Couverture pour Sido (1930) et Les Vrilles de la vigne

Colette, Les Vrilles de la vigne, 1908. – RĂ©sumĂ©-analyse




DĂ©couvrons ensemble ce recueil de nouvelles poĂ©tiques : Les Vrilles de la vigne. Au fil de la vidĂ©o, je vous donnerai les clĂ©s de lecture pour tout comprendre : les liens avec la vie de Colette, la rĂ©ception de l’Ɠuvre, et tous les thĂšmes chers Ă  Colette, notamment la cĂ©lĂ©bration du monde et de la libertĂ©, qu’on retrouve sous toutes les formes dans son Ă©criture.

Les vrilles de la vigne



Colette commence son recueil par l'histoire d'un rossignol qui ne chantait que le jour. Une nuit, il s'endort sur une vigne, mais c’était un piĂšge, qui menace sa liberté 
Pendant son sommeil, les cornes de la vigne [...] poussĂšrent si drues [...] que le rossignol s’éveilla ligotĂ©, les pattes empĂȘtrĂ©es de liens fourchus.

Le rossignol croit qu’il va mourir. Il se met alors Ă  chanter si fort qu’il parvient Ă  se libĂ©rer. Ce passage est magnifique, Ă  lire et Ă  relire !

Enfin, le rossignol se promet une chose : ne plus jamais dormir. Et la nuit suivante, il chante pour se tenir Ă©veillĂ©. Colette l’entend chanter, il varie son thĂšme, lui ajoute des vocalises, oublie le sens de son chant

Mais moi, j’entends encore Ă  travers les notes d’or [...] les trilles tremblĂ©s et cristallins [...] le premier chant naĂŻf du rossignol pris aux vrilles de la vigne.

Cette image nous donne dĂ©jĂ  toutes les clĂ©s de comprĂ©hension du recueil : Colette se reconnaĂźt dans ce rossignol, qui a chantĂ© pour se libĂ©rer. Le chant, c’est aussi l’écriture

Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qu’il m’enchante et me blesse et m’étonne.

Ce recueil représente un véritable tournant dans la vie de Colette, qui doit conquérir sa liberté. En 1908, elle se sépare de son mari volage Willy Gauthier-Villars, devient danseuse de music-hall, vit avec son amante Mathilde de Morny
 Tout cela se retrouve à travers les 23 nouvelles de ce recueil.

Nuit blanche


(pour M...)

Colette fait une description poĂ©tique et sensuelle du lit qu'elle partage avec son amante. C’est aussi un peu une Ă©nigme proposĂ©e. Pour le moment, aucun indice ne rĂ©vĂšle qu’elle est avec une femme.
Ceux qui viennent nous voir regardent [ce lit] tranquillement, et ne dĂ©tournent pas les yeux d’un air complice, car il est marquĂ©, au milieu, d’un seul vallon mƓlleux, comme le lit d’une jeune fille qui dort seule.

Une nuit, elle ne parvient pas à s'endormir, et songe à la promenade qu'elles ont faite dans la journée
 Les fleurs offertes, leur pic-nique.
Tu as jetĂ© sur mes Ă©paules une mante lĂ©gĂšre, quand un nuage plus long, [...] a passĂ© ralenti, et que j'ai frissonnĂ©, [...] ivre d’un plaisir sans nom parmi les hommes, le plaisir ingĂ©nu des bĂȘtes heureuses dans le printemps.

Les heures passent, Colette observe la lumiÚre entre les rideaux, et contemple sa compagne qui fait semblant de se réveiller. Colette raconte poétiquement leur étreinte.
Tu me donneras la voluptĂ©, penchĂ©e sur moi, les yeux pleins d’une anxiĂ©tĂ© maternelle, toi qui cherches, Ă  travers ton amie passionnĂ©e, l’enfant que tu n’as pas eu


Ici, l’accord du participe passĂ© rĂ©vĂšle que son amante est une femme, ce qui fait scandale Ă  l’époque. Ces nouvelles paraissent dans une revue littĂ©raire, La Vie parisienne, lĂ©gĂšrement Ă©rotique, pour un lectorat masculin, et sont un grand succĂšs.

Jour gris


(pour M...)

Dans cette nouvelle, on découvre un peu plus la vie de couple de Colette : la dédicace « pour M. » désigne Mathilde de Morny avec qui elle vit depuis 1906 dans la villa « Belle Plage » en Bretagne.

