Couverture pour Le Menteur

Corneille, Le Menteur, 1644.
Résumé-analyse détaillé




Avec Le Menteur, en 1644, Corneille n'en est pas à son coup d’essai ! Il a commencé sa carrière avec des comédies comme Mélite en 1625, et il devient célèbre grâce à une tragi-comédie, Le Cid en 1636.

Le Cid, c'est une grande querelle ! On lui reproche de ne pas avoir suivi La Poétique d'Aristote… L'Académie française, fondée par Richelieu en 1634, tranche le débat :
Cet agrément inexplicable qui se mêle dans tous ses défauts lui ont acquis un rang considérable.
Sentiments de l'Académie française sur la tragi-comédie du Cid, 1640.

Désormais, les règles classiques sont claires : trois unités, bienséance, vraisemblance. Corneille se fait alors connaître comme tragédien avec Horace, Cinna… Quand il présente une comédie, Le Menteur en 1644, le public est surpris, mais conquis, et réclame la Suite du Menteur.

Au XVIIe siècle, le théâtre se développe : l'architecture (parterre, balcons, loges) y donne accès à diverses classes sociales. Louis XIII et Richelieu subventionnent des salles, des troupes et des dramaturges. Les comédiens du Roi jouent à l'Hôtel de Bourgogne, et sont concurrencés notamment par le théâtre du Marais qui jouent les premières représentations du Menteur.

Acte I



Scène 1



« Dorante » (prénom habituel pour un jeune premier) vient d'arrêter ses études de droit à Poitiers pour monter à Paris. Il a donc été formé à la rhétorique et à l'éloquence ! Comme Dorante, Corneille a suivi des études de droit : mais il cesse de plaider pour devenir maître des eaux et forêts, ce qui lui laisse le loisir d'écrire…

Mais revenons à Dorante : il très heureux d'être à Paris (unité de lieu volontairement assez large). À cette époque, la capitale est florissante, Richelieu et Louis XIII ont rénové le Louvre. Dorante et son valet Cliton se promènent dans le jardin des Tuileries.

DORANTE.
À la fin j'ai quitté la robe pour l'épée [...]
Mon père a consenti que je suive mon choix
Et j'ai fait banqueroute à ce fatras de Lois.

CLITON
Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.
Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés,
L’effet n’y répond pas toujours à l’apparence.


Cliton s'improvise conseiller en séduction, mais il explique surtout comment être généreux, avec profit ! Maladroit, mais perspicace, Cliton présente Paris comme un grand théâtre.

Jeu avec les apparences, ambitions mêlées, inconstance amoureuse… Tous ces thèmes contribuent au thème baroque du Theatrum Mundi : le monde est un théâtre où chacun joue un rôle. C’est une esthétique de l’illusion et de l’instabilité.

Et en effet, la période historique est instable ! Louis XIII est mort le 14 mai 1643. Louis XIV n’a encore que 4 ans, Anne d’Autriche assure la régence avec Mazarin. Les nobles questionnent le pouvoir royal, préparent ce qu'on appellera la Fronde (1648–1653).

Devenu roi, Louis XIV fera tout pour contrôler les nobles. Les historiens de l'art opposent ainsi au baroque le classicisme qui valorise l'ordre, la clarté, la stabilité.

Scène 2



Entrent alors sur scène Lucrèce et Clarice, qui fait un faux pas... Les didascalies laissent même entendre qu'elle le fait exprès.

CLARICE, (...) comme se laissant choir.
Ay. (...)

DORANTE, lui prenant la main.
C'est pour moi, Madame, un bonheur souverain
Que cette occasion de vous donner la main.


Dans un langage amoureux subtil, Dorante avoue qu'il aurait voulu qu'elle fit exprès de lui donner la main… Et il lui déclare sa flamme !

CLARICE.
Cette flamme, Monsieur, est pour moi fort nouvelle, [...]
Mais peut-être, à présent que j'en suis avertie,
Le temps donnera place à plus de sympathie.


