Couverture du livre Les Fleurs du Mal de Baudelaire

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Couverture pour Les Fleurs du Mal

Baudelaire, Les Fleurs du Mal
« La vie antérieure »
Commentaire linéaire



Notre Ă©tude porte sur le poĂšme entier



J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
MĂȘlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraĂźchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin Ă©tait d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.



Introduction



« La Vie AntĂ©rieure » fait bien sĂ»r rĂ©fĂ©rence Ă  la mĂ©tempsycose, c'est-Ă -dire, le concept de rĂ©incarnation de l’ñme. Dans ce poĂšme, qui se trouve au dĂ©but des Fleurs du Mal, Baudelaire nous plonge dans un univers hors du temps dont il se ressouviendrai Ă  travers cette vision poĂ©tique.

Platon dĂ©veloppe cette thĂ©orie de la rĂ©miniscence dans Le MĂ©non : l’ñme aurait accĂšs Ă  un univers supĂ©rieur des idĂ©es, mais en perdrait le souvenir lors de son incarnation. L’acquisition des connaissances serait alors seulement un ressouvenir de ces vĂ©ritĂ©s oubliĂ©es.
Dans La RĂ©publique, Platon utilise une image, l’allĂ©gorie de la caverne : la rĂ©alitĂ© que nous percevons est comparable aux ombres qui sont projetĂ©es contre la paroi d’une caverne. Ce que nous percevons est dĂ©formĂ©... et d’ailleurs pour Platon, les Ɠuvres d’art sont des images encore plus dĂ©formĂ©es !

Au contraire, pour Baudelaire et les symbolistes aprĂšs lui, l’art qui met en relation les perceptions et les idĂ©es permet d’accĂ©der Ă  ces vĂ©ritĂ©s cachĂ©es. C’est cela que Rimbaud exprime dans sa cĂ©lĂšbre Lettre du Voyant, oĂč il fait l’éloge de Baudelaire :
Mais inspecter l’invisible et entendre l’inouĂŻ Ă©tant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poĂštes, un vrai Dieu.
Rimbaud, Lettre Ă  Paul Demeny, 15 mai 1871.


Problématique



Comment Baudelaire reprĂ©sente-t-il dans ce poĂšme, l’accĂšs Ă  une vĂ©ritĂ© idĂ©ale, hors du temps, oubliĂ©e, mais toujours accessible Ă  travers l’activitĂ© artistique ?

Axes de lecture pour un commentaire composé :



> L'immersion dans un univers fascinant.
> Un monde sublimé par l'art.
> Un jeu de correspondances symboliques.
> La nostalgie d'un ailleurs toujours déjà perdu.
> Une temporalité figée.
> La présence du Spleen en demi-teinte.
> Une vision mystique, qui touche à la spiritualité.

Premier mouvement :
Un univers symbolique



J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.


Dans ce poÚme, le décor est un symbole énigmatique, on pourrait dire que c'est une métaphore in absentia : on a le comparant (les piliers, les portiques) et des éléments d'analogie (vastes, grands, droits, majestueux), mais pas le comparé. Les portiques sont d'ailleurs introduits par un article indéfini qui accentue le mystÚre : ils peuvent symboliser de nombreuses choses différentes.

On peut imaginer que les piliers sont justement les mĂȘmes que dans le poĂšme "Correspondances" :
La Nature est un temple oĂč de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'Homme y passe Ă  travers des forĂȘts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857.


Le mouvement est ascendant : d'abord « sous de vastes portiques » avec la préposition « sous » puis les « grands piliers » qui font monter le regard jusqu'aux voûtes des « grottes basaltiques ». Le lecteur est immergé dans un décor plus grand que lui.

Tous les Ă©lĂ©ments du dĂ©cor sont au pluriel, et accompagnĂ©s d'adjectifs « vastes portiques 
 soleils marins 
 grands piliers 
 grottes basaltiques » cela crĂ©e une impression de richesse et de foisonnement.