Colette et Missy se trouvent devant la mer. Mais Colette veut fuir cette odeur d'iode et surtout ce vent qui l'exaspĂšre.
Ah, qu’il me fait mal ! [...] ma pensĂ©e [...] m’échappe, comme [...] une mouette dont on tient les pattes et qui se dĂ©livre en claquant des ailes


Chez Colette, les allégories sont souvent des animaux qui représentent des idées abstraites. Les oiseaux, comme le rossignol ou la mouette, défendent farouchement leur liberté.

S’évadant par la pensĂ©e de ce paysage maritime, Colette songe alors au pays de son enfance. Elle voudrait le partager avec sa compagne
 Le style d’écriture devient particuliĂšrement poĂ©tique.
Il y a encore, dans mon pays, une vallĂ©e Ă©troite comme un berceau oĂč, le soir, s’étire et flotte un fil de brouillard [...] [qui] se fait tour Ă  tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval Ă  cou de chimĂšre


Mais voyant les yeux jaloux de son amante, Colette s'arrache à ses souvenirs. Ce pays de merveilles n'était qu'un songe idéalisé !
Comme te voilĂ  pĂąle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ? Je ne sais plus
 Pour oublier la mer et le vent
 [...] Je t’ai parlĂ© sans doute d’un pays de merveilles, oĂč la saveur de l’air enivre ? Ne le crois pas ! N’y va pas ; tu le chercherais en vain.

Une nouvelle complicitĂ© s’installe entre les amantes. Les paysages se confondent, les rĂšgnes animal, minĂ©ral, vĂ©gĂ©tal, se mĂȘlent. Dans cette communion, le jour gris devient dorĂ© :
Courons vers la fin dorĂ©e de ce jour gris, car je veux cueillir sur la grĂšve les fleurs de ton pays apportĂ©es par la vague, — fleurs impĂ©rissables effeuillĂ©es en pĂ©tales de nacre rose, ĂŽ coquillages



Dernier feu


(pour M...)

Colette et Missy allument le dernier feu de l'annĂ©e, mais dĂ©jĂ , un rayon de soleil passe par la fenĂȘtre ouverte... Colette invite alors son amante Ă  regarder leur jardin, image du temps qui passe.
Regarde ! il n’est pas possible que le soleil favorise, autant que le nître, les autres jardins ! Regarde bien ! car rien n’est pareil, ici, à notre enclos de l’an dernier.

Elle lui montre Ă  quel point les lilas grandissent. Ensemble, elles discutent de la couleur des fleurs et bientĂŽt, elle se revoit enfant, faisant des bouquets de violettes :
Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, [...] treillagez le ciel [...] d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre


La description de la nature chez Colette mĂȘle les sensations : sons, parfum, couleurs, souvent aussi le toucher et le goĂ»t. C’est la synesthĂ©sie.

Mais le printemps n'est pas encore arrivĂ©... Colette se retourne vers le dernier feu de l’annĂ©e.
Ô dernier feu de l’annĂ©e ! [...] Ta pivoine rose, [...] emplit l’ñtre d’une gerbe incessamment refleurie. [...] Il n’y a pas, dans notre jardin, une fleur plus belle que lui [...] Restons !


Nonoche


(pour Willy)

Nonoche est une chatte portugaise aux yeux verts, tachĂ©e d’orange et de noir
 Dans sa corbeille, elle admire son dernier nĂ©. Elle songe qu’elle va bientĂŽt le sevrer. Puis elle entend qu’on appelle les vaches, elle se dirige vers la porte.
Nonoche pense au seau de la traite, [...] dont elle lĂ©chera la couronne d’écume [...] Un miaulement de convoitise [...] lui Ă©chappe. [...] Mais quelque chose l’arrĂȘte court, [...] oriente en avant ses oreilles.

L’élĂ©ment perturbateur, c’est ce que Colette nomme : l'Appel du Matou, un appel tentateur, qui se fait de plus en plus insistant.
— Viens !... [...] Je suis le long Matou dĂ©guenillĂ© par dix Ă©tĂ©s, durci par dix hivers [...] mes narines balafrĂ©es grimacent [...] et cette laideur me fait pareil Ă  l’Amour ! Viens !

Pendant ce temps, le chaton s’est rĂ©veillĂ©, il veut jouer. Mais Ă  sa grande surprise, il est rejetĂ© par un coup de patte

La tĂȘte bourdonnante, [...] le fils de Nonoche [...] n’ose pas [...] suivre celle qui ne sera plus jamais sa nourrice et qui s’en va trĂšs digne, [...] vers le bois hanté 


La dame qui chante


(pour Paul Reboux)

Dans un cabaret, la chanteuse s'approche du piano. L'homme qui raconte la scĂšne trouve la chanteuse laide, ne se fiant qu’aux apparences, il est fĂ©roce dans ses critiques.
Toute l’arrogance des femmes trop petites Ă©clatait dans ses yeux durs. [...] Pommettes saillantes, nez mobile [...] Et la bouche ! [...] fendue Ă  la diable par un canif distrait. Par avance, les oreilles m’en sifflĂšrent.

