȘts qui observent les hommes.

Mais ce discours spirituel est aussi un discours sur l’art. « De vivants piliers » la mĂ©taphore est filĂ©e, on peut deviner qu’il s’agit des arbres. La nature devient architecture, elle est mise en correspondance avec le monde de l’art.

Baudelaire nous retrace une Ă©volution des sensibilitĂ©s artistiques. Le temple reprĂ©sente la beautĂ© antique, figĂ©e, atemporelle, qui inspire l’art classique, avec les proportions Ă©quilibrĂ©es et rigoureuses des tragĂ©dies. Puis les vivants piliers transforment ce dĂ©cor en cathĂ©drales gothiques, qui correspondent Ă  l’imaginaire romantique.

On peut penser par exemple à Chùteaubriand, grand précurseur du romantisme, qui écrit dans Le Génie du Christianisme :
L'architecte chrĂ©tien, non content de bĂątir des forĂȘts, a voulu, pour ainsi dire, en conserver les murmures, et au moyen de l'orgue et du bronze suspendu, il a attachĂ© au temple gothique, jusqu'au bruit des vents et des tonnerres, qui roule dans la profondeur des bois.

Ces mĂȘmes arbres deviennent des forĂȘts de symboles Ă  la fin du quatrain : Baudelaire vient de faire un pas supplĂ©mentaire, passant du romantisme au symbolisme. Vous allez voir que ce poĂšme est vĂ©ritablement un manifeste de l’art symboliste.

En effet, la « forĂȘt de symboles » devient comme un immense poĂšme qui recĂšle un sens cachĂ© « de confuses paroles ». Le mot « confus » crĂ©e un effet de flou visuel, en peinture, on dirait un sfumato, une continuitĂ© entre les couleurs, qui participe Ă  une esthĂ©tique du mystĂšre. Symboliquement, cela signifie qu’il faut apprendre Ă  dĂ©chiffrer les signes.

Cette idée est reprise par toute une génération de poÚtes. Pour Stéphane Mallarmée par exemple, la poésie doit rester hermétique, compréhensible uniquement pour certains initiés.

Chez Baudelaire, le dĂ©chiffrement symbolique n’est pas Ă  sens unique : c’est un Ă©change.
« Les vivants piliers laissent sortir de confuses paroles » on dirait que les paroles possĂšdent leur propre Ă©nergie, c’est un mouvement dirigĂ© vers l’extĂ©rieur.
Puis « les forĂȘts de symbole observent l’homme ». Tous les regards convergent vers l’homme.

Ces jeux de mouvement rĂ©vĂšlent donc un dialogue, oĂč les paroles et les regards sont un mĂȘme moyen de dĂ©chiffrer et de comprendre. D’ailleurs c’est lĂ  un deuxiĂšme sens du mot Correspondance : un Ă©change Ă©pistolaire, par lettres.

DeuxiÚme mouvement :
Un symbolisme revendiqué



Comme de longs Ă©chos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Regardez la syntaxe de ce quatrain : un complĂ©ment circonstanciel de maniĂšre contenant un complĂ©ment circonstanciel de temps, retarde la proposition principale jusqu’au dernier vers. Cela crĂ©e un effet de convergence vers le sujet principal du poĂšme : « Les parfums, les couleurs et les sons se rĂ©pondent ».

C’est une dĂ©finition poĂ©tique d’une figure de style qui s’appelle la synesthĂ©sie : l’association entre des perceptions diffĂ©rentes : la vue et l’ouĂŻe, le parfum et le toucher, le goĂ»t, etc. Vous allez voir que ce poĂšme est trĂšs riche en synesthĂ©sies. Par exemple ici « les Ă©chos » sont « longs et tĂ©nĂ©breux » des Ă©lĂ©ments sonores, les Ă©chos sont devenus visuels : longs et tĂ©nĂ©breux.

On retrouve ici l’idĂ©e d’un dialogue, d’un Ă©change, avec le mot « Ă©cho ». Tout au long du quatrain, des sonoritĂ©s imitent ces Ă©chos : « comme 
 Ă©chos .. confondent 
 comme 
 comme 
 couleurs ».

