La Fontaine, Fables ,
« Le loup et le chien »
Analyse au fil du texte
Notre Ă©tude porte sur la fable entiĂšre
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le MĂątin Ă©tait de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'Ă vous beau sire,
D'ĂȘtre aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hĂšres, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bĂątons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, Ă son MaĂźtre complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce lĂ ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-ĂȘtre la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
OĂč vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas mĂȘme Ă ce prix un trĂ©sor. "
Cela dit, maĂźtre Loup s'enfuit, et court encor.
Introduction
Pour Ă©crire « Le Loup et le Chien » La Fontaine sâinspire dâune fable dâĂsope, qui est particuliĂšrement courte, Ă©coutez :
Un loup voyant un trĂšs gros chien attachĂ© par un collier lui demanda : « Qui tâa liĂ© et nourri de la sorte ? â Un chasseur, » rĂ©pondit le chien. « Ah ! Dieu [me] garde de cela ! Autant la faim quâun collier pesant. »
Cette fable montre que dans le malheur on nâa mĂȘme pas les plaisirs du ventre.
Ăsope, Fables , « Le Loup et le Chien », VIe siĂšcle av. J.-C.
Chez La Fontaine, on a un vĂ©ritable dialogue : le chien argumente, le loup hĂ©site mais finit par refuser. Avec tout un travail de mise en scĂšne, oĂč on perçoit souvent lâironie du narrateur, le dĂ©tail du cou pelĂ© est habilement amenĂ©, la chute finale remplace bien une morale explicite⊠La Fontaine veut nous amener Ă rĂ©flĂ©chir par nous mĂȘme : quelle est la vĂ©ritable nature de la libertĂ© ?
On peut penser que La Fontaine aura essayĂ© toute sa vie de faire la synthĂšse du loup et du chien, toujours indĂ©pendant et toujours Ă la recherche dâun mĂ©cĂšne... Mais il Ă©tait plutĂŽt loup, et malgrĂ© ses efforts, il sera mauvais courtisan et finira sa vie dans la pauvretĂ©...
Problématique
Comment La Fontaine met-il en scÚne cette rencontre entre deux personnages opposés, pour inviter implicitement son lecteur à mener une réflexion personnelle et émancipatrice sur la liberté ?
Axes de lecture pour un commentaire composé
> La présence du fabuliste qui implique son lecteur.
> La dimension allégorique et philosophique de l'apologue.
> Une opposition de valeurs Ă travers les caractĂšres animaux.
> Des liens avec la société humaine.
> Un récit plaisant à la fois théùtral et poétique.
> Une chute minutieusement préparée.
> Un jeu subtil avec les procĂ©dĂ©s de lâargumentation.
> Une rĂ©Ă©criture qui sâinscrit en rapport avec dâautres textes.
Premier mouvement :
Deux personnages opposés
Un loup nâavait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui sâĂ©tait fourvoyĂ© par mĂ©garde.
Pour nous faire entrer dans la fable, La Fontaine prĂ©sente d'abord « un loup » avec l'article indĂ©fini, qui devient rapidement « ce loup » avec le pronom dĂ©monstratif⊠De mĂȘme « les chiens » au pluriel devient ensuite « un chien » particulier au singulier. Un linguiste dirait quâon passe de l'hyperonyme (le mot qui dĂ©signe la catĂ©gorie) Ă l'hyponyme "un dogue" (un mot qui dĂ©signe un Ă©lĂ©ment de la catĂ©gorie). Ces deux personnages ont bien une dimension allĂ©gorique que le lecteur curieux va devoir deviner.
D'abord, le personnage du loup est dĂ©fini par une restriction « qui n'avait que les os et la peau ». câest un euphĂ©misme (dire peu pour suggĂ©rer plus) le loup est dĂ©possĂ©dĂ© de son propre corps : les « os » et la « peau » s'opposent directement Ă la « graisse » du chien, qui a plein d'adjectifs : « puissant, beau, gras, poli ».
Vu les diffĂ©rences entre les deux animaux, on attendrait naturellement un comparatif qui les oppose, mais ici, ironiquement, le chien n'est comparĂ© qu'Ă lui-mĂȘme « aussi puissant que beau » : implicitement, le loup compte pour rien ! Le fabuliste joue dĂ©jĂ malicieusement avec les attentes du lecteur.
Le loup et le chien sont d'emblĂ©e prĂ©sentĂ©s comme des ennemis naturels : le loup est maigre Ă cause des chiens : « tant » est bien un lien de cause-consĂ©quence ici. Cela en dit beaucoup sur les deux personnages : le loup ne vit que de vol, câest le hors-la-loi typique. De lâautre cĂŽtĂ©, le chien garde les richesses d'autres personnes... On reconnaĂźt dĂ©jĂ ici des caractĂ©ristiques de la sociĂ©tĂ© humaine.