Mais la dame s’avance, lance une note aiguĂ«, vibrante. Petit Ă  petit, l'auditeur est Ă©mu, conquis

Être l’amant de cette femme [...] SĂ©questrer [...] cette voix plus Ă©mouvante que la plus secrĂšte caresse, [...] second visage de cette femme, masque irritant et pudique


Alors qu'elle s'apprĂȘte Ă  regagner sa loge, il se prĂ©cipite pour lui offrir du champagne. Mais elle l'Ă©carte :
— Merci bien, monsieur, mais le champagne m’est contraire [...] Surtout que ces messieurs et dames veulent que je leur chante encore La vie et l’amour d’une femme, vous pensez


L’homme s'Ă©loigne alors, mais sans douleur ni colĂšre, car il n'a retenu qu'une chose : elle va chanter encore.
J’attendis, respectueux, qu’elle eĂ»t [...] essuyĂ© les ailes de son nez [...], meurtri, mais plein d’espoir que le miracle de sa voix me la rendit


Colette n’en parle pas beaucoup, mais elle est excellente musicienne : elle joue du piano, et met un peu d’elle dans cette chanteuse


Toby-chien parle


(pour Miss Meg V.)

La chatte Kiki-la-doucette est tirée de son somme par une porte qui claque : entre Toby-chien, petit bull. Il raconte qu'il a trouvé leur maßtresse en colÚre et rapporte ses paroles :
« Je veux faire ce que je veux. [...] Jouer la pantomime, [...] danser nue, [...] Ă©crire des livres [...] chastes, oĂč il n’y aura que des paysages, [...] du chagrin, de la fiertĂ©, et la candeur des animaux [...] qui s’effraient de l’homme


Ensuite, elle se plaint de « tortues » qui sont pendues au cou de son mari. Kiki et Toby ne comprennent pas bien, mais le lecteur devine que Colette dénonce les infidélités de son mari.
Ces tortues [...] ! Toutes, elles [...] l’entourent de leur ronde effrĂ©nĂ©e, Lui faible, [...] amoureux de l’amour qu’Il inspire
 [...] Je Le leur laisse.

Toby-chien raconte qu’elle s’est mise Ă  pleurer, et que lui, trĂšs Ă©mu, a joint ses larmes aux siennes. C'est alors qu'elle l'a mis Ă  la porte. Kiki la doucette dit alors qu'elle comprend bien mieux sa maĂźtresse que lui ! Elle aussi donne un coup de griffe si on la caresse Ă  rebrousse poil !
KIKI: Quand Elle agit follement, cherche la main maladroite, la piqûre [...] cachée qui se manifeste en cris, [...] en course aveugle vers tous les risques


On commence Ă  le deviner : dans notre recueil, chaque personnage, chaque animal, rĂ©vĂšle une facette de la personnalitĂ© de Colette, qui se dĂ©couvre elle-mĂȘme dans un complexe jeu de miroir.

Dialogue de bĂȘtes


(pour Sacha Guitry)

Toby-chien se souvient des soirĂ©es oĂč il a accompagnĂ© leur maĂźtresse aux Folies-ÉlysĂ©ennes. NaĂŻf, il prend les applaudissements pour lui et ne rĂ©alise pas qu'il dĂ©range.
TOBY-CHIEN. — Elle me brandit aux yeux d’un public Ă©gayĂ©, en criant : « VoilĂ , Mesdames et Messieurs ! le sale cabot qui fait les avant-scĂšnes ! » Elle riait aussi, avec cet air [...] qui sert de masque Ă  sa vraie figure, tu sais ?
KIKI-LA-DOUCETTE, bref. — Je sais.


Cette nouvelle emprunte au thĂ©Ăątre, le dĂ©borde mĂȘme, car les personnages animaux imitent les humains qui les entourent !