Les deux verbes « se confondent 
 se rĂ©pondent » riment entre eux, avec en plus une rime interne avec « profonde ». Les deux verbes sont Ă  la voix pronominale, avec un sens rĂ©ciproque : les perceptions se confondent et se rĂ©pondent entre elles. PersonnifiĂ©es, elles agissent et subissent l’action de l’autre en mĂȘme temps. Cela crĂ©e un effet de mĂ©lange et de continuitĂ©. Le verbe « confondre » entre d’ailleurs en rĂ©sonance avec l’adjectif « confuses » utilisĂ© plus haut.

En fait, cette continuité est aussi et surtout une complémentarité.

En effet regardez cette double comparaison « Vaste comme la nuit et comme la clartĂ© » c’est un paradoxe : deux Ă©lĂ©ments normalement opposĂ©s sont ici rapprochĂ©s. D’ailleurs le mot unitĂ©, qui rime avec clartĂ©, contient le mot nuit en anagramme. Cela illustre l’idĂ©e de complĂ©mentaritĂ© entre tout et son inverse. On peut penser aux couleurs complĂ©mentaires qui permettent de composer toutes les autres couleurs.

En passant de l’ombre Ă  la clartĂ©, Baudelaire crĂ©e une palette de sensations que l’artiste peut utiliser pour recrĂ©er son univers. La nuit est vaste : un adjectif spatial est utilisĂ© pour un Ă©lĂ©ment temporel.

L’unitĂ© est profonde : habituellement, c’est la multiplicitĂ© ou la diversitĂ© qui sont profondes. On peut parler ici d’un oxymore : l’association de termes qui semblent contradictoires. En fait, cela devient comprĂ©hensible Ă  partir du moment oĂč l’unitĂ© dĂ©signe une crĂ©ation, un univers, ou encore une Ɠuvre d’art.

Pour Baudelaire, la beautĂ© se trouve dans cette profondeur. L’artiste va la chercher en des lieux lointains, sombres et tourmentĂ©s. Souvenez-vous, dans l’Albatros, le poĂšte hante la tempĂȘte. Dans À une passante, le poĂšte boit dans son regard le ciel livide oĂč germe l’ouragan. Ici, Baudelaire rĂ©alise un manifeste esthĂ©tique de la poĂ©sie symboliste.

TroisiÚme mouvement :
Une poésie novatrice



Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,


Ce premier tercet commence avec une tournure impersonnelle oĂč le verbe ĂȘtre signifie « il existe » c’est un sens philosophique. On peut mĂȘme dire ontologique : il rĂ©vĂšle une rĂ©flexion sur l’ĂȘtre et l’existence. AprĂšs avoir exposĂ© son propos principal : les parfums, les couleurs et les sons se rĂ©pondent, le poĂšte va Ă©numĂ©rer des exemples : c’est bien un tournant dans le poĂšme.

Regardez comment les sens sont mĂ©langĂ©s ici : les parfums (olfactifs), sont frais (c’est le sens du toucher), doux (encore le toucher) comme les hautbois (c’est un instrument de musique, donc c’est le sens de l’ouĂŻe), vert comme les prairies (une couleur et un paysage, c’est la vue). Nous avons une belle figure de synesthĂ©sie en action !

Mais cela va plus loin, car Baudelaire mĂ©lange des Ă©lĂ©ments qui relĂšvent de domaines diffĂ©rents, regardez. Les parfums sont comme des chairs d’enfants. Ce qui est non consistant et non-humain, devient trĂšs concret, et humain. De mĂȘme les adjectifs utilisĂ©s pour les parfums : corrompus, riches et triomphants sont d’habitude utilisĂ©s pour des ĂȘtres humains. Une personnification vient doubler la synesthĂ©sie.

Soudainement, « Et d’autres » vient crĂ©er une opposition. Le tiret semble mettre en place un dialogue, donnant la parole Ă  une deuxiĂšme voix. Cela justifie la polysĂ©mie du titre : la correspondance Ă©pistolaire. Regardons maintenant comment fonctionne cette opposition de deux voix.