Le loup est le premier personnage prĂ©sentĂ©, sujet du verbe « rencontrer » : c'est bien lui le personnage principal que le lecteur va suivre. Du coup, l'apprĂ©ciation « bonne garde » est assez ironique : câest plutĂŽt une mauvaise nouvelle pour le loup ! La faiblesse de ce personnage interroge le lecteur : est-ce que cette histoire va lui permettre de rĂ©soudre son problĂšme ? On a dĂ©jĂ un effet de suspense qui appelle une rĂ©solution.
La rime est ironique : ce chien qui fait pourtant « bonne garde » s'est fourvoyé par « mégarde » : avec le préfixe mé- qui exprime l'idée d'insuffisance, exactement l'inverse d'une bonne garde. C'est donc une situation exceptionnelle, qui n'arrive jamais et qui va piquer la curiosité du lecteur : le chien se trouve pour ainsi dire, en-dehors de sa juridiction habituelle, il pourra jouer un rÎle légÚrement différent de ce qu'on attend de lui.
Alors qu'on avait de l'imparfait jusqu'ici pour des actions de second plan qui ont durĂ© dans le passĂ©, on a dâun coup un prĂ©sent de narration : pour actualiser des actions qui se sont dĂ©roulĂ©es dans le passĂ©. Dans le schĂ©ma narratif, on arrive directement Ă l'Ă©lĂ©ment perturbateur.
Dâailleurs, juste aprĂšs, le verbe « se fourvoyer » est au passĂ© antĂ©rieur : la situation initiale appartient dĂ©jĂ au passĂ© par rapport au rĂ©cit passĂ©. Comme une scĂšne d'exposition au thĂ©Ăątre, on commence in medias res (au milieu de l'action) pour mieux capter tout de suite lâattention du spectateur.
Le lecteur de l'Ă©poque pense naturellement aux comĂ©dies de MoliĂšre, comme l'Ăcole des Femmes ou Le Misanthrope, oĂč deux personnages trĂšs opposĂ©s sont mis en prĂ©sence dĂšs la premiĂšre scĂšne pour faire ressortir le nĆud de l'intrigue, souvent une question morale ou philosophique.
Et en effet câest bien une question philosophique qui est posĂ©e par cette rencontre. Le chien est « poli » du latin polio, qui donne aussi le verbe polir. C'est-Ă -dire quâil est façonnĂ© par la civilisation... Et dans les faits, on sait que le chien est un loup domestiquĂ©. Câest symbolique : les deux animaux sont choisis par le fabuliste justement pour leur parentĂ© et leur proximitĂ© diffĂ©rente avec l'homme.
La mise en scĂšne est en plus trĂšs soignĂ©e et concise : le verbe « se fourvoyer » campe le dĂ©cor en un instant : on se trouve dans les bois. Comme au thĂ©Ăątre, la fable va obĂ©ir aux trois unitĂ©s de lieu, de temps et d'action. Le chien reste « puissant » et « poli » alors qu'il se trouve en plein territoire hostile. Les personnages vont ĂȘtre obligĂ©s de parler malgrĂ© leurs diffĂ©rences fondamentales : tout ça prĂ©pare la suite de l'intrigue.
DeuxiĂšme mouvement :
Une intrigue qui retient lâattention
Lâattaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup lâeĂ»t fait volontiers :
Mais il fallait livrer bataille ;
Et le mĂątin Ă©tait de taille
à se défendre hardiment.
Le loup donc lâaborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, quâil admire.
On accÚde directement aux pensées du loup au discours indirect libre : les paroles sont reformulées, mais sans indication (ponctuation ou verbe de parole). Au théùtre on aurait un aparté, des paroles destinées au spectateur uniquement. Non seulement le fabuliste met en scÚne son personnage principal, mais en plus il implique le lecteur dans son histoire.
Câest bien la rĂ©action attendue du loup, animal sauvage qui symbolise une certaine violence, surtout en opposition au chien, avec lâallitĂ©ration (le retour de sons consonnes) en K « lâattaquer, le mettre en quartiers ». Les synĂ©rĂšses obligent Ă prononcer deux voyelles voisines dans une mĂȘme syllabe, et le passage des alexandrins aux octosyllabes contribuent encore Ă accĂ©lĂ©rer le rythme. La musicalitĂ© du vers est un outil de mise en scĂšne.