Ces réflexions empruntent au courant de la préciosité : à la même époque, dans les Salons, comme celui de Mme de Rambouillet, on débat sur l'amour, avec un langage très imagé. Cela participe d'ailleurs à une certaine émancipation féminine.

Emblème de la préciosité, la carte de Tendre que Mme de Scudéry insère dans son roman-fleuve Clélie, représente le cheminement de l'amour, où la sincérité est une étape incontournable…

Scène 3



Dorante ment une première fois en disant qu’il a fait la guerre en Allemagne. En effet à l’époque la France s'oppose à la maison de Habsbourg, c’est la guerre de Trente Ans (1618-1648).

CLARICE.
Quoi, vous avez donc vu l'Allemagne, et la guerre ?

DORANTE
Je m'y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.


Dorante s'invente alors un glorieux passé militaire. Le soldat fanfaron est récurrent au théâtre : Matamore dans L'Illusion Comique, le miles gloriosus des comédies latines, Capitan dans la commedia dell’Arte…

Cliton spectateur du mensonge, sait que son maître arrive de Poitiers, pense alors qu’il est devenu fou… Sa réaction est très drôle, d'autant qu'il était joué par Jodelet, un acteur comique très apprécié à l’époque.

CLITON, le tirant par la basque.
Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ?

DORANTE. à Cliton.
Te tairas-tu, maraud ?

À Clarice
Nos armes n'ont jamais remporté de victoire
Où cette main n'ait eu bonne part à la gloire (...)
Et je suivrais encore un si noble exercice,
N'était que l'autre hiver [...]
Je vous vis, et je fus retenu par l'amour.


Corneille prête à Dorante l'invention d'un dilemme cornélien : le devoir ou l'amour ? Il affirme qu'il a quitté l'armée pour elle. Clarice, flattée, prend congé.

Scène 4



Dorante demande à Cliton s’il connaît le nom cette femme si aimable. Cliton, valet avisé, a consulté le cocher, qui affirme que Lucrèce est la plus belle des deux. Dorante s’exclame : c’est elle, celle qui lui a parlé, la plus belle. Mais Cliton en doute :

CLITON
Quoique mon sentiment doive respect au vôtre,
La plus belle des deux, je crois que ce soit l'autre.


Cliton explique longuement que pour lui, la plus belle, c'est la plus silencieuse… Il n’est guère convaincant, mais le spectateur comprend que c’est le début d’un quiproquo (une confusion de personnes).

Scène 5



Dorante retrouve deux amis, Alcippe et Philiste. Il fait alors son deuxième mensonge : il prétend avoir donné une fête extraordinaire en bateau, en l'honneur d'une dame qu'il aime.

DORANTE.
Je fis de ce bateau la Salle du festin ;
Là je menai l'objet qui fait seul mon destin.


Un fois que Dorante est parti, Alcippe se tourne vers Philiste : il pense que la dame pour qui cette fête a été donnée est sa fiancée…

Scène 6



Se retrouvant seul avec Cliton, son valet lui reproche ses mensonges :

CLITON.
Pourquoi depuis un an vous feindre de retour ?

DORANTE.
J'en montre plus de flamme, et j'en fais mieux ma Cour.


Dorante explique alors pourquoi il ment : un étudiant en droit n'est pas aussi séduisant qu’un cavalier !

On pense alors à un autre personnage qui utilise le mensonge pour séduire : Don Juan, qui apparaît en 1630 dans une pièce de Tirso de Molina, qui inspirera Molière. Mais Dorante est différent de Don Juan : il n’est pas animé de mauvaises intentions, mais il est ambitieux.

DORANTE.
On s'introduit bien mieux à titre de vaillant.
[...] Et tel à la faveur d'un semblable débit
Passe pour homme illustre, et se met en crédit.


Il justifie ainsi ses deux premiers mensonges : accéder à la meilleure société. Mais Cliton s'inquiète : S'il rencontre un autre menteur ? Dorante dit qu'il fera un mensonge encore plus grand pour faire taire ceux qu’il appelle « conteurs de Nouvelles ».

