La Fontaine, Fables, 1678.
« La cour du lion »
(explication linéaire)
Notre Ă©tude porte sur la fable entiĂšre
Sa Majesté Lionne un jour voulut connaßtre
De quelles nations le ciel l'avait fait maĂźtre.
Il manda donc par Députés
Ses Vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les cÎtés
Une circulaire Ă©criture,
Avec son sceau. L'Ă©crit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour pléniÚre, dont l'ouverture
Devait ĂȘtre un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince Ă ses sujets Ă©talait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colĂšre
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur :
Il n'Ă©tait ambre, il n'Ă©tait fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succĂšs, et fut encor punie.
Ce Monseigneur du Lion-lĂ
Fut parent de Caligula.
Le Renard Ă©tant proche : Or cĂ , lui dit le sire,
Que sens-tu ? dis-le moi : parle sans déguiser.
L'autre aussitĂŽt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez Ă la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincĂšre ;
Et tùchez quelquefois de répondre en Normand.
Introduction
Accroche / amorce
âą La Fontaine, aprĂšs la disgrĂące de son protecteur Nicolas Fouquet, Ă©volue en marge de la cour.
⹠Il dédicace son premier recueil de Fables au Dauphin, et le deuxiÚme à Mme de Montespan, il est apprécié pour son talent, mais il ne sera jamais courtisan de Louis XIV.
âą La Fontaine a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© au roi lors de sa rĂ©ception Ă lâAcadĂ©mie en 1684, mais sinon, il ne lâaurait jamais rencontrĂ©.
Situation de lâextrait
⹠Ses fables illustrent bien la méfiance de La Fontaine pour la cour, son étiquette, ses rÚgles arbitraires.
⹠Dans notre fable, le sort malheureux des courtisans animaux nous est raconté de maniÚre à la fois plaisante et instructive.
⹠DerriÚre le conseil donné aux courtisans se cache une réflexion politique subversive.
Problématique
Comment le fabuliste, par le rĂ©cit captivant des mĂ©saventures dâanimaux courtisans, fait en rĂ©alitĂ© une satire qui dĂ©nonce les consĂ©quences dâun exercice tyrannique du pouvoir ?
Mouvements de lâexplication linĂ©aire
La fable est structurĂ©e en trois Ă©tapes qui sont marquĂ©es par trois liens logiques : « donc » signale la dĂ©cision du roi ; « dâabord » introduit la maladresse du premier courtisan ; « Or » (lien dâopposition) introduit le dĂ©fi que le roi fait au Renard, dont la ruse amĂšnera la conclusion et la morale de la fable.
1) Le caprice dâun roi autoritaire et orgueilleux
2) L'effroyable punition de courtisans maladroits
3) Une ruse et une morale qui interrogent le pouvoir
Axes de lecture du commentaire composé
I. Un récit mis en scÚne de maniÚre captivante
1. Une intrigue qui captive et maintient lâattention
2. Une mise en scĂšne dramatique
3. LâĂ©chec de toutes les stratĂ©gies
II. Le détour par un monde animal calqué sur celui des humains
1. Des animaux qui ont des traits de caractĂšre humain
2. Un univers et des références culturelles humaines
3. Un systÚme de pouvoir féodal qui porte un propos politique
III. Une double rĂ©flexion morale et politique sur les dangers dâun pouvoir arbitraire
1. Une satire portée par le regard du moraliste
2. LâexcĂšs de flatterie est provoquĂ© par lâexcĂšs dâautoritĂ©
3. Un pouvoir qui empĂȘche lâexpression sincĂšre des sujets
Premier mouvement :
Le caprice dâun roi autoritaire et orgueilleux
Sa Majesté Lionne un jour voulut connaßtre
De quelles nations le ciel l'avait fait maĂźtre.
Il manda donc par Députés
Ses Vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les cÎtés
Une circulaire Ă©criture,
Avec son sceau. L'Ă©crit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour pléniÚre, dont l'ouverture
Devait ĂȘtre un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince Ă ses sujets Ă©talait sa puissance.