Mais ce schĂ©ma habituel du loup est cassĂ©, cela relance lâintĂ©rĂȘt du lecteur. Le mode subjonctif dĂ©signe une action virtuelle, qui nâest pas rĂ©alisĂ©e. Lâadverbe hardiment devient humblement : deux mots qui se ressemblent mais sâopposent complĂštement. Ensuite « lui fait compliment » ajoute une rime extra-numĂ©raire surprenante : comment, le loup normalement spontanĂ© devient hypocrite ?
En fait, le loup suit un raisonnement qui sâimpose comme une Ă©vidence avec le lien dâopposition et le lien de consĂ©quence : il sait quâil ne peut pas tenir tĂȘte au chien, il agit par instinct de survie. Bon, ce nâest pas non plus le Renard qui prĂ©mĂ©dite ses flatteries pour mieux tromper son adversaire, mais cette situation inhabituelle nous montre un loup sur le point de quitter son stĂ©rĂ©otype, et câest justement tout lâenjeu de la fable !
Le MĂątin, au sens propre, câest un gros chien de garde, mais au sens figurĂ©, le mot peut dĂ©signer une personne qui a beaucoup dâaplomb. La Fontaine sâamuse Ă juxtaposer le monde des animaux et le monde des humains. « Sire loup » renonce à « livrer bataille » : câest un vocabulaire plus adaptĂ© pour raconter une guerre entre deux seigneurs, quâun combat entre un chien et un loup au milieu des bois. Vu son infĂ©rioritĂ© militaire, le loup est obligĂ© de se tourner vers une solution diplomatique.
LâĂ©volution des verbes est frappante : des verbes dâaction pour commencer « attaquer, mettre en quartiers, faire, livrer bataille » puis, uniquement des verbes de parole « aborder, entrer en propos, faire compliment, admirer ». Câest intĂ©ressant parce quâon voit comment la nĂ©cessitĂ© de survie amĂšne la coopĂ©ration et donc le langage : la civilisation incarnĂ©e par le chien est rendue possible parce que le discours a justement remplacĂ© lâusage de la force.
On pourrait aussi lire cette fable en parallĂšle avec Le Loup et l'Agneau, oĂč on fait notamment allusion aux chiens qui gardent les troupeaux. Face au Chien, le Loup est en position dâinfĂ©rioritĂ©, comme l'agneau, sauf que le chien incarne une force diffĂ©rente, celle d'un certain ordre de la sociĂ©tĂ©.
Ici les diffĂ©rents verbes de parole sont en plus au prĂ©sent de narration, ce qui leur donne une certaine vivacitĂ©. On peut mĂȘme percevoir le ton adouci du loup, avec les assonances (retour de sons voyelles) en O et ON . Comme au thĂ©Ăątre, les rĂ©pliques des acteurs font progresser lâintrigue, dans le schĂ©ma narratif, le dĂ©but du dialogue correspond bien aux pĂ©ripĂ©ties.
TroisiĂšme mouvement :
Une argumentation excessive
Il ne tiendra quâĂ vous, beau sire,
DâĂȘtre aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hĂšres et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi ? rien dâassurĂ© ! point de franche lippĂ©e !
Tout Ă la pointe de lâĂ©pĂ©e !
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.
Le loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Le chien appelle le loup « beau sire » alors que lâadjectif nâĂ©tait justement pas pour lui jusque-lĂ . Le narrateur souligne ironiquement lâaspect physique du loup, tout en montrant que le chien est effectivement poli. Le lecteur du XVIIe siĂšcle reconnaĂźt bien les rĂšgles de bonne conduite qui sâinspirent de la rhĂ©torique classique : on commence un discours par un exorde, pour mieux se concilier son auditoire.
Les temps employĂ©s synthĂ©tisent parfaitement l'enjeu du passage, regardez : le futur et lâimpĂ©ratif montrent que le chien dirige la conversation. Ce nâest pas comme si on avait le conditionnel « il ne tiendrait quâĂ vous » non ici le chien est sĂ»r de lui... Le verbe « avoir » renvoie au tout dĂ©but de la fable : avoir un meilleur destin, câest dâabord avoir un peu plus que les os et la peau. dâailleurs le loup reprend Ă son compte le futur du chien : l'argumentation a bien fonctionnĂ©.
Le comparatif est de retour « aussi gras que moi » : le chien est lui-mĂȘme le meilleur exemple de ce destin, oĂč justement on ne meurt pas de faim. On entend bien le jeu avec les rimes qui est significatif : chien rime surtout avec bien. La musicalitĂ© du rĂ©cit identifie parfaitement le discours au personnage.