DORANTE.
Si tu pouvais savoir quel plaisir on a lors
De leur faire rentrer leurs Nouvelles au corps...

CLITON
Je le juge assez grand, mais enfin ces pratiques
Vous peuvent engager en de fâcheux intriques.


Cliton rappelle ainsi souvent les dangers du mensonge. On se demande alors : Dorante sera-t-il puni à la fin ? C’est le cas dans la pièce espagnole qui sert de modèle à Corneille, La Vérité suspecte.

Acte II



Scène 1



Clarice parle avec Géronte, le père de Dorante. Il lui propose d'épouser son fils unique, c’est un écolier, mais il a une belle allure. Elle n'est pas contre, mais elle demande à le voir d'abord.

GÉRONTE
Je le tiendrai longtemps dessous votre fenêtre,
Afin qu'avec loisir vous puissiez [...]
Examiner sa taille, et sa mine, et son air.


Scène 2



Clarice confie à sa suivante qu’elle aimerait surtout lui parler, pour voir sous le masque des apparences :

CLARICE
Le dedans paraît mal en ces miroirs flatteurs,
Les visages souvent sont de doux imposteurs.


Isabelle lui demande pourquoi elle ne va pas simplement lui parler... Ce n'est pas possible parce que Clarice est fiancée à Alcippe, qui ne semble pourtant pas très pressé de se marier...

CLARICE
Depuis plus de deux ans il promet et diffère,
Tantôt c'est maladie, et tantôt quelque affaire, (...)
Je prends tous ces délais pour une résistance,
Et ne suis pas d'humeur à mourir de constance.


À l'époque, il est rare qu'une femme ne se marie pas, Clarice ne serait pas contre un autre prétendant… Isabelle imagine un stratagème : pour qu'Alcippe ne se doute de rien, il suffit de lui donner rendez-vous, cette nuit, sous la fenêtre de Lucrèce !

ISABELLE
Et là sous un faux nom vous pourrez lui parler,
Sans qu'Alcippe jamais en découvre l'adresse.


En redoublant ainsi le quiproquo, Corneille s’éloigne de la farce ou de la Commedia dell’arte, joue avec une esthétique baroque de la confusion, et donne une nouvelle profondeur à la comédie.

Scène 3



Arrive alors Alcippe, très en colère. Il accuse Clarice de le tromper, et mentionne le grand dîner sur l'eau qu'on vient de lui raconter.

ALCIPPE
Choisis une autre fois un Amant plus discret,
Lui-même m'a tout dit.

CLARICE
Qui, lui-même ?

ALCIPPE
Dorante !
T'en ai-je dit assez ? Rougis, et meurs de honte.

CLARICE.
Je ne rougirai point pour le récit d'un conte.


Scène 4



Alcippe resté seul n'est pas convaincu par les dénégations de Clarice : il fait un monologue de dépit amoureux.

ALCIPPE
Va, ris de ma douleur alors que je te perds,
Par ces indignités romps toi-même mes fers, [...]
Je cours à la vengeance, et porte à ton Amant
Le vif et prompt effet de mon ressentiment.


Il veut provoquer Dorante en duel ! Ce qui touche aux limites de la bienséance… Le duel est une pratique interdite par Richelieu en 1626.

Scène 5



Géronte retrouve son fils Dorante, et lui annonce qu’il veut le marier à une certaine Clarice.

GÉRONTE
Je la connais assez. Clarice est belle et sage (...)
Son père de tout temps est mon plus grand ami,
Et l'affaire est conclue.


Pour rester libre pour Lucrèce, Dorante invente son troisième mensonge : alors qu’il était encore à Poitiers, il fut obligé d’épouser une certaine Orphise… Il raconte qu’il fut surpris, de nuit, chez elle. L’anecdote triviale, racontée sur un ton épique, est héroï-comique, elle détourne une esthétique bien connue des spectateurs.