Plusieurs adjectifs appartiennent au champ lexical de la grandeur : « vastes 
 grands 
 majestueux » accompagnĂ©s d'une assonance (retour de sons voyelles) en A qui donne de l'ampleur au texte : le lecteur est immergĂ© dans un univers visuel et sonore.

L'endroit oĂč le poĂšte habite, c'est un vĂ©ritable monde : on y trouve les quatre Ă©lĂ©ments, l'air (reprĂ©sentĂ© par les ouvrages sculptĂ©s en creux), le feu (trĂšs directement), la terre (Ă  travers les grottes et la prĂ©position « sous »), et l'eau (Ă  travers l'adjectif « marin »). Dans ce poĂšme, les correspondances participent Ă  l'immersion du lecteur dans un univers complet.

Des piliers qui sont peut-ĂȘtre des arbres ; des portiques qui sont vraisemblablement des grottes
 Le verbe « habiter » rĂ©vĂšle bien une grande mĂ©taphore filĂ©e : le monde est comme un gigantesque palais. Chez Baudelaire, l'Art amĂ©liore, sublime la Nature :
Pays singulier, supĂ©rieur aux autres, comme l’Art l’est Ă  la Nature, oĂč celle-ci est rĂ©formĂ©e par le rĂȘve, oĂč elle est corrigĂ©e, embellie, refondue. »
Baudelaire, Le Spleen de Paris, “Invitation au Voyage”, 1869.


VoilĂ  pourquoi la Nature est souvent dĂ©signĂ©e chez Baudelaire par des Ă©lĂ©ments d'architecture : les portiques et les piliers font rĂ©fĂ©rence Ă  un passĂ© lointain, les temples grecs, un lieu de priĂšres et de sacrifices, qui reprĂ©sente en mĂȘme temps la beautĂ© classique, Ă©ternelle. Tandis que les « grottes basaltiques » sont typiques de l'art baroque ou des jardins romantiques, oĂč les formes sont tourmentĂ©es, rocailleuses.

Le basalte, c'est une roche volcanique noire, qui est passĂ©e rapidement de l'Ă©tat liquide Ă  l'Ă©tat solide, et qui donne ces formes striĂ©es ou poreuses, oĂč les lignes droites sont en mĂȘme temps des lignes courbes, oĂč la Nature rejoint l'architecture. On parle mĂȘme d'orgues basaltiques : la musique rejoint l'architecture et le religieux. Ces correspondances entre les arts signalent aussi un idĂ©al esthĂ©tique.

La couleur noire du basalte annonce dĂ©jĂ  la nuit qui est proche, ou peut-ĂȘtre les enfers : Baudelaire fait souvent rĂ©fĂ©rence Ă  la divine comĂ©die de Dante, et ce n’est pas un hasard si le basalte est une roche souterraine qui fait irruption Ă  la surface : toutes ces images sont pleines de contrastes, et laissent planer le Spleen, au-dessus du paysage, comme un couvercle menaçant.

Chez Baudelaire, l'IdĂ©al est toujours teintĂ© de Spleen : le soir annonce la fin imminente de la lumiĂšre. L'association des deux mots « soleils marins » n'est pas trĂšs courante, surtout au pluriel. On dirait que le soleils sont submergĂ©s par les portiques qu'ils Ă©clairent, comme dans un monde sous-marin. Ce mot portique Ă©voque bien le passage d’une vie Ă  l’autre.

Vous savez que Baudelaire Ă©tait critique d'art. On trouve ici plusieurs rĂ©fĂ©rences Ă  la peinture : le verbe teindre personnifie les soleils, qui deviennent eux-mĂȘmes comme des peintres. L'adjectif « marin » fait directement rĂ©fĂ©rence Ă  un genre pictural : les marines qui reprĂ©sentent des bords de mer, souvent avec des voiliers, des soleils couchants, etc.

En plus ici le pluriel nous rapproche de ces peintures impressionnistes oĂč les soleils sont comme dĂ©multipliĂ©s par les reflets l'eau. Cette description se rapproche beaucoup de l'ekphrasis : la description littĂ©raire d'une Ɠuvre d'art.