« Dont la condition est de mourir de faim » : lâexpression est frappante, avec lâattribut du sujet : la mort devient comme une condition de vie. Câest un raisonnement par lâabsurde (on rĂ©fute un positionnement en montrant que ses consĂ©quences sont aberrantes). Câest aussi le destin du loup qui est Ă©voquĂ© : on peut se demander sâil finira ainsi, conformĂ©ment Ă sa nature de loup.
Dans la tragĂ©die, le destin, câest une fatalitĂ©, un avenir irrĂ©vocable. Or ici, le chien parle de « meilleur destin » comme si on pouvait le changer ! Avec en plus des verbes de mouvement Ă lâimpĂ©ratif : « Quittez les bois ⊠Suivez moi ». Dans la tragĂ©die classique, lâunitĂ© de lieu symbolise justement lâenfermement du destin. Est-ce quâon peut vraiment penser que le loup va quitter les bois ?
Et en effet, le loup est sans cesse ramenĂ© Ă ce quâil reprĂ©sente symboliquement « vos pareils » : une classe sociale, ou plus gĂ©nĂ©ralement, le concept de pauvretĂ©. Le mot « cancre » câest un terme vieilli, pour dĂ©signer une personne sans fortune. Une « haire », câest une chemise grossiĂšre, et au sens figurĂ©, par mĂ©tonymie, une personne extrĂȘmement misĂ©rable.
Le Chien utilise les ressources de lâargumentation, mais de maniĂšre un peu exagĂ©rĂ©e : il pose une question rhĂ©torique « Car quoi ? » (câest Ă dire, une question dont la rĂ©ponse sâimpose toute seule), et il y rĂ©pond lui-mĂȘme sans attendre « rien d'assurĂ© » : il implique le loup dans son discours, mĂȘme si câest de maniĂšre un peu grossiĂšre.
Le mot « rien » est central : dâabord parce que ça rĂ©active le portrait du dĂ©but « les os et la peau ». Ensuite parce quâil sâoppose à « tout » qui vient juste aprĂšs. Câest une utilisation trĂšs spĂ©ciale du pronom « tout » dans un sens restrictif : la moindre chose nâest obtenue quâĂ la condition de combattre. Ce « tout » est donc en fait ironiquement trĂšs proche dâun « rien » !
Câest mĂȘme une image trĂšs Ă©vocatrice : « tout Ă la pointe de lâĂ©pĂ©e » : en effet, on ne peut pas mettre grand chose au bout dâune Ă©pĂ©e ! Pour une « franche lippĂ©e » il vaut mieux une assiette. On retrouve la mĂȘme image dans Le Renard et la Cigogne, avec le renard qui parvient Ă laper ce que la cigogne ne peut que picorer.
La « pointe de lâĂ©pĂ©e » câest aussi une expression qui met sire loup dans une activitĂ© aristocratique : le duel Ă lâĂ©pĂ©e. La « lippĂ©e » au contraire concerne seulement les animaux. Le fabuliste sâamuse Ă juxtaposer les deux univers, il joue avec les limites du genre. Dâailleurs, les illustrations de cette fable vont bien dans ce sens, en reprĂ©sentant les deux animaux en habit.
Si on compare avec la version de PhÚdre, La Fontaine a rendu la morale beaucoup plus implicite, il développé la dimension argumentative du discours du chien, et réduit au maximum les paroles du loup :
Je dirai en peu de mots combien la libertĂ© est douce. Un loup d'une maigreur excessive rencontra un chien gros et replet. AprĂšs un salut, ils s'arrĂȘtĂšrent : « D'oĂč vient, dit le loup, que ton poil est si brillant ? oĂč te nourris-tu, pour avoir un si bel embonpoint ? Moi, qui suis bien plus fort, je meurs de faim. â Ce bonheur sera le tien, rĂ©pondit le Chien avec franchise, si tu peux rendre au maĂźtre les mĂȘmes services que moi.
PhÚdre, Fables , « Le Loup et le Chien », Ier siÚcle aprÚs J.-C.
Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens
Portants bĂątons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, Ă son maĂźtre complaire ;
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons ;
Sans parler de mainte caresse.
La rĂ©plique du chien est mise en scĂšne au discours direct (les paroles sont rapportĂ©es telles quelles, sans modification). Dans certains cas, lâĂ©diteur restitue des marques de dialogue. En tout cas, cette maniĂšre de citer permet au narrateur de ne pas prendre le discours en charge lui-mĂȘme, et donc Ă©ventuellement, de sâen moquer, et vous allez voir quâil ne va pas sâen priver !
