🎭 Apprenez à mentir ! Est-ce vraiment le conseil de Corneille ? En trois citations, on va voir ce que son Menteur peut nous apprendre sur le mensonge, la comédie, et la vraie vie.
Première citation
Acte I scène 6
DORANTE.
On s'introduit bien mieux à titre de vaillant.
[...] Et tel à la faveur d'un semblable débit
Passe pour homme illustre, et se met en crédit.
Dans la première citation, Dorante donne à son valet Cliton la première raison pour laquelle il ment : il veut « s’introduire » dans la société. C’est un moyen d’ascension sociale.
Les verbes sont révélateurs : « s’introduire … passer pour … se mettre en crédit. » Ils sont au présent de vérité générale : pour Dorante, si on veut parvenir, le mensonge est utile en tout temps et en tous lieux.
Et surtout, tout le monde peut en user « on s’introduit… tel… » ces pronoms indéfinis peuvent désigner n’importe qui. Aux yeux de Dorante, la société entière est un théâtre, où chacun tente de « passer pour » pour ce qu’il n’est pas.
C’est ce qu’on appelle un effet de mise en abyme, notre pièce illustre le thème baroque du Theatrum Mundi : le monde est un théâtre, où nous sommes tous des acteurs.
Ici, Dorante justifie notamment le mensonge qu’il vient de faire : « un semblable débit ». En se présentant comme un cavalier, ayant combattu en Allemagne, il s’est en quelque sorte décerné à lui-même le « titre de vaillant », avec les verbes pronominaux « s’introduire… se mettre en crédit ».
Mais au fond, les mensonges ne sont qu’une avance : en passant pour un « homme illustre », il « se met à crédit » c’est-à-dire qu’il finit par le devenir réellement aux yeux des autres.
Deuxième citation
Acte III scène 3
ISABELLE
Eh bien, cette pratique est-elle si nouvelle ?
[...] Pour vous plaire, il a voulu paraître,
Non pas pour ce qu'il est, mais pour ce qu'il veut être.
CLARICE.
[...] Explique, si tu peux, encor ses impostures :
Il était marié sans que l’on en sût rien ;
Dans la deuxième citation, Isabelle (la suivante de Clarice) tente de défendre Dorante, car Clarice a découvert qu’il n’est pas du tout un cavalier, mais