Comment la fable nous présente-t-elle le roi des animaux ?
âą Majuscule à « Sa MajestĂ© » le personnage est introduit dâabord par son titre, le plus Ă©levĂ© de la hiĂ©rarchie.
âą Lâadjectif « lionne » qualifie la majestĂ©, il sâagit bien dâun lion, roi des animaux, avec ses caractĂ©ristiques habituelles.
âą Possessif pluriel « ses vassaux » : le Roi peut sâenorgueillir dâavoir de nombreux Vassaux.
âą La rime « connaĂźtre / maĂźtre » laisse entendre encore un certain orgueil : il veut se rendre compte de lâĂ©tendue de son territoire.
âš DĂšs le premier abord, le fabuliste montre une intention de moraliste.
Comment sâexprime la volontĂ© morale dans le dĂ©but de cette fable ?
âą Le plus que parfait « dont le ciel lâavait fait maĂźtre » : La Fontaine fait bien rĂ©fĂ©rence Ă une monarchie de droit divin (quâil ne remet pas en question, il nâest pas rĂ©volutionnaire). Cependant, le ciel donne au Roi une responsabilitĂ© envers ses sujets. Lâintention du moraliste est prĂ©sente dans cette simple rĂ©fĂ©rence.
âą Le monarque dâabord « Sa majestĂ© » puis « le Roi » est maintenant « Le Prince » câest le titre de lâessai de Machiavel.
âš La Fontaine veut dĂ©jĂ nous laisser entendre que ce roi est prĂȘt Ă tout pour asseoir son autoritĂ©.
Comment le caprice de ce roi met-il en place lâintrigue ?
âą Le passĂ© simple « voulut connaĂźtre » met en place lâintrigue, tout part dâune volontĂ© du roi des animaux.
âą Lâaction suit immĂ©diatement « il manda donc » ce Roi suit sans dĂ©lai son caprice.
âą Le participe prĂ©sent « envoyant » montre lâaction en train de se rĂ©aliser, un Roi qui donne des ordres impĂ©rieux Ă tous, partout Ă la fois.
âš Ce passage nous montre lâaction dâun roi autocratique, qui donne un ordre que personne ne peut refuser.
Comment comprend-on que cet ordre écrit est impérieux ?
âą Le complĂ©ment circonstanciel « avec son sceau » prĂ©cise que le roi tient Ă donner lâordre lui-mĂȘme.
âą La Fontaine insiste sur la procĂ©dure « une circulaire Ă©criture » lâimage du cercle est comme un piĂšge, un collet : personne ne peut y Ă©chapper.
âą Lâenjambement « LâĂ©crit portait // que ⊠» introduit de maniĂšre dynamique le contenu des mandats envoyĂ©s.
âš Lâart subtil du moraliste nous fait dĂ©jĂ comprendre que tout ce qui arrivera est en fait une consĂ©quence de lâorgueil de ce roi.
Comment est dĂ©jĂ exprimĂ© lâexcĂšs dâorgueil de ce roi ?
⹠La diérÚse à « lionne » allonge encore le mot de façon un peu artificielle, le gonfle inutilement.
âą Lâadverbe intensif « un fort grand festin » exagĂšre lâopulence du festin : le seul qui soit donnĂ© pendant un mois entier.
âą La rime « festin ⊠fagotin » est moqueuse : il sâagit des tours dâun singe savant lors dâune foire. Cela nâa rien de prestigieux (surtout dans un monde dâanimaux).
âš Ces indices rĂ©vĂšlent dĂ©jĂ lâorgueil du roi. Le fabuliste intervient lui-mĂȘme discrĂštement pour juger ce personnage.
Comment le fabuliste discrĂ©dite Ă lâavance lâaction de ce roi ?
⹠Le démonstratif suivi du terme excessivement élogieux « ce trait de magnificence » nous laisse deviner le regard ironique du fabuliste.
âą Le verbe « Ă©taler » est connotĂ© : il nâest pas si puissant que ça. Mais La Fontaine est prudent, il flatte Louis XIV qui est en train de faire construire Versailles et ne peut pas se reconnaĂźtre dans ce lion.