Ces soleils marins évoquent donc un port, déjà présent à travers le mot « portiques ». Si le monde est un palais, les ports sont autant de portes entre les continents, et les bateaux sont comme les piliers de ces portiques qui nous invitent au voyage.

D'ailleurs, dans une peinture marine, les voiliers sont des piliers, souvent représentés uniquement par leurs mùts. C'est une paronomase : deux mots proches phonétiquement, et une synecdoque : la partie représente le tout.

C'est à la fois un ailleurs géographique et un ailleurs temporel. Le soir est démultiplié par le pluriel des soleils : la succession des jours est saisi dans un moment intermédiaire figé hors du temps.
Les temps employĂ©s vont dans le mĂȘme sens : l'imparfait dĂ©signe des actions passĂ©es inscrites dans la durĂ©e. C'est une longue pĂ©riode du passĂ©, peut-ĂȘtre une vie entiĂšre, dĂ©signĂ©e par le titre du poĂšme.

Mais tous ces imparfaits dĂ©pendent d'un mĂȘme verbe au passĂ© composĂ© « j'ai habitĂ© » qui insiste cruellement sur l'aspect rĂ©volu de cette action passĂ©e. Cette vie antĂ©rieure est bien une vie terminĂ©e : l'idĂ©al qui n'Ă©tait alors que menacĂ© par le Spleen, a fini par ĂȘtre englouti par lui.

DeuxiĂšme mouvement :
Un jeu de correspondances



Les houles, en roulant les images des cieux,
MĂȘlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.


Chez Baudelaire, l’allĂ©gorie est partout, il en fait mĂȘme une figure privilĂ©giĂ©e de la poĂ©sie dans ses paradis artificiels :
L’intelligence de l’allĂ©gorie prend en vous des proportions Ă  vous-mĂȘme inconnues [...] l’allĂ©gorie, ce genre si spirituel, [...] est vraiment l’une des formes primitives et les plus naturelles de la poĂ©sie.
Baudelaire, Les Paradis Artificiels, 1860.


Ici, « Les houles » sont personnifiĂ©es par les verbes. Un peu comme des peintres, elles roulent des images et elles mĂȘlent les couleurs. Comme un musicien, elles jouent des accords. Ce sont mĂȘme des accords tout-puissants, qui semblent recrĂ©er la rĂ©alitĂ© elle-mĂȘme : ces houles sont comme des divinitĂ©s. Par la crĂ©ation, l’art devient une activitĂ© spirituelle, quasiment divine.

Avec le terme « tout-puissant », les cieux appartiennent au vocabulaire religieux. Ici, les cieux sont roulĂ©s par les houles, c’est un jeu de reflet qui les rend presque matĂ©riels, au point qu’on ne distingue plus la limite entre la mer et le ciel. On peut penser aux plafonds baroques de la contre-rĂ©forme qui submergent les visiteurs et doit leur faire ressentir la grandeur du divin.

Les accords musicaux sont mĂȘlĂ©s aux couleurs du couchant, au point mĂȘme que la musique reflĂ©tĂ©e par les yeux du poĂšte semble perçue Ă  travers le sens de la vue. On est en pleine synesthĂ©sie : les perceptions sont confondues au point que la musique devient visible et que les images deviennent audibles. D’ailleurs, le verbe « rouler » contient tout entier le mot « houle » : c’est une paronomase qui complĂšte l’image par la musicalitĂ© des mots.

Cette mĂȘme image est Ă  la fois en mouvement et figĂ©e, regardez. Le participe prĂ©sent montre l’action dans la durĂ©e. L’imparfait dĂ©signe une action qui se rĂ©pĂšte dans le passĂ©. Les complĂ©ments circonstanciels sĂ©parent les Ă©lĂ©ments essentiels de la phrase, en crĂ©ant des enjambements : la phrase est prolongĂ©e d’un vers Ă  l’autre. Le moment racontĂ© est Ă©tirĂ© dans le temps.

Le mot solennel va dans le mĂȘme sens, quand on regarde son origine latine : sollemnis dĂ©signe une cĂ©rĂ©monie religieuse qui se dĂ©roule tous les ans. Dans ce poĂšme, plusieurs Ă©poques sont superposĂ©es et figĂ©es.