DORANTE
Nous nous barricadons [...] Mais [...]
D’une chambre voisine on perce la muraille : [...]
Ils étaient les plus forts, [...]
Le scandale était grand, son honneur se perdait,
À ne le faire pas, ma tête en répondait.


Dorante joue plusieurs rôles, représente les actions avec un art de l'hypotypose (des descriptions saisissantes et animées) qui paraissent convaincantes malgré leur invraisemblance… Géronte, loin de la figure habituelle de père intraitable des comédies, se laisse convaincre : après tout, l'honneur est sauf, même si elle n’est pas riche.

Mais le spectateur se demande : est-il bien moral que Dorante s'en tire avec un mensonge ? Au XVIIe siècle, le théâtre est vu comme un moyen d'instruire et de plaire, selon Horace : « placere et docere »… L'expression « Castigat ridendo mores » (corriger les mœurs par le rire) est attribuée à Jean de Santeul à peu près dans ces années 1640.

Scène 6



Dorante se retrouve seul avec Cliton, et lui révèle qu'il vient, à l'instant, de tout inventer.

DORANTE.
Oh ! L'utile secret que mentir à propos !

CLITON
Quoi, ce que vous disiez n'est pas vrai ?

DORANTE
Pas deux mots.


Dorante rassure Cliton en expliquant ce nouveau mensonge : éviter un mariage forcé pour épouser celle qu'il aime… cela le rend acceptable. La pièce semble alors faire un éloge paradoxal du mensonge (valoriser une chose normalement blâmée)... Mais ironiquement, puisque Dorante vient d'empêcher le mariage auquel il aspire justement…

Scènes 7 et 8



Sabine, la femme de chambre de Lucrèce, donne à Dorante un billet, qui le convie sous la fenêtre de sa maîtresse. Pour Dorante, cela confirme bien le prénom de celle qu’il préfère…

Après le départ de Sabine, arrive Lycas, le valet d'Alcippe : il porte un billet qui le provoque en duel. Dorante est surpris, mais il sait qu'il trouvera les mots pour s’en tirer.

Acte III



Scène 1



Dorante et Alcippe étaient sur le point de se battre en duel, mais Philiste a réussi à les réconcilier. Mais Dorante a renchéri sur son mensonge : la femme pour qui il a donné son fameux dîner était une femme mariée…

Scène 2



Dès que Dorante est parti, Philiste en dit plus à Alcippe : ce n'est pas Dorante qui a donné ce dîner, puisqu’il vient tout juste de Poitiers. Alcippe est offusqué :

ALCIPPE
Tout homme de courage est homme de parole, [...]
Et fuit plus que la mort la honte de mentir...

PHILISTE
[...] Dorante, à ce que je présume,
Est vaillant par Nature, et menteur par coutume.


Alcippe reconnaît que le mensonge était invraisemblable, et qu'il a été aveuglé par la jalousie.

Scène 3



Clarice a aperçu Dorante : c’est le jeune homme qui se disait cavalier. Il a donc menti, puisqu’il vient de Poitiers ! Isabelle tente de l’apaiser :

ISABELLE
Eh bien, cette pratique est-elle si nouvelle ?
[...] Pour vous plaire, il a voulu paraître,
Non pas pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il veut être,


Mais ce n’est pas tout, il a inventé une histoire de dîner dont Alcippe est venu se plaindre… et le projet de mariage est annulé parce qu’il a déjà une épouse à Poitiers !

ISABELLE
Ah, je dis à mon tour : « qu'il est fourbe, Madame ! »
C'est bien aimer la fourbe et l'avoir bien en main,
Que de prendre plaisir à fourber sans dessein.


Clarice et Isabelle décident de profiter du rendez-vous sous la fenêtre de Lucrèce, pour le confondre.

Scène 4



Dorante arrive de nuit sous la fenêtre de Lucrèce, place Royale. C'est très proche des Tuileries : Corneille joue avec les unités de temps et de lieu. Cliton, perspicace, se demande si son maître n'est pas lui-même dupe de la jeune fille.