Mais Toby-Chien surprend surtout, aprĂšs le spectacle, l'air mĂ©lancolique de leur maĂźtresse. Kiki-la-doucette lui raconte alors le secret que Colette lui a rĂ©vĂ©lĂ© : aprĂšs le spectacle, elle rĂȘve au jardin de son enfance

KIKI-LA-DOUCETTE. — Immobile et les yeux clos, elle habite chaque pelouse, chaque arbre, chaque fleur, – elle se penche [...] Ă  toutes les fenĂȘtres de sa maison chevelue de vigne



Toby-chien et la musique


(pour Louis de Serres)

Un personnage inconnu interview Toby-chien, qui affirme aimer la musique, parce qu'il la redoute.
La Musique [...] est partout
 Dans le vent d’ouest rauque [...] dans l’harmonie modeste de la bouilloire


L'interlocuteur prĂ©cise alors qu’il veut surtout avoir ses impressions concernant la musique instrumentale ! Toby-chien raconte comment il fut Ă©mu par la clarinette de Mme Armande de Polignac, au point de se mettre Ă  chanter.
Mon aspect Ă©gaya si fort Mme Armande de Polignac qu’elle en perdit le souffle et que le bleu de ses yeux scintilla, diamantĂ© des larmes du fou rire
 [...] Qu’importe ! je demeure l'Ă©ternel incompris.

Colette, mĂ©lomane, Ă©crit de nombreux compte-rendus de concert notamment dans le Gil-Blas. Elle connaĂźt Debussy, Fauré  Et Ă©crira en 1923 le texte de L’Enfant et les SortilĂšges composĂ© par Ravel, oĂč elle s’amuse avec le grand compositeur, Ă  Ă©crire des parties miaulĂ©es



Belles-de-jour


(pour Charles Saglio)

Valentine, c’est l’amie superficielle mais sincĂšre de Colette, qui aspire Ă  entrer dans le monde
 En retard pour le thĂ©, Colette voit les larmes sous le maquillage. Valentine explique : elle a un amant, un artiste.
— Peintre, ma chùre [...] de grand talent. Il a chez lui vingt sanguines d’aprùs moi, [...] dans toutes mes robes !

Avant de venir, elle lui a proposĂ© de passer chez lui le soir, car son mari est absent. Mais, contre toute attente, il s’est fĂąchĂ© :
Je veux [...] la femme que vous ĂȘtes en ce moment, gracieuse et couronnĂ©e d'or [...] et non pas telle que la nuit cynique vous donnera Ă  moi [...] petite, sans talons, votre poudre lavĂ©e...

Colette pensive songe aux soins de beautĂ© que les femmes rĂ©servent aux nuits. Suzanne par exemple, s’enduit de Lanoline.
— Penses-tu que je vais m'abümer la peau pour un homme ? [...] S'il n'aime pas la lanoline, qu'il s'en aille !

Mais pendant de temps, Valentine s’inquiĂšte, demande Ă  son amie une rĂ©ponse. Colette s’empresse de la rassurer.
— Mon pauvre petit [...] Je crois que rien n'est cassĂ© et que votre peintre d'amant grattera demain Ă  votre porte, peut-ĂȘtre ce soir



De quoi est-ce qu'on a l'air ?


(pour la comtesse de Caix.)

Valentine arrive chez Colette grelottant dans son costume tailleur. Colette installe son amie prÚs du feu, la débarrasse de son chapeau, admire ses cheveux dorés roulant jusqu'à ses sourcils chùtains.
— Ah ! lĂ  lĂ ... les dĂ©jeuners [...], les expositions... C'est terrible, ce mois-ci !
— Levez-vous tard [...] Tirez le verrou et dites qu'on vous fiche la paix.»
— Facile Ă  dire, vous pouvez [...] vous qui ĂȘtes...
— En marge de la sociĂ©tĂ© ?
— Eh oui [...] Nous autres, on ne nous le permet pas.


Colette songe Ă  ce pluriel mystĂ©rieux et savoure ce qu'elle appelle son « enviable infĂ©rioritĂ© » : la libertĂ© est plus importante Ă  ses yeux... Valentine est une demi-mondaine, elle s'Ă©puise alors que les Mlle de Choisy Ă  qui elle rend visite, sont reposĂ©es... Colette observe Valentine s’endormir.
Chut !... Je veille sur vous, avec une tiĂšde, une amicale pitiĂ©, je veille sur votre constant et vertueux souci de l'air que ça pourrait avoir



La guérison


(pour Henri Bataille)

Durant les pĂ©riodes oĂč Colette fait du thĂ©Ăątre, Valentine craint pour sa rĂ©putation et ne lui rend plus guĂšre visite...
Je me fais une raison — et puis je m'en fiche ! J'attends. Je sais que mon amie convenable reviendra, gentille, embarrassĂ©e [...]

La voilĂ  justement qui donne un coup de sonnette. Colette voit tout de suite que quelque chose ne va pas :
Presque rien, vraiment. Il ne m'aime plus. [...] Qu'est-ce que je pourrais faire ? [...] Je ne m'amuserai pas à pleurer ! Pour me défaire la figure !