Câest une rĂ©plique en deux parties : dâabord les devoirs, ensuite les avantages. Entre les deux, « moyennant quoi » fait office de lien logique de consĂ©quence : le Chien veut montrer que le salaire est assurĂ© justement, avec le verbe ĂȘtre au futur de lâindicatif (pour des actions certaines dans lâavenir) : tous les avantages forment alors ensuite un mĂȘme attribut du sujet.
Câest toute une stratĂ©gie argumentative, regardez, dâabord il minimise ses devoirs « presque rien » en trois vers seulement, avec 3 verbes Ă lâinfinitif comme si câĂ©tait une formule magique... Ensuite, il exagĂšre les avantages avec des adverbes intensifs « force ⊠maintes » en essayant dâallonger la liste sur quatre vers.
Mais on voit bien en mĂȘme temps le travail de sape du fabuliste pour affaiblir le discours du chien : plutĂŽt des vers longs pour les devoirs, et des vers courts pour les avantages comme si la liste Ă©tait artificiellement gonflĂ©e. Vous allez voir que le discours du Chien est souvent comme ça confrontĂ© Ă lâironie du moraliste.
Par exemple, il termine un peu nĂ©gligemment avec « sans parler de » câest une prĂ©tĂ©rition (on dit quelque chose justement en affirmant qu'on ne le dit pas). Il laisse entendre que la liste pourrait continuer sâil le voulait, mais on devine quâen fait il est Ă court dâexemples. Dans certaines Ă©ditions, on a mĂȘme des points de suspension ici.
Rentrons maintenant dans le dĂ©tail de cette liste. « Donner la chasse » ce nâest pas comme « combattre », il attĂ©nue son rĂŽle. Avec ce verbe, on voit dĂ©jĂ les gens sâenfuir, et mĂȘme, on les entend avec les assonances (retour de sons voyelles) en AN et la diĂ©rĂšse sur « mendiants » (deux voyelles voisines prononcĂ©es dans deux syllabes sĂ©parĂ©es).
Le terme « gens » est trĂšs imprĂ©cis, et lâenjambement (la phrase se prolonge sur le vers suivant) laisse un moment oĂč le loup peut se sentir visĂ©. Sâil rejoint le chien, il ne se contente pas de changer radicalement : il passe Ă lâennemi. Est-ce que câest vraiment envisageable ? On peut en douter : ce premier argument du Chien prend mal en considĂ©ration le point de vue du loup.
Dâailleurs, on a bien basculĂ© dâun point de vue Ă lâautre : « donner la chasse » pour le chien, câest seulement courir aprĂšs des ennemis. Pour le loup qui court surtout aprĂšs la nourriture, lâactivitĂ© du chien câest plutĂŽt « faire bonne garde ». Les deux regards ne sont pas seulement diffĂ©rents, ils sont carrĂ©ment opposĂ©s.
Mais le Chien prĂ©cise : les gens « portant bĂąton » : câest une pĂ©riphrase pour dĂ©signer les pĂšlerins (on dit en plusieurs mots ce quâon pourrait dĂ©signer en un seul). En plus, il minimise son rĂŽle avec modestie : rien de dangereux, le bĂąton nâest pas une arme (on est loin de « la pointe de lâĂ©pĂ©e ») câest une simple canne. Lâenjambement crĂ©e en plus un rythme boiteux : sous-entendu, il suffit de faire fuir des gens qui ont dĂ©jĂ du mal Ă se soutenir.
La pĂ©riphrase assez longue est elle-mĂȘme suivie dâun terme trĂšs court « et mendiants » sans mĂȘme prendre la peine dâutiliser un dĂ©terminant. RejetĂ© en fin de phrase aprĂšs la virgule, ce ne sont vraiment que des dĂ©tails dans la vie du chien, un reste nĂ©gligeable.
Ensuite, « flatter ceux du logis » pour le coup, on a une rĂ©fĂ©rence explicite Ă la cour de Louis XIV Ă Versailles, oĂč les courtisans doivent justement courtiser le roi. Les moralistes adorent dĂ©noncer les hypocrites dont les flatteries servent leurs intĂ©rĂȘts personnels...
Le verbe « complaire » est encore un euphémisme ironique : il signifie en fait « obéir ». Le Chien a délibérément abandonné sa liberté. On peut penser au célÚbre Discours de la Servitude Volontaire de La Boétie :
Le tyran voit les autres qui sont prĂšs de lui, coquinant et mendiant sa faveur [...] Ce nâest pas tout [...] que de lui obĂ©ir, il faut encore lui complaire ; [...] quâils forcent leur complexion, quâils dĂ©pouillent leur naturel ; [...] Quelle condition est plus misĂ©rable que de vivre ainsi, quâon nâaie rien Ă soi, tenant dâautrui son aise, sa libertĂ©, son corps et sa vie ?