⹠Le CC de but « par ce trait » qui introduit une multiplication des possessifs nous donne un aperçu du point de vue du roi : il veut absolument montrer « sa puissance » à « ses sujets ».
⚠Nous avons donc un premier mouvement qui nous dépeint un roi plein de défauts, finalement trÚs humains.
Comment ce monde animal est-il déjà rapproché de celui des humains ?
⹠Le pluriel de « nations » insiste sur le double sens, animal et humain, (la nation des renards, des ours, etc.)
âą De mĂȘme, « toute nature » joue sur ce double tableau humain et animal (on verra que chaque animal est un caractĂšre).
⹠Champ lexical de la monarchie et de la politique : le Roi a des « Députés » et des « Vassaux » ce sont bien les mécanismes du pouvoir humain qui sont visés à travers cette fable.
âą Lâexpression « cour plĂ©niĂšre » est solennelle : tous les seigneurs importants du Royaume se doivent dâĂȘtre lĂ .
âš Ce premier mouvement ne se contente pas de mettre en place le dĂ©cor, il annonce dĂ©jĂ que les intentions du fabuliste vont au-delĂ dâune simple morale.
DeuxiĂšme mouvement :
L'effroyable punition de courtisans maladroits
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colĂšre
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur :
Il n'Ă©tait ambre, il n'Ă©tait fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succĂšs, et fut encor punie.
Ce Monseigneur du Lion-lĂ
Fut parent de Caligula.
La fable développe la tradition qui met en parallÚle animaux et humains
âą Antonomase : « son Louvre » le nom propre est utilisĂ© comme un nom commun pour parler dâune cour. La cour des animaux est implicitement comparĂ©e Ă celle de lâĂ©poque.
âą La majuscule « LâOurs » signale bien que La Fontaine campe des personnages qui ont un caractĂšre stĂ©rĂ©otypĂ©. Lâours est un baron un peu fruste et maladroit, qui ne sait pas dĂ©guiser ses pensĂ©es.
⹠La ponctuation expressive « Quel Louvre ! » souligne la remarque du fabuliste qui est bien présent ici pour critiquer la cour de ce lion.
⚠Le fabuliste organise son récit pour captiver son lecteur.
Comment lâart du rĂ©cit de La Fontaine maintient-il lâattention du lecteur ?
âą Lâadverbe intensif « un vrai charnier » nous donne bien Ă voir lâantre dâun lion qui dĂ©vore ses proies. Cela en dit long sur la cruautĂ© dont le personnage fera preuve ensuite.
âą Le lien chronologique « dâabord » ouvre ce mouvement avec cette odeur qui cause la maladresse de lâours. Le lecteur est intriguĂ©.
âą Le fabuliste intervient directement au subjonctif « il se fĂ»t bien passĂ© » il annonce que cet Ours va mal finir (câest une prolepse, qui fait allusion Ă la suite du rĂ©cit).
⚠Le fabuliste ménage ses surprises et met en scÚne soigneusement cette premiÚre maladresse.
Comment la maladresse de lâours est-elle thĂ©ĂątralisĂ©e ?
âą La syllepse par le nombre « sa narine » dĂ©signe en fait les deux narines. Cela imite le geste des pattes de lâours qui bouche son nez.
âą Le dĂ©monstratif « cette mine » renvoie au possessif « sa grimace ». Normalement Ă la cour, il faut porter un masque, et cacher ses vĂ©ritables sentiments. La Fontaine fait allusion au thĂšme baroque du theatrum mundi (le monde est un thĂ©Ăątre oĂč chacun joue un rĂŽle).
âą Le verbe « dĂ©plaire » nâa pas de complĂ©ment car ce qui dĂ©plaĂźt au roi dĂ©plaĂźt aussi Ă tous les courtisans qui sont spectateurs.
⚠Comme les autres personnages présents devant la scÚne, nous allons assister à une exécution sommaire choquante.