Colette admire son amie, qui se défend contre les larmes depuis trois semaines. Valentine écoute le discours amical de Colette.
— Il faut attendre [...] le moment oĂč vous commencerez Ă  souffrir par intermittence. [...] Mais les reprises sont terribles [...] jusqu'Ă ...
— Jusqu'à ?...
— Jusqu'Ă  la guĂ©rison mon amie.


Valentine lui demande de parler encore, elle veut savoir ce qui se passe ensuite, aprÚs la guérison ! Mais que veut-elle donc ?
— Ce que je veux ? mais... l'amour, naturellement !...
— C'est vrai, [...] oui, mon enfant, oui. Vous aurez un autre amour... Je vous le promets. »



Le Miroir



C’est la seule nouvelle du recueil, avec la toute premiĂšre, qui n’est pas dĂ©dicacĂ©e. Cela s’explique peut-ĂȘtre parce qu’elle va nous parler de Claudine
 Son miroir. Claudine, c’est un personnage de roman inventĂ© par Colette sur les conseils de son mari Willy :
Un an, dix-huit mois aprĂšs notre mariage, M. Willy me dit : — Vous devriez jeter sur le papier des souvenirs de l’école primaire. N’ayez pas peur des dĂ©tails piquants, je pourrais peut-ĂȘtre en tirer quelque chose.
Colette, Mes apprentissages, 1936.

Claudine emprunte donc beaucoup Ă  l’enfance de Colette. Willy a signĂ© ces romans, mais le public sait que ce personnage est inventĂ© par Colette, au point qu’on les confond souvent


Dans cette nouvelle, Colette raconte donc qu’elle croise Claudine qui l'appelle "mon sosie" exprùs pour l’agacer

— Quand nous Ă©tions petites...
— Parlez pour vous, Claudine, [...] j'ai grandi, mais je n'ai jamais Ă©tĂ© petite.


Colette songe alors Ă  ce qu'elle a perdu, l'orgueil d'ĂȘtre une enfant prĂ©cieuse, une Ăąme extraordinaire...
Vous n'imaginez pas quelle reine de la terre j'étais à douze ans ! [..] que vous m'auriez aimée ! [...] et comme je me regrette !

La pensée de Colette et celle de Claudine se rejoignent alors sur ce regret mystérieux...

En marge d'une page blanche I
(en baie de Somme)


pour Ernest Leblanc

Voici cinq tableaux d’un sĂ©jour en baie de somme (sur le littoral de la Picardie). Dans le premier tableau, Colette s'amuse de voir que les pĂȘcheurs partent en voiture et les chasseurs en bateau

Étrange, pour qui ignore que le gibier s’aventure au-dessus de la baie et la traverse, [...] Ă©trange, pour qui n’a pas grimpĂ© dans [...] ces carrioles [...] qui mĂšnent les pĂȘcheurs [...] Ă  la rencontre de la mer


Le deuxiÚme tableau est une petite famille parisienne venue en train. Monsieur est armé d'un fusil, et vise les mouettes.
— Lucie, tu vois celle-là ?
Mais aucune des mouettes — suspendues sans doute Ă  des fils solides — ne se dĂ©croche... Jusqu'Ă  l'heure du dĂ©part, train de 5h45.


Le troisiùme tableau est un gros petit garçon s’adressant à sa mùre :
— Maman, Jeannine Ă©tait lĂ , [...] elle n’y est plus. [...] je pense qu’elle s’est noyĂ©e.

La jeune maman affolĂ©e cherche partout et s’apprĂȘte Ă  crier... quand elle aperçoit Jeannine jouant au fond d'une cuve de sable.
— Jojo, tu n'as pas honte d'inventer des histoires pareilles ?
Consternée [...] elle contemple son gros petit garçon, par-dessus l'abßme qui sépare une grande personne civilisée d'un petit enfant sauvage...


QuatriÚme tableau : le petit bull de Colette joue avec des oiseaux. Elle se souvient de leurs noms : la Religieuse, le chevalier Piedrouge, l'Arlequin, on dirait qu'ils jouent une piÚce de théùtre !
La Religieuse penche la tĂȘte, puis court, coquette, pour qu’on la suive [...] Le chevalier Piedrouge, bottĂ© de maroquin orange, siffle d’un air cynique, tandis que l’Arlequin, fuyant et mince, les Ă©pie


CinquiĂšme tableau : dans un petit cafĂ© du port, les pĂȘcheurs attendent. L'un d'eux est thĂ©Ăątralement beau : peau tannĂ©e, yeux jaunes qui ne clignent presque jamais. Un Ă  un, tous les pĂȘcheurs s'en vont en lui serrant la main. Colette intriguĂ©e, vient lui parler :
Vous ne pĂȘchez pas aujourd'hui, vous ?
— Je ne suis pas pĂȘcheur, ma petite dame. Je travaille avec le photographe pour les cartes postales. Je suis le type local.