La Boétie, Discours de la servitude volontaire , 1576.
Les deux verbes « flatter ⊠complaire » forment un chiasme (une structure en miroir) avec les complĂ©ments au milieu : comme des cercles concentriques oĂč le chien se trouve emprisonnĂ©. En sous-main, le fabuliste dĂ©crĂ©dibilise le discours du chien, et prĂ©pare la chute de la fable.
De mĂȘme, le mot « reliefs » est attĂ©nuĂ© : le chien se garde dâutiliser le terme « reste » trop dĂ©prĂ©ciatif, mais encore acceptable pour des animaux. Par contre, le lecteur nâest pas dupe : La Fontaine joue souvent avec ce dĂ©calage entre les animaux et les hommes, propre Ă la fable, pour faire ressortir lâinjustice dâune situation.
Dâailleurs Ă la cour de Versailles, Louis XIV vendait les restes de sa propre table. La Fontaine fait donc remarquer discrĂštement que les courtisans sont traitĂ©s un peu comme le chien de la fable.
Le chien met en valeur ses repas, la quantitĂ© « force reliefs » et la variĂ©tĂ© « de toutes les façons » câest Ă dire, cuisinĂ© de toutes les maniĂšres possibles. Ce qui manque implicitement câest lâidĂ©e de qualitĂ© : les restes peuvent tout aussi bien ĂȘtre avariĂ©s...
Tout est justement trĂšs imprĂ©cis, des « reliefs » des « façons »... La « caresse » mĂȘme peut nâavoir quâun sens figurĂ©, surtout si lâon transpose lâhistoire dans le monde des courtisans : bien souvent leurs efforts ne sont payĂ©s que de mots... On passe en plus du pluriel au singulier : ces indices discrĂ©ditent le discours du chien.
Regardez comment le chien donne Ă voir ses repas : normalement, câest Renart qui dĂ©peint ainsi des mets savoureux pour duper son interlocuteur, câest le cas dans le Roman de Renart par exemple. Ici, le chien utilise le mĂȘme procĂ©dĂ©, mais ça rĂ©vĂšle dâautant mieux sa diffĂ©rence fondamentale avec le Renard : il ne songe pas Ă tromper le loup, il est sincĂšrement heureux de son compromis.
« Os de poulets os de pigeon » ça intĂ©resse le loup, mais le fabuliste fait un clin dâoeil Ă son lecteur humain moins sensible Ă ce menu ! Dâabord, lâanaphore rhĂ©torique (la rĂ©pĂ©tition dâun mĂȘme terme en dĂ©but dâun ensemble) prouve bien que les repas ne sont pas si variĂ©s. En plus, les os, câest justement la seule chose que le loup possĂšde dĂ©jĂ depuis le dĂ©but de la fable !
Enfin, les humains sont Ă©trangement anonymes : « ceux du logis » avec le pronom dĂ©monstratif qui rend totalement indiffĂ©rent le fait dâavoir tel ou tel maĂźtre. Dâailleurs le pronom possessif est aussi ironique : comme si le Chien possĂ©dait son maĂźtre et non lâinverse ! Avec cette allusion, le fabuliste nous invite Ă rĂ©flĂ©chir au-delĂ de la seule alternative Loup / Chien. Que reprĂ©sentent les humains chez La Fontaine ?
HĂ© bien justement, si on regarde d'autres fables, comme « Le Loup et les Bergers » ou « L'Homme et la Couleuvre », l'homme est reprĂ©sentĂ© comme le plus ingrat des animaux. La prĂ©sence de lâhomme dans la fable, câest souvent une invitation Ă sâextraire du rĂ©cit pour mieux rĂ©flĂ©chir au cadre lui-mĂȘme.
TroisiĂšme mouvement :
Une chute au service de lâesprit critique
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le cou du chien pelé.
Quâest-ce lĂ ? lui dit-il. â Rien. â Quoi ! rien ! â Peu de chose. â
Mais encor ? â Le collier dont je suis attachĂ©
De ce que vous voyez est peut-ĂȘtre la cause.
Le Loup sâapproprie le discours du Chien avec la voix pronominale « se forge » : le pronom personnel rĂ©flĂ©chi en fait le destinataire. Le mot « fĂ©licitĂ© » est en plus particuliĂšrement bien choisi, du latin felicitas = bonheur, mais aussi, prospĂ©ritĂ©. Le loup se projette dĂ©jĂ tellement dans lâavenir quâil pleure sur sa propre condition prĂ©sente : câest une marque de moquerie du fabuliste.