CLITON
[...] Monsieur, ce serait pour me bien divertir,
Si comme vous Lucrèce excellait à mentir.

DORANTE
Le Ciel fait cette grâce à fort peu de personnes.
Il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins,
Ne se brouiller jamais, et rougir encor moins.


Scène 5



Clarice se dissimule à la fenêtre de Lucrèce et se fait passer pour elle.

CLARICE
Êtes-vous là, Dorante ?

DORANTE
Oui, Madame, c'est moi,
Qui veux vivre et mourir sous votre seule loi.


Cliton et Dorante ont reconnu la voix de celle qu'ils pensent être Lucrèce. Cliton admet que c’était donc bien elle la plus belle.

DORANTE
Moi marié ! Ce sont pièces qu'on vous a faites.
Quiconque vous l'a dit s'est voulu divertir. [...]
Que le foudre à vos yeux m'écrase si je mens.


Dorante lui dit qu'il est prêt à demander sa main, pour lui ôter ses doutes. Mais Clarice énumère ses mensonges : la guerre, le dîner, et le mariage qu'il cache. Cela renforce la sensation de vertige.

Cliton se demande bien comment son maître va s'en sortir ! Mais Dorante reste confiant : il affirme « De ces inventions, chacune a sa raison » et notamment, ce mariage est un faux :

DORANTE
Je fais par cet Hymen banqueroute à tous autres.
J'évite tous leurs fers pour mourir dans les vôtres.


Clarice, toujours dans le rôle de Lucrèce, s'étonne alors : n'a-t-il pas fait la cour à Clarice ce matin même ? Dorante nie, puisqu'il pense sincèrement avoir parlé avec Lucrèce. Clarice insiste :

CLARICE
Aujourd'hui cependant on me dit qu'en plein jour
Vous lui serriez la main, et lui parliez d'amour.

DORANTE
Je n'ai ni feux, ni vœux que pour votre service,
Et ne puis plus avoir que mépris pour Clarice. [...]


Clarice, choquée d'un tel aplomb, le congédie.

Scène 6



Dorante, qui est resté avec Cliton, est le premier surpris : pourquoi ne l'a-t-elle pas cru alors qu'il disait la vérité ? Cliton le met en garde :

CLITON
Quand un menteur la dit,
En passant par sa bouche elle perd son crédit.


Acte IV



Scènes 1 et 2



Cliton raconte alors à Dorante une rumeur : il paraît qu'Alcippe s'est battu en duel. Dorante confirme tout de suite la nouvelle :

DORANTE
Nous nous battîmes hier, et j'avais fait serment
De ne parler jamais de cet événement ;
Mais à toi, de mon coeur l'unique secrétaire,
À toi, de mes secrets le grand dépositaire,
Je ne cèlerai rien, puisque je l'ai promis.


Dorante invente alors un nouveau mensonge, sans raison : il a laissé Alcippe pour mort après deux coups d’estocade ! Mais coup de théâtre voilà qu'arrive Alcippe, très heureux : il leur annonce qu’il va bientôt se marier avec Clarice !

Scène 3



Cliton est offusqué de comprendre que son maître lui a menti sans hésitation, et sans raison.

CLITON
Quoi, Monsieur [...]
À moi de vos secrets le grand dépositaire [...]


Mais Dorante renchérit de manière invraisemblable :

DORANTE
Ne t'a-t-on point parlé d'une source de vie
Que nomment nos guerriers poudre de Sympathie ?
[...] Qui rappelle si tôt des portes du trépas,
Qu'en moins d'un tournemain on ne s'en souvient pas.


Scènes 4 et 5



Géronte arrive, il voudrait proposer à Orphise de venir à Paris ! Dorante surenchérit sur son précédent mensonge : sa femme Orphise ne peut voyager, elle est enceinte de plus de 6 mois. Il se trompe dans le prénom de son beau-père mais parvient de justesse à se rattraper.

Une fois Géronte reparti, Cliton s’amuse de l’erreur de Dorante, et le met encore en garde :

CLITON
Il faut bonne mémoire après qu'on a menti.