En quoi cette exécution arbitraire peut-elle choquer le lecteur ?
âą La pĂ©riphrase « lâenvoya chez Pluton » est un euphĂ©misme pour dire quâil lâa condamnĂ© Ă mort et exĂ©cutĂ© sans procĂšs. Câest un abus de pouvoir dâune grande violence.
âą La dĂ©sinvolture de lâexpression « faire le dĂ©goĂ»tĂ© » nous laisse entendre la voix moqueuse du lion lui-mĂȘme, au discours direct libre.
âą Le dĂ©monstratif « cette sĂ©vĂ©ritĂ© » en feignant dâattĂ©nuer la brutalitĂ© de la dĂ©cision, la renforce au contraire (litote).
⚠Le point de vue du moraliste, présent à travers sa maniÚre de raconter, se retrouve aussi pour conter la maladresse du singe.
Comment le moraliste désapprouve-t-il la flagornerie du singe ?
âą AprĂšs un acte aussi arbitraire, la rĂ©action du singe est clairement excessive : le moraliste insiste avec lâadverbe intensif « approuva fort ».
âą Une pĂ©riphrase dĂ©signe le singe « flatteur excessif » clairement, le moraliste nâapprouve pas la dĂ©cision du singe, au nom des valeurs de modĂ©ration du classicisme.
âą Le mĂȘme mot revient sous diffĂ©rentes formes « flatteur ⊠flatterie » câest un polyptote. Le moraliste souligne la connotation nĂ©gative.
âą Les liens dâaddition sont multipliĂ©s (polysyndĂšte), les louanges sont excessives : « la colĂšre⊠et la griffe et lâantre... et lâodeur »
âą Par mĂ©tonymie (glissement de sens) « la griffe » peut dĂ©signer en rĂ©alitĂ© la violence du personnage : donc rien quâon ne puisse louer.
⚠La démarche du singe amorce une véritable satire des flatteurs.
Comment se développe cette satire de la flatterie ?
âą Le singe sâessaye Ă un compliment trop sophistiquĂ© (amphigouri), avec une comparaison impossible (dâoĂč la nĂ©gation et le subjonctif) : « il nâĂ©tait parfum qui ne fĂ»t ail ».
âą En fait, cette comparaison est une figure dâexagĂ©ration (hyperbole). Il dit que lâantre du lion sent tellement bon que les parfums les plus subtils semblent avoir une odeur dâail en comparaison.
âą Le parallĂ©lisme « Il nâĂ©tait ambre, il nâĂ©tait fleur » semble abrĂ©ger le discours trop long du Singe qui sâĂ©coute parler.
âš Le moraliste sâamuse de la flatterie excessive du singe, il le rend ridicule mais laisse bien entendre quâil ne mĂ©rite pas la mort !
Comment nous laisse-t-il comprendre que câest une faute mineure ?
âą Lâexpression « une sotte flatterie » minimise cette faute qui nâest au fond quâun manque dâintelligence.
âą Le rĂ©sultat nâest quâun « mauvais succĂšs ».
âą Pourtant la punition est la mĂȘme « fut encore punie ».
âą Le seul adverbe « encor » laisse entendre que le Singe a subi exactement le mĂȘme sort que lâOurs.
âš La satire dâun pouvoir injuste est donc encore plus forte que celle de la flatterie des sujets, qui au fond, est causĂ©e par la peur.
Comment La Fontaine transmet-il cette satire du pouvoir ?
⹠La Fontaine prend une précaution en désignant trÚs précisément « Ce Monseigneur Lion-là » il laisse entendre que bien sûr, il ne vise pas Louis XIV dont les jugements ne sont pas remis en question.
⹠Ce roi des animaux est donc plutÎt comparé à Caligula, un empereur romain qui est célÚbre pour ses exécutions abusives.
âš La fable joue sur les deux tableaux : une critique du comportement des courtisans, qui dĂ©nonce en fait les excĂšs dâun souverain.