En marge d'une page blanche


(pour George Richard)

Pointe de Saint-Quentin Bain de soleil.

Vers midi, Colette aperçoit sa petite chienne bull, Poucette, qui somnole sur la plage. Elle l'appelle en vain, alors elle va la rejoindre, et se laisse glisser dans ce qu’elle appelle, un linceul de sable.
Mort dĂ©licieuse et passagĂšre, oĂč ma pensĂ©e se dilate, monte, tremble et s'Ă©vanouit avec la vapeur azurĂ©e qui vibre au-dessus des dunes.

À marĂ©e basse, Colette observe les enfants qui jouent dans le sable. Des jumeaux, un garçon, une fille. Difficile de distinguer l'un de l'autre.
Si, la petite fille a déjà une grùce involontaire, un petit bras nu, impérieux, commente et dessine tout ce qu'elle dit. Elle a [...] une façon coquette de camper son poing au pli de sa taille future...


ForĂȘt de CrĂ©cy

Colette est dĂ©concertĂ©e par ce plat pays de Picardie oĂč les routes serpentent entre les bouquets d'ormes. Soudain la forĂȘt se dresse, les parfums lui rappellent son enfance :
L’ombre impĂ©rieuse des chĂȘnes et des frĂȘnes a banni du sol l’herbe, la fleur, la mousse et jusqu’à l’insecte. Un Ă©cho nous suit, inquiĂ©tant, qui double le rythme de nos pas
 [...] Ici la forĂȘt, ennemie de l’homme, l’écrase.

AdossĂ©e Ă  un arbre, elle voit prĂšs de sa joue un papillon qu’elle reconnaĂźt : c’est un lichĂ©nĂ©e, ses ailes sont bigarrĂ©es de fauve, de gris et de noir. Il ressemble Ă  une danseuse

Ce soir, au soleil couchĂ© [...] il s'Ă©panouira comme une danseuse tournoyante, montrant deux autres ailes plus courtes, Ă©clatantes, [...] juponnage de fĂȘte [...] qu'un manteau neutre, durant le jour, dissimule...


Partie de pĂȘche


(pour LĂ©on Hamel)

Vendredi.

La narratrice raconte que son amie Marthe, personnalitĂ© Ă©nergique, prĂ©vient les enfants : demain, c'est partie de pĂȘche Ă  la Pointe !
— On emmĂšne vous et puis le Silencieux qui va rafler tout le poisson, et puis Maggie pour qu'elle Ă©trenne son beau costume de bain !

Samedi matin.

AprÚs le café au lait, tout le monde en voiture !
Marthe, excitĂ©e, se penche sur le volant et
 enlise deux roues de l’auto. [...] Elle [...] constate le dommage et dĂ©clare avec calme :
— C’est aussi bien comme ça, d’ailleurs. Je n’aurais pas pu tourner plus loin. »


La narratrice commente une photo que vient de prendre Marthe : « Tribu papoue conjurant l'Esprit des Eaux amÚres. »

Ce sont les enfants qui rabattent les poissons dans un filet.


Une fois que la pĂȘche est terminĂ©e, la narratrice s’exclame :
— Oh ! on va emporter tout ça ? Il y en a au moins cinquante livres !
— On en mangera ce soir en friture, demain matin au gratin, demain soir au court bouillon.


Mais au retour, tout sent le poisson cru : le vent, l'auto, la dune, et bientĂŽt la villa elle-mĂȘme ! La cuisiniĂšre demande :
Madame veut-elle [...] les limandes frites ou gratinĂ©es ce soir ? Marthe Ă©cƓurĂ©e ne veut rien d'autre que des Ɠufs Ă  la coque et du poulet rĂŽti.


Music-halls


(pour Serge Basset)

Nous assistons à une répétition dans un music-hall : le compositeur, le patron, le mime W. (qui a une mauvaise toux), Mme Loquette en costume (affamée, elle réclame des sandwichs).

La répétition commence, les acteurs se métamorphosent !
Le bronchité se transforme en brute montagnarde, et se rue [...] sur Mme Loquette, l'affamée, devenue [...] petite femelle traquée. [...] Ils luttent un court instant, la robe se déchire du col aux chevilles.

Le patron arrĂȘte la scĂšne. quelque chose ne va pas. Il cherche.
Inspiré, le patron recule de trois pas, étend le bras, et, d'une voix d'aéronaute quittant la terre :
— Lñchez un sein ! crie-t-il.