DORANTE
L'esprit a secouru le défaut de mémoire.


Scènes 6 et 7



Pour revoir Lucrèce, Dorante s'adresse à Sabine, et lui propose même une véritable pluie de pistoles si elle veut bien lui porter une lettre. Puis il la laisse avec Cliton.

Seul avec Sabine, Cliton lui demande si vraiment sa maîtresse aime Dorante. Sabine lui explique : Lucrèce se méfie, car Dorante ment beaucoup. Cliton essaye de défendre son maître :

CLITON
Les menteurs les plus grands disent vrai quelquefois. (...)
Il n'a fait toute nuit que soupirer d'ennui.


Ce dialogue montre bien le rôle des valets et suivantes qui débloquent l'intrigue en donnant une place à la vérité. Ce jeu entre vérité et mensonge constitue bien l'unité d'action de la pièce.

Scène 8



Sabine donne à sa maîtresse la lettre de Dorante :

LUCRÈCE, après avoir lu.
Dorante avec chaleur fait le passionné,
Mais le fourbe qu'il est nous en a trop donné,
Et je ne suis pas fille à croire ses paroles. [...]


Elle dit alors à Sabine qu’elle veut bien le rencontre, mais il faut lui dire qu'elle a déchiré sa lettre !

Scène 9



Clarice vient annoncer à Lucrèce qu'elle va finalement épouser Alcippe. Elle lui conseille de se méfier de Dorante, mais Lucrèce commence à avoir des sentiments pour lui :

LUCRÈCE
La curiosité souvent dans quelques âmes
Produit le même effet que produiraient des flammes.


Acte V



Scène 1



Géronte demande à Philiste s'il peut l’aider à trouver l’adresse d’Orphise, la femme de Dorante, il veut lui envoyer une lettre de félicitations. Philiste étonné laisse entendre que Dorante a menti.

PHILISTE
Il nous servit hier d'une collation
Qui partait d'un esprit de grande invention
Et si ce mariage est de même méthode,
La pièce est fort complète, et des plus à la mode.


Scène 2



Géronte, se retrouvant seul, se lamente d'avoir été ainsi trompé par son propre fils :

GÉRONTE
Comme si c'était peu pour mon reste de vie
De n'avoir à rougir que de son infamie
L'infâme se jouant de mon trop de bonté
Me fait encor rougir de ma crédulité.


Corneille fait ainsi référence à sa propre pièce Le Cid, en parodiant le célèbre monologue de Don Diègue « ô vieillesse ennemie ! » qui rime également avec « infâmie »…

Scène 3



Géronte retrouve Dorante, et le réprimande : pourquoi lui avoir fait croire à ce mariage ? Il n’en avait aucune nécessité.

GÉRONTE
[...] Te portais-je à la gorge un poignard ?
Si quelqu'aversion t'éloignait de Clarice,
Quel besoin avais-tu d'un si lâche artifice ?


Dorante explique qu’il voulait rester libre pour Lucrèce, qui lui plaît. C’est la première fois que le spectateur lui-même pense que Dorante dit la vérité… Géronte accepte d'aller demander la main de Lucrèce, mais c'est la dernière chance qu'il donne à son fils.

Scène 4



Mais à peine son père est-il sorti que Dorante avoue à Cliton qu’il n'est pas sûr de préférer Lucrèce finalement…

DORANTE
Sa compagne, ou je meure, a beaucoup d'agrément.
Aujourd'hui que mes yeux l'ont mieux examinée,
De mon premier amour j'ai l'âme un peu gênée.

CLITON
Quoi, même en disant vrai, vous mentiez en effet ?


Cliton lui rappelle qu'il vient justement de rejeter Clarice : le voilà bien puni de ses mensonges ! Mais le spectateur qui connaît le quiproquo, comprend que tout s’arrange au contraire.

On retrouve un motif comparable dans L'Illusion Comique, où Pridamant, le père de Clindor, ne comprend qu'à la fin que son fils est comédien… Les deux pièces partagent une esthétique baroque.