Le Spleen est prĂ©sent dans ce dĂ©cor Ă  travers l’image de la houle, qui fait bien Ă©cho au poĂšme “Spleen” que je traite dans une autre vidĂ©o :
Quand le ciel bas et lourd pĂšse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, “Spleen IV”, 1857.


DĂšs le premier mot de la strophe, le h aspirĂ© crĂ©e un hiatus, (deux sons voyelles qui se succĂšdent) cela crĂ©e une coupure. Le sujet rejetĂ© en dĂ©but de phrase avec la virgule crĂ©e un rythme saccadĂ©. Cette impression de malaise va dans le sens du Spleen. C’est une image courante chez Baudelaire : dans “L’Albatros”, le poĂšte hante la tempĂȘte, dans “À une Passante”, la beautĂ© fugitive s’intercepte dans un ciel livide oĂč germe l’ouragan.

Dans la mythologie latine, le dieu qu’on surnomme « le riche », c’est Pluton, le dieu des Enfers, parce que son royaume est sans cesse peuplĂ© par de nouvelles Ăąmes. Ce n’est pas anodin dans un poĂšme qui s’appelle « La vie AntĂ©rieure ».

La rĂ©miniscence platonicienne et l’allĂ©gorie de la caverne se retrouvent bien dans ces quelques vers : les cieux ne sont qu’une image, dĂ©formĂ©e, roulĂ©e, Ă  intervalles rĂ©guliers, dans un processus mystique (la rĂ©incarnation certainement). Mais les yeux de l’ñme, en percevant notamment les correspondances entre les arts, la musique et les couleurs, sont capables de percevoir des vĂ©ritĂ©s hors du temps. Le couchant reprĂ©sente bien sĂ»r les espaces qui sont au-delĂ  de l’horizon.

TroisiĂšme mouvement :
Une mĂ©ditation poĂ©tique sur l’au-delĂ 



C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraĂźchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin Ă©tait d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.


Ces deux tercets forment une seule longue phrase avec un enjambement particuliĂšrement audacieux, d’abord parce qu’il sĂ©pare le pronom relatif et son antĂ©cĂ©dent, et en plus, parce qu’il prolonge la phrase entre les deux tercets. Dans cette fin de poĂšme, la temporalitĂ© est encore ralentie, certains indices laissent mĂȘme penser qu’on retourne en arriĂšre, dans une sorte de boucle.

Le premier verbe des tercets semble reprendre le dĂ©but : « j’ai vĂ©cu » remplace le verbe initial « j’ai habitĂ© ». Le changement est significatif : le temps s’est Ă©tirĂ© au point de couvrir une vie entiĂšre, voire mĂȘme, plusieurs vies. L’aspect rĂ©volu du passĂ© composĂ© nous fait comprendre que cette vie est terminĂ©e : le poĂšte parle au-delĂ  de la mort. Chez Baudelaire, l’ailleurs est toujours plus lointain, il n’est pas limitĂ© par la mort elle-mĂȘme.

On retrouve d’ailleurs les deux mots rĂ©pĂ©tĂ©s tout au long de l’invitation au voyage : le calme et la voluptĂ©. Et d’ailleurs, comme dans l’Invitation au Voyage, le mot « lĂ  » est un dĂ©ictique : il renvoie Ă  la situation d’énonciation, comme si le lecteur Ă©tait lui-mĂȘme prĂ©sent devant cette vision.

Baudelaire utilise donc la forme du sonnet pour rĂ©pĂ©ter les quatrains en petit, mais cette fois-ci, en incluant le lecteur, et pour l’amener encore plus loin. Je crois que c’est ça qui constitue en quelque sorte la volta : le moment de basculement traditionnel au milieu d’un sonnet.

Les indications de lieu sont multipliĂ©es « lĂ  
 dans 
 au milieu » avec des perceptions qui se rapprochent de plus en plus : l’azur pour la couleur du ciel, les vagues pour le bruit de l’eau, les esclaves imprĂ©gnĂ©s d’odeurs, les palmes et leur sensation de fraĂźcheur sur le front du poĂšte. Les jeux avec les sensations favorisent l’immersion du lecteur.