Le participe prĂ©sent inscrit lâaction dans la durĂ©e : câest un moment de silence qui suit le discours du Chien. Dâun point de vue narratif, la fable bascule alors sur un simple mot « pĂȘlĂ© », mis en valeur aprĂšs la virgule. Câest bien ça le pouvoir des fables, un fait a plus de force que tous les discours : la marque du collier, lâabsence de pelage sur le cou, symbolise lâabsence de libertĂ©.
On retrouve le discours direct, mais cette fois-ci, changement de rythme, les rĂ©pliques sâenchaĂźnent : quatre dans un seul alexandrin, c'est plutĂŽt rare ! Au thĂ©Ăątre, on appellerait ça des stichomythies (rĂ©pliques qui s'enchaĂźnent rapidement). Cela redonne de la vivacitĂ© au rĂ©cit, et on comprend que le loup reprend le contrĂŽle de la conversation.
Par rapport à la version de PhÚdre, on voit que La Fontaine a concentré tous les arguments du chien au début, pour mieux donner le dernier mot au loup, regardez :
Chemin faisant, le loup voit le cou du Chien pelĂ© par l'effet de la chaĂźne. Qu'est cela, ami ? â Rien. â Dis-le moi, je te prie. â Comme on me trouve vif, on m'attache pendant le jour pour que je dorme quand luit le soleil, et que je puisse veiller dĂšs que vient la nuit ; le soir, on m'ĂŽte ma chaĂźne, et je cours oĂč je veux. On m'apporte du pain, mon maĂźtre me donne des os de sa table [...] Ainsi, sans travailler, je me remplis le ventre.
PhÚdre, Fables , « Le Loup et le Chien », Ier siÚcle aprÚs J.-C.
On retrouve le mot « rien » qui constitue une rĂ©plique Ă lui tout seul, et qui est rĂ©pĂ©tĂ© une deuxiĂšme fois. Du coup le chien est obligĂ© de se reprendre : « peu de chose ». La fable permet de faire ressortir les ficelles de lâargumentation du chien : parfois, « rien » ça reste quelque chose.
Dâailleurs le Chien utilise souvent des petites expressions dâattĂ©nuation « presque rien ⊠peu de choses ⊠peut-ĂȘtre », et Ă la fin « pas toujours ». Il tente de dissimuler la cause qui fait tomber Ă lâeau toute la logique de son raisonnement. Les trois verbes actifs donner la chasse, flatter, complaire, deviennent un verbe passif « ĂȘtre attachĂ© ». Les actes deviennent un Ă©tat, le collier imprime sa marque dans le corps mĂȘme du chien.
Le « collier » est bien un symbole de servitude, avec la subordonnĂ©e qui constitue un plĂ©onasme (la rĂ©pĂ©tition dâune mĂȘme idĂ©e) : porter un collier et ĂȘtre attachĂ© sont une seule et mĂȘme chose. Câest tellement vrai que ce verbe est au prĂ©sent dâĂ©nonciation : lâaction est vraie au moment oĂč on parle⊠MĂȘme au milieu des bois et sans son collier, il reste attachĂ©, il nâa pas de libertĂ©. Câest une caractĂ©ristique constante de sa condition de vie.
On peut remarquer aussi que, dans cette voix passive, le complĂ©ment dâagent nâest pas exprimĂ©. Encore une fois, celui qui brille par son absence dans cette fable, câest lâĂȘtre humain : câest lui qui impose ce choix entre misĂšre ou servitude. Indirectement, La Fontaine interroge le bien fondĂ© du pouvoir.
Attaché ! dit le loup : vous ne courez donc pas
OĂč vous voulez ? â Pas toujours ; mais quâimporte
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas mĂȘme Ă ce prix un trĂ©sor.
Cela dit, maĂźtre loup sâenfuit, et court encor.
Le loup interrompt le chien en alternant la premiĂšre et deuxiĂšme personne. Il a le premier et le dernier mot, alors que le chien nâa pas mĂȘme un vers entier. Câest bien le loup qui clĂŽt le dĂ©bat en cette fin de la fable : dans les fables de La Fontaine, câest souvent le personnage qui parle le moins qui a finalement raison, car la sagesse ne passe pas nĂ©cessairement par les paroles.
Dans la mĂȘme logique, les mots qui ont le plus de poids se confondent souvent avec des actions comme « attachĂ© » qui nie le verbe « courir ». La Fontaine joue avec les limites de la valeur performative du langage : quand la parole vaut pour un acte. Le Loup vocalise « attachĂ© » comme une exclamation, voire une onomatopĂ©e. Ce mot est en soi un acte de rejet.