TroisiĂšme mouvement :
Une ruse et une morale qui interrogent le pouvoir
Le Renard Ă©tant proche : Or cĂ , lui dit le sire,
Que sens-tu ? dis-le moi : parle sans déguiser.
L'autre aussitĂŽt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
Sans odorat ; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez Ă la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincĂšre ;
Et tùchez quelquefois de répondre en Normand.
Une situation pĂ©rilleuse et intrigante qui relance lâattention
âą Le troisiĂšme mouvement commence par la prĂ©sence du Renard : tout le monde connaĂźt ce personnage. Cela produit un effet dâattente : la fable se terminera certainement par une ruse.
âą Le participe prĂ©sent « Ă©tant proche » joue sur la crainte : face Ă un tel monarque, nâimporte qui, obligĂ© dâĂȘtre lĂ , peut se trouver en situation de risquer et de perdre sa vie.
âą La question du lion commence par un lien dâopposition « Or ça » il laisse au Renard une chance de se montrer meilleur courtisan que les deux autres. Mais cela lui laisse peu dâoptions.
⚠On devine que la question est un piÚge, car chaque réponse peut mener à la mort.
Comment comprend-on que cette question constitue un piĂšge ?
⹠La question piÚge du roi est rapportée cette-fois au discours direct, (avec un verbe de parole et des guillemets).
âą Câest une question ouverte « Que sens-tu ? » mais il nây a pas de bonne rĂ©ponse, car la vĂ©ritĂ©, câest que lâantre du lion sent le cadavre de ses victimes. Le renard a peu de chance de sâen sortir.
âą Enfin, il nâest pas possible de ne pas rĂ©pondre. La question du lion comporte deux impĂ©ratifs « dis ⊠parle ».
âš Le comportement du roi dĂ©montre quâil nâest pas un bon souverain. Ce passage a une dimension satirique importante.
Comment sâexprime la dimension satirique de cet ordre ?
âą Lâordre du roi « parle sans dĂ©guiser » est paradoxalement impossible, par sa cruautĂ©, le lion se prive de toute rĂ©ponse sincĂšre, mĂȘme sâil insiste pour en obtenir une. Le moraliste montre donc ici les limites dâun pouvoir excessivement autoritaire.
⹠Le pronom « le » est en fait le prétexte que le lion cherche pour exécuter un troisiÚme de ses vassaux.
âš Le fabuliste joue avec le plaisir des attentes du lecteur, qui attend du renard une ruse, un trait dâesprit.
Comment est mise en valeur la vivacitĂ© dâesprit du renard ?
âą Lâadverbe « aussitĂŽt » prouve que le Renard a un excellent sens de la rĂ©partie. Il est capable dâimproviser une ruse rapidement.
âą Le fabuliste rapporte dâabord ses excuses, puis ses justifications, et enfin, indirectement, ses paroles : « je ne peux rien dire, sans odorat ».
⹠La négation « je ne peux rien dire » est intéressante, puisque le Renard parle. Cet aspect paradoxal de la ruse la rend plaisante.
âą La prĂ©position privative « sans odorat » crĂ©e un effet humoristique, comme si le manque dâodorat pouvait le rendre muet.
âą Lâenjambement « il ne pouvait que dire // sans odorat » met encore en valeur cette chute qui est un trait dâesprit.
âš Tout lâart du fabuliste est de maĂźtriser un rĂ©cit court avec des effets parfaitement calculĂ©s pour parvenir Ă ses fins
Comment comprend-on que le fabuliste a atteint son but ?
âą Le fabuliste manie un art du rĂ©cit court, une fois quâil a atteint son objectif, il abrĂšge en quatre syllabes « bref, il sâen tire. » Cela produit un effet dâaccĂ©lĂ©ration qui participe Ă la dimension plaisante de la fable.
âą Contrairement aux autres personnages, dont le sort est racontĂ© au passĂ© simple, le Renard « sâen tire » au prĂ©sent. On comprend : il est toujours en vie aujourdâhui, lui.
⹠La morale est indissociable du récit, elle est introduite par le pronom « Ceci » qui reprend tout ce qui précÚde.