Colette est l’une des premiĂšres femmes pantomimes. Elle se dĂ©nude, embrasse son amante sur scĂšne, fait scandale. Ici elle nous fait dĂ©couvrir les coulisses oĂč les danseuses anglaises s’entraĂźnent, le promenoir oĂč les petites marcheuses raccommodent leurs costumes.
L'une d'elles [...] fume et promÚne autour d'elle le regard insolent et sérieux d'une Mlle de Maupin, par Aubrey Beardsley...

Autour d'elles, des enfants, légitimes ou non. Une des marcheuses révÚle en riant son secret de beauté :
Il n'y a rien qui "dépare" le sang comme un accouchement [..] on a un teint, aprÚs !... J'ai des amies qui passent leur vie à [...] se coller des choses sur la figure... Moi, [...] je me fais faire un enfant, c'est bien plus sain.

En quittant le promenoir, Colette voit les enfants qui dorment sur le tapis sale. VoilĂ  ce que cache ce monde scintillant du spectacle.
Repos navrant et gracieux de jeunes bĂȘtes surmenĂ©es... On songe Ă  une portĂ©e de chatons orphelins, qui se serrent pour se tenir chaud...


Printemps de la riviera


(pour Renée Vivien)

Colette se rend au carnaval du Casino municipal de Nice, qu'elle appelle « la redoute des pieds » parce que chacun se plaint d'avoir mal aux pieds ! Elle devine les personnalités sous les masques.

La voilĂ  entraĂźnĂ©e dans une valse folle par une danseuse en Pierrot. Mais on les arrĂȘte :
— SĂ©parez-vous, s'il vous plaĂźt, [...] C'est dĂ©fendu que les dames [...] valsent entre elles, rapport aux convenances !
Ô carnaval de Nice ! [...] comme on t'a [injustement] calomniĂ© !


Colette s'approche alors d'une table de jeu. Elle ne sait pas jouer, mais elle aime déchiffrer les expressions de visage des joueuses :
Le mystérieux poison empourpre leurs joues, injecte leurs yeux, et la forme de leur nez change...

Sur la route du retour, Colette interpelle le Midi : il la réchauffe, certes, mais elle préfÚre les paysages de son enfance.
Midi menteur, tu fleuris et n'embaumes pas. Vainement, sous le banal parfum de tes fleurs, mon ùme forestiÚre quémande [...] la souveraine odeur du sol vivant, fertile, humide.


RĂȘverie de nouvel an


16 janvier 1909

Colette raconte une escapade dans les rues de Paris sous la neige, avec Poucette, sa petite bull au cƓur enfantin, et sa bergĂšre flamande Ă  la rĂ©serve aristocratique...
Loin de tous les yeux, nous avons galopé, aboyé. happé la neige au vol, goûté la suavité de sorbet vanillé et poussiéreux.

De retour chez elle, prĂšs du feu, elle songe aux jours de l’an de son enfance, plein de sensations
 TrĂšs diffĂ©rents du jour de l'an parisien.
L'année n'est plus [...] ce ruban déroulé qui [...] montait vers [...] le printemps [et] l'été, [...] puis descendait vers un automne odorant [...] un hiver [...] sonore [...], et dévalait [...] jusqu'à [...] une date merveilleuse [...] suspendue entre les deux années comme une fleur de givre : le jour de l'an...

Colette saisit un miroir ovale, regarde son visage, et s'Ă©tonne d'y voir le temps qui passe, elle pense :
Quand tu t'étendras en travers du vertigineux ruban ondulé [...] si tu as, jusqu'au bout, gardé dans ta main la main amie qui te guide [...] dors heureuse, dors privilégiée



Chanson de la danseuse


15 avril 1909

Une voix s'adresse à une deuxiÚme personne. Elle lui dit qu'elle ne sait pas danser mais l'autre insiste pour l'appeler « danseuse » :
Tu m'as dit : « cueille ces fleurs, poursuis ce papillon
 » car tu nommais ma course une danse [...]. Nue dans tes bras, liĂ©e Ă  ton lit par le feu du plaisir, tu m'as nommĂ©e danseuse...

Lorsqu'elle s'en va, son amante la regarde partir et lui murmure :
La plus belle des danses, ce n'est pas quand tu accours [...] mais quand tu t'Ă©loignes, [et que] tu me regardes, le menton sur l'Ă©paule...

Enfin, on comprend que toutes ces danses représentent les jours qui passent, et offrent une méditation sur la mort :
Une derniĂšre danse tragique me mettra aux prises avec la mort, mais je ne lutterai que pour succomber avec grĂące.


Maquillages


8 avril 1933

Ces trois derniers textes sont ajoutĂ©s par Colette au recueil en 1933. Colette a entre-temps eu une fille, Colette RenĂ©e de Jouvenel, qu’elle surnomme Bel-Gazou, Ă  cause sa jolie voix, et qui a alors neuf ans.