Aucun raisonnement logique ou argumentĂ© nâest nĂ©cessaire pour justifier le refus du loup, il lui suffit de rĂ©pĂ©ter le mĂȘme verbe Ă la forme nĂ©gative : « je ne veux point et ne voudrait ». Face au « rien » du chien, il oppose un catĂ©gorique « en aucune sorte ».
Le loup rebondit toujours prĂ©cisĂ©ment sur les mots du chien : « rien », puis « attachĂ© » et enfin « importe ». Ce sont autant de points dâachoppement entre les 2 personnages : ce qui nâest rien pour l'un est au contraire ce qui importe le plus pour lâautre : du latin in portare = porter au-dessus. Alors que la question rhĂ©torique du chien attendait implicitement en rĂ©ponse rien ; le loup lui renvoie « si bien » câest Ă dire exactement lâinverse.
Dans le schéma narratif, ce revirement catégorique du loup produit un effet de chute : au lieu de trouver une résolution dans la situation finale, on en revient à la situation initiale.
Le mot « encor » et le prĂ©sent de narration qui tend vers un prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale (pour des actions vraies en tout temps) semblent figer cette derniĂšre image comme une image dâĂ©pinal : le loup ne pourrait, ni dans le passĂ© ni dans lâavenir, renoncer Ă la libertĂ©, sinon, il ne serait plus loup. Mais est-ce que cette inflexibilitĂ© ne lâenferme pas lui aussi dans un cercle vicieux ?
Câest dâailleurs typique dans le thĂ©Ăątre classique : les personnages sont immuables, parce quâils reprĂ©sentent une idĂ©e conduite jusquâĂ ses ultimes consĂ©quences. Dans la tragĂ©die, PhĂšdre ne peut cesser dâaimer Hippolyte. Dans la comĂ©die, Harpagon ne peut cesser dâĂȘtre avare, Dom Juan reste un Dom Juan, peut-ĂȘtre mĂȘme aprĂšs sa mort... Bref, le loup ne pouvait que rester loup.
Dans cette fable, le mot qui reprĂ©sente le mieux le personnage du loup, câest finalement le verbe « courir » qui revient deux fois. Musicalement, il est mis en valeur par lâenjambement qui illustre bien cette soif du loup de fuir sans cesse : sa libertĂ© a plus de valeur quâun trĂ©sor ! Mais est-ce que le fabuliste lui donne pour autant raison sans rĂ©serve ?
Le dernier vers de La Fontaine nâexiste pas dans la version de PhĂšdre :
Mais, dis-moi, si tu veux sortir, le peux-tu ? â Pas tout Ă fait. â Jouis donc, mon ami, des douceurs que tu me vantes ; quant Ă moi, je ne changerais pas ma libertĂ© contre une couronne.
PhÚdre, Fables , « Le Loup et le Chien », Ier siÚcle aprÚs J.-C.
Dans ce dernier vers le loup semble libre et pourtant incapable de se libĂ©rer de sa condition initiale... Câest fin en demi-teinte oĂč il apparaĂźt finalement tout aussi extrĂȘme que le Chien. Or La Fontaine prĂŽne la modĂ©ration. Lâabsence de morale ne nous invite pas tant Ă nous rĂ©signer avec le loup, quâĂ penser une voie intermĂ©diaire et modĂ©rĂ©e.
DerniĂšre question : pourquoi transformer la couronne quâon trouve chez PhĂšdre, en trĂ©sor ? Il me semble que câest une preuve que La Fontaine dissimule sciemment les enjeux de pouvoir, pour mieux les laisser briller par leur absence : au lecteur maintenant dâexercer son esprit critique.
Conclusion
Dans cette fable, La Fontaine prĂ©fĂšre terminer sur une image forte : la fuite du loup affirme mieux lâimportance de la libertĂ© que les meilleurs discours. Et pourtant la libertĂ© du loup semble Ă©trangement figĂ©e, sans issue.
Peut-ĂȘtre alors que la confrontation de ces deux animaux fait ressortir prĂ©cisĂ©ment ce qui les oppose : leur rapport Ă lâhomme. Nâest-ce pas lui qui oppose la sĂ©curitĂ© Ă la libertĂ© ? Dans quelle mesure est-ce un choix figĂ© et sans nuance ?
Câest peut-ĂȘtre lĂ tout le drame de La Fontaine finira sa vie dans la pauvretĂ©, malgrĂ© ses tentatives pour devenir courtisan⊠Mais ce faisant, il nous aura laissĂ© une Ćuvre inĂ©puisable et Ă©mancipatrice.
âšÂ La Fontaine, Les Fables đŒ Le Loup et le Chien (extrait)
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