âš La fable est un apologue, câest-Ă -dire, un petit rĂ©cit qui illustre une morale.
Comment la morale répond-elle parfaitement au récit qui précÚde ?
âą La morale se prĂ©sente comme un double conseil : ce quâil ne faut pas faire « ne soyez pas » et ce quâil faut faire « tĂąchez de⊠»
⹠Les deux maladresses sont deux écueils coordonnés : « Ni fade adulateur, ni parleur trop sincÚre ».
⹠La stratégie du renard est une troisiÚme option : « répondre en Normand » joue avec un stéréotype régional, selon lequel les Normands ne diraient jamais explicitement oui ou non.
⹠La subordonnée de condition « si vous voulez y plaire » cache en fait une réalité plus violente « si vous voulez survivre ».
⚠Souvent chez La Fontaine, le récit dépasse en réalité la morale pour lui donner une nouvelle profondeur.
Comment se traduit la profondeur insoupçonnée de cette morale ?
âą La modalisation interroge : pourquoi « quelquefois » ? La cour nâest-elle pas un piĂšge perpĂ©tuel ? La Fontaine introduit une certaine nuance, mais en faisant cela il laisse apparaĂźtre la responsabilitĂ© du roi.
âą On peut aussi sâinterroger sur lâadverbe intensif « trop sincĂšre » : il est Ă©trange quâun moraliste critique ainsi cette valeur de sincĂ©ritĂ©.
âą Cela nous alerte sur le sens plus profond et politique de cette fable. Le manque de sincĂ©ritĂ© est provoquĂ© par lâattitude du souverain.
âą En effet, dâun point de vue de lâĂtat, cette morale nâapporte rien dâutile : les flatteries deviennent des non rĂ©ponses.
âš La morale de cette fable nâĂ©vacue pas toute la dimension satirique du rĂ©cit qui prĂ©cĂšde, au contraire, elle nous laisse deviner que sous le propos de moraliste qui dĂ©plore les excĂšs des courtisans, se cache une rĂ©flexion politique plus profonde.
Conclusion
Bilan
Dans cette fable, La Fontaine met en scĂšne de maniĂšre plaisante les mĂ©saventures de courtisans qui mettent en place des stratĂ©gies qui intriguent le lecteur. [II] Le dĂ©tour par des animaux permet de caricaturer les dĂ©fauts du monde des humains, les mĂ©canismes Ă lâĆuvre dans les enjeux de pouvoir [III] Ainsi, les interventions discrĂštes du moraliste, feignant de donner des conseils aux courtisans, dĂ©nonce en rĂ©alitĂ© toutes les dĂ©rives dâun pouvoir monarchique autoritaire, qui se prive de conseils sincĂšres, par lâexercice dâun pouvoir tyrannique.
Ouverture
Plus tard, dâautres auteurs pousseront jusquâĂ lâabsurde la reprĂ©sentation des colĂšres et de l'orgueil des hommes de pouvoir. Par exemple, Alfred jarry reprĂ©sente les excĂšs dâUbu Roi, dâune maniĂšre tellement vive quâon parle encore aujourd'hui de « situation ubuesque ».
MERE UBU : De grĂące, modĂšre-toi, PĂšre Ubu.
PERE UBU : J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.
Alfred Jarry, Ubu roi, 1896.
Autre ouverture possible
Au XXe siĂšcle, pour illustrer sa philosophie de lâabsurde, Camus mettra en scĂšne le personnage de Caligula dans une piĂšce de thĂ©Ăątre :
CALIGULA. â A la bonne heure! (Il boit.) Ăcoute, maintenant. (RĂȘveur.) Il Ă©tait une fois un pauvre empereur que personne n'aimait. Lui, qui aimait Lepidus, fit tuer son plus jeune fils pour s'enlever cet amour du cĆur. (Changeant de ton.) Naturellement, ce n'est pas vrai. DrĂŽle, n'est-ce pas ? Tu ne ris pas. Personne ne rit ?
Grandville, La cour du lion,1838 (ia enhanced).