Au début de cette nouvelle, Colette nous raconte qu'elle dissuade sa fille de se maquiller

Pour terminer [mon sermon] j’invoque les merveilles de la nature, [...] exemples Ă©ternels, — imagine-t-on la rose fardĂ©e, la cerise peinte ?


L'enfant attend sagement avec un air malicieux, la fin de son discours.
Il suffirait [...] qu'elle me questionne de maniÚre directe : « Franchement [...] tu me trouves laide ? » Et je rendrai les armes.

À cette Ă©poque, Colette a ouvert un institut de beautĂ© rue de Miromesnil Ă  Paris.
Elle admire la force de caractÚre des femmes qui affrontent les difficultés de leur vie avec leur maquillage.
Plus l'Ă©poque est dure Ă  la femme, plus la femme, fiĂšrement, s'obstine Ă  cacher qu'elle en pĂątit.


Pendant qu'elle Ă©crit, la fille de Colette est toujours lĂ , attrapant des fruits dans une corbeille.
Le raisin est couvert de pruine, une fine pellicule de buée.
Elle lÚve vers la lumiÚre une grappe de raisin, noir sous son brouillard bleu de pruine impalpable : Lui aussi, dit-elle, il est poudré...


Amours


(26 août 1933)

Colette s'amuse de voir un rouge-gorge triompher contre sa chatte, en lui jetant des invectives
— InsensĂ© ! tremble ! Je suis le rouge-gorge ! [...] Un geste vers le nid oĂč couve ma compagne, et, de ce bec, je te crĂšve les yeux !

Colette se souvient qu’elle a rencontrĂ© cette chatte errante en sortant du mĂ©tro d'Auteuil et songe Ă  tout ce que les chats lui ont apportĂ©.
À frĂ©quenter le chat, on ne risque que de s'enrichir. Serait-ce par calcul que, depuis un demi-siĂšcle, je recherche sa compagnie ?

Puis Colette pense aux chiens « meurtris de peu, pansĂ©s de rien ». Ils lui donnent la sensation d'ĂȘtre indispensable :
Un ĂȘtre existe donc encore, pour qui je remplace tout ? Cela est prodigieux, rĂ©confortant, un peu trop facile.

Mais elle revient Ă  sa chatte et nous raconte comment elle se fit courtiser par trois matous :
Elle parut les oublier longuement et se [percha] sur un pilier [...] d'oĂč sa vertu dĂ©fiait tous les assaillants.


Enfin, Colette la voit descendre de son piĂ©destal. C’est le moment de la laisser Ă  ses amours.
J'abandonnai la chatte Ă  ses dĂ©mons et retournai l'attendre [Ă ] la table oĂč, [...] muette (...] mais rĂ©sonnante d'un sourd murmure de fĂ©licitĂ©, gĂźt, veille ou repose sous ma lampe la chatte, mon modĂšle, la chatte, mon amie.


Un rĂȘve


2 décembre 1933

Au fond d'un rĂȘve, Colette entend un aboiement triste, Ă©touffĂ©. C'est le fantĂŽme d’une chienne de son passĂ©, qui dit avoir mĂ©ritĂ© de revenir...
— Ah ! Je sais ! Tu es Nell, qui tremblait [...] aux plus subtils signes [...] de sĂ©paration, qui se couchait sur le linge blanc [...] de la malle, [...] [espĂ©rant] que je l'emmenasse sans la voir...

Mais non, ce n'est pas Nell. La chienne est déçue, elle croyait ĂȘtre « La chienne » la seule. Colette veut se rattraper : bien sĂ»r, c'est Lola !
Lola... La chienne qui voyageait avec moi toujours, qui savait de naissance comment se comporter en wagon.

Mais non, ce n'est pas Lola non plus. La voix de la chienne fantĂŽme s'Ă©loigne. Colette veut la retenir mais c’est trop tard...
Ne me cherche plus. Tu ne sauras jamais pourquoi j'ai mérité de revenir. Ne tùtonne pas, de ta main endormie, dans l'air noir et bleu qui me baigne, tu ne rencontreras pas ma robe



Portrait photographique de Colette vers 1908.

⇹ * Colette, 𝘓𝘩𝘮 𝘝𝘳đ˜Ș𝘭𝘭𝘩𝘮 đ˜„đ˜Š 𝘭𝘱 đ˜·đ˜Ș𝘹𝘯𝘩 📜 RĂ©sumĂ©-analyse (Texte de la vidĂ©o rĂ©digĂ© au format PDF) *

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