D’un cĂŽtĂ©, les parfums « frais, doux, verts » avec des adjectifs trĂšs courts, sĂ©parĂ©s les uns des autres. De l’autre cĂŽtĂ©, des adjectifs longs, coordonnĂ©s entre eux « corrompus, riches et triomphants » allongĂ©s encore par la prononciation triomphants : la mĂ©trique nous oblige Ă  prononcer sĂ©parĂ©ment le son ON, c’est une diĂ©rĂšse : 1 voyelle compte pour 1 pied.

Cet effet d’allongement continue avec un enjambement : la phrase se poursuit sur le vers suivant. En plus, cet enjambement est assez audacieux, car il crĂ©e une continuitĂ© entre les deux tercets. Et on retrouve encore une diĂ©rĂšse : ayant l’expansion des choses infinies, dont la richesse est renforcĂ©e par l’assonance en i. On retrouve bien l’idĂ©e d’expansion dans la forme mĂȘme du poĂšme. Cette image d’un infini en expansion donne le vertige, on entre dans l’hyperbole : une expression exagĂ©rĂ©e, une image excessive.

Pourquoi Baudelaire prend-il autant de soin Ă  construire cette opposition ? Il essaye sans doute de nous faire passer un message. Au niveau du sens, qu’est-ce qui est opposĂ© ? Les enfants sont du cĂŽtĂ© de l’innocence et de la simplicitĂ©. La corruption se trouve du cĂŽtĂ© de la culpabilitĂ© et du mal. Cela guide le systĂšme d’oppositions regardez :

Dans la premiÚre partie du quatrain, on trouve des thÚmes qui renvoient plutÎt à des esthétiques traditionnelles :

Les chairs d’enfants constituent en effet un objet d’étude trĂšs important dans l’Histoire de la peinture, avec les madones et les scĂšnes de nativitĂ© issues du nouveau testament, ou encore les amours reprĂ©sentĂ©s par le personnage mythologique de cupidon.

Les hauts-bois reprĂ©sentent bien l’idĂ©al d’ordre et de modĂ©ration de la musique classique, avec son timbre chaleureux et raffinĂ©

Les prairies renvoient Ă  un genre particulier dans l’histoire de la poĂ©sie, il s’agit du genre bucolique. Il trouve son origine dans l’antiquitĂ©, avec Les Bucoliques, un recueil du poĂšte latin Virgile, qui chante la douceur de la vie champĂȘtre. Chez Baudelaire, la Nature est bien diffĂ©rente. PrĂ©sente dĂšs le titre de son recueil Les Fleurs du Mal, elle est souvent orageuse, profonde, tourmentĂ©e.

Ainsi, Ă  partir de la deuxiĂšme partie du quatrain, on bascule dans une autre esthĂ©tique : les parfums sont « corrompus, riches et triomphants ». Corrompus comme le mal, triomphants comme l’artiste qui y trouve de la beautĂ©, riche comme la beautĂ© elle-mĂȘme. Ces parfums sont Les Fleurs du Mal, Ă  travers eux, Baudelaire nous parle en fait de poĂ©sie et d’Histoire de l’Art. Le poĂšte ose dĂ©sormais utiliser des matĂ©riaux corrompus, comme le mal et la mort, et c’est cela qui le rend riche et triomphant.

Dans la mythologie latine, celui qu’on appelle « le Riche », c’est Pluton, le Dieu des Morts, qui rĂšgne sur les enfers, et dont le royaume, qui ne cesse d’accueillir de nouveaux venus, est Ă  la fois infini et en expansion. Par ce choix de mots, Baudelaire construit une esthĂ©tique Ă  la fois en rupture et en continuitĂ© avec des rĂ©fĂ©rences traditionnelles. Il opĂšre une bifurcation dans l’Histoire des Arts.