Scène 5



Sabine trouve trop difficile de répéter le mensonge de sa maîtresse, elle avoue que Lucrèce n'a pas déchiré le billet...

SABINE
Elle m'avait donné charge de vous le dire,
Mais à parler sans fard... (...)
Elle n'en a rien fait et l'a lu tout entier.
Je ne puis si longtemps abuser un brave homme.


Dorante se réjouit et lui demande : a-t-il une chance d'être aimé de Lucrèce ? Sabine lui dit qu’il doit d’abord gagner sa confiance.

Scène 6



Entrent alors Clarice et Lucrèce. Dorante s'adresse à Clarice (pensant toujours que c’est Lucrèce, et fait référence au moment où ils se sont rencontrés aux Tuileries.

DORANTE
Ah, que loin de vos yeux
Les moments à mon cœur deviennent ennuyeux.

CLARICE
Mais enfin vous n'avez que mépris pour Clarice ?
Je ne sais plus moi-même, à mon tour, où j'en suis.
Lucrèce, écoute.


Dorante comprend instantanément le quiproquo. À part, Cliton triomphe : c'était donc bien Lucrèce, la silencieuse, la plus belle ! Toujours à part, Dorante confirme que ça l’arrange.

DORANTE
Mon cœur déjà penchait où mon erreur le jette.
Ne me découvre point, et dans ce nouveau feu
Tu vas me voir, Cliton, jouer un nouveau jeu.


Le spectateur se demande quel sera ce dernier mensonge… Clarice reprend la parole.

CLARICE
Comme elle est mon amie, elle m'a tout appris,
Cette nuit vous l'aimiez, et m'avez méprisée,
Laquelle de vous deux avez-vous abusée ?


Alors malicieusement, Dorante leur fait croire qu’il a fait semblant d’être dupe, pour les punir.

DORANTE, à Clarice.
[...] Ne vous ai-je point reconnue à la voix ?
Vous pensiez me jouer, et moi je vous jouais.

DORANTE, à Lucrèce.
Sous votre nom, Lucrèce, et par votre fenêtre
Clarice m'a fait pièce, et je l'ai su connaître
Elle avait mes discours, mais vous aviez mon cœur.


Ce dernier mensonge retourne la situation, et rend possible le dénouement heureux. Ainsi, Corneille ne condamne pas le mensonge (contrairement à son modèle espagnol)... À une nuance près : ce dernier mensonge, à la limite du vraisemblable, appartient au monde du théâtre, comme un deus ex machina (quand un dieu vient résoudre l’intrigue).

DORANTE.
Si mon père à présent porte parole au vôtre,
Après son témoignage en voudrez-vous quelqu'autre ?
Qu'à de telles clartés votre erreur se dissipe.


Cette parole est convaincante parce qu’elle a la valeur d’un acte : on parle souvent au théâtre de valeur performative du langage, la demande en mariage en est un parfait exemple !

Scène 7



La journée n'est pas encore terminée. Alcippe avance, prêt à épouser Clarice. Les deux jeunes femmes confirment qu’elles acceptent. Tout le monde part célébrer le double mariage, Cliton reste seul :

CLITON, seul.
Comme en sa propre fourbe un menteur s'embarrasse !
Peu sauraient comme lui s'en tirer avec grâce.
Vous autres qui doutiez s'il en pourrait sortir,
Par un si rare exemple apprenez à mentir.


Alors, Dorante est-il vraiment un exemple à suivre ? L'adjectif « rare » révèle une intention ironique… De tels mensonges peuvent-ils réussir dans la réalité ?

Dans La Suite du Menteur, on découvrira que ce mariage de Dorante avec Lucrèce ne sera pas si heureux que cela. Comme le héros de La Vérité suspecte, que ses mensonges ont précipité dans un mariage non désiré. Mais La Suite du Menteur n'aura pas un grand succès, et sera la dernière comédie de Corneille.



Anonyme, La place Royale, vers 1660.

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