En plus, cette Ă©numĂ©ration reprend dans l’ordre tous les Ă©lĂ©ments du poĂšme, comme pour le synthĂ©tiser : l’azur renvoie aux soleils, les vagues rappellent les houles, et enfin les splendeurs rĂ©sument tout, comme si le travail du poĂšte Ă©tait justement de recueillir et de fondre ces sensations pour en extraire la beautĂ© : c’est la recherche esthĂ©tique de l’artiste.

Ce rĂ©sumĂ© du poĂšme conduit Ă  une image nouvelle et mystĂ©rieuse : les esclaves nus, que reprĂ©sentent-ils ? C’est typiquement une mĂ©taphore in absentia : on a le comparant et l’analogie, mais pas le comparĂ©. On sait qu’ils approfondissent le secret douloureux du poĂšte en battant des palmes, mais que reprĂ©sentent-ils ? On reste dans le domaine de l’indĂ©chiffrable, de l’ésotĂ©rique.

Mais je vais vous proposer une interprĂ©tation personnelle. Je crois que les palmes ressemblent aux ailes de l’albatros : elles rafraĂźchissent le poĂšte et lui permettent de s’élever jusqu’à l’azur. Ces palmes, ces ailes, sont la plume du poĂšte, le pinceau avec lequel il Ă©crit : cette fin de poĂšme reprĂ©senterait alors le travail de l’écriture lui-mĂȘme, qui est Ă  la fois une douleur, et l’exploration d’un secret.

Peut-ĂȘtre alors que les esclaves nus imprĂ©gnĂ©s d’odeurs sont les doigts de l’écrivain qui tiennent la plume, ou les doigts du peintre qui tiennent le pinceau. Esclaves, ils sont en effet soumis Ă  la volontĂ© de l’artiste, imprĂ©gnĂ©s d’odeurs, ils sentent peut-ĂȘtre l’encre et l’opium.

On trouve Ă©galement une pointe dans ce sonnet (un effet de surprise final). Le champ lexical du bien-ĂȘtre Ă©tait dominant : voluptĂ©, calme, splendeurs, le verbe rafraĂźchir, le soin... Mais le mot « douloureux » apparaĂźt soudainement. Associer le soin et la douleur relĂšve du paradoxe : une association d’idĂ©es qui choque le sens commun. C’est l’irruption concrĂšte du Spleen qui n’était prĂ©sent qu’en filigrane tout au long du texte.

Tout au long du poĂšme, les rimes Ă©taient embrassĂ©es, qui sont plutĂŽt chez Baudelaire du cĂŽtĂ© de l’idĂ©al. Les deux derniers vers forment une rime plate, qui accompagne l’arrivĂ©e du Spleen.

Le « secret douloureux » est le dernier sujet du texte, il agit directement sur le poĂšte, en position d’objet, victime de cette force qui le dĂ©passe. C’est le drame qui se renouvelle tout au long des Fleurs du Mal : Ă  chaque nouvelle Ă©tape, la sensation de Spleen prend une dimension tragique supplĂ©mentaire. MĂȘme la mort ne peut affranchir l’ñme de cette mĂ©lancolie. Sa cause Ă©tant mystĂ©rieuse, c’est une douleur sans remĂšde.

Conclusion



Baudelaire invite et immerge son lecteur dans une vision riche en sensations diverses, sublimĂ©es par le travail de l’artiste. Dans cet ailleurs idĂ©al et mystique, le temps lui-mĂȘme semble se figer.

Mais c’est un ailleurs rĂ©volu, toujours dĂ©jĂ  perdu, dont nous sommes sĂ©parĂ©s par la mort, un obstacle infranchissable. La recherche de la beautĂ© est peut-ĂȘtre la seule activitĂ© capable de raviver de cet idĂ©al oubliĂ©.


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Odilon Redon, La Coupe du devenir, 1894.

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