D’ailleurs, le mot Correspondance prend un sens nouveau au 19e siĂšcle, avec l’essor du chemin de fer : c’est une bifurcation dans un voyage. Baudelaire ne pouvait ignorer la polysĂ©mie de ce titre, choisi pour un poĂšme manifeste du symbolisme.

QuatriÚme mouvement :
Le rĂŽle du poĂšte



Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


On est partis d’une expression trĂšs gĂ©nĂ©rale, imprĂ©cise, les « choses infinies » pour arriver maintenant Ă  des parfums spĂ©cifiques, trĂšs prĂ©cis : « l’ambre, le musc, le benjoin, et l’encens » : c’est cela qui constitue la pointe du sonnet, un mouvement du gĂ©nĂ©ral au particulier. Les perceptions les plus singuliĂšres dĂ©ploient un univers.

L’énumĂ©ration des parfums suit une logique. L’ambre est une matiĂšre solide, une rĂ©sine minĂ©ralisĂ©e, tandis que le musc est liquide, il appartient au rĂšgne animal, le benjoin et l’encens appartiennent au rĂšgne vĂ©gĂ©tal, et sont brĂ»lĂ©s pour produire une fumĂ©e odorante.

Nous avons donc des matiĂšres qui reprĂ©sentent des Ă©lĂ©ments naturels variĂ©s, organisĂ©s du plus solide au plus Ă©vanescent. L’encens est en plus utilisĂ© lors des cĂ©rĂ©monies religieuses : c’est le parfum le plus spirituel. Cette fin de poĂšme nous invite Ă  l’élĂ©vation.

Les noms utilisĂ©s : l’expansion, les transports, traduisent une mise en mouvement du poĂšme. L’esprit et les sens sont coordonnĂ©s : ils vont ensemble. La perception du monde est transformĂ©e en comprĂ©hension spirituelle du monde. Or, cela se fait Ă  travers le chant. La poĂ©sie est issue de la musique. Les parfums chantent : dans cette ultime synesthĂ©sie, Baudelaire donne au poĂšte le rĂŽle d’intermĂ©diaire entre le monde sensible et son sens cachĂ©.

Conclusion



Dans ce poĂšme, Baudelaire aborde directement un sujet philosophique : le rapport que l'homme entretient avec le monde. À travers le regard de l'artiste, la Nature est esthĂ©tisĂ©e : elle devient comme une architecture ou une Ɠuvre d'art. Des jeux de mouvement vont donc rĂ©vĂ©ler un dialogue entre le poĂšte et l'univers qui l'entoure. Les perceptions sont mĂ©langĂ©es, de maniĂšre Ă  montrer leur complĂ©mentaritĂ©. Ces correspondances sont autant de symboles qui demandent Ă  ĂȘtre dĂ©chiffrĂ©s.

Alors Baudelaire va proposer la poĂ©sie comme une maniĂšre de mieux comprendre le monde. Les synesthĂ©sies sont un moyen de crĂ©er des associations entre les perceptions. Mais il va plus loin, en crĂ©ant des liens entre la matiĂšre et l'esprit, entre les rĂšgnes naturels et ce qui relĂšve de l'humain. Le poĂšme retrace un mouvement en raccourci du gĂ©nĂ©ral au particulier, oĂč les parfums cristallisent une nouvelle esthĂ©tique poĂ©tique.

En effet, avec ce poĂšme, Baudelaire souhaite s'inscrire en rupture et en continuitĂ© avec l'Histoire des Arts. On y retrouve des thĂ©matiques traditionnelles du classicisme et du romantisme, allant de la musique Ă  la peinture, en passant par l’architecture. Mais les images modernes et tourmentĂ©es des Fleurs du Mal vont les dĂ©tourner et les renouveler. Avec Les Correspondances, Baudelaire fait passer un message, il rĂ©alise un vĂ©ritable manifeste du symbolisme.


Gustave Moreau, Dalila, 1896.

⇹ * Baudelaire, Les Fleurs du Mal ☁ Correspondance (nuage de mots) *

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⇹ * Baudelaire, Les fleurs du Mal 🔎 Correspondances (Explication linĂ©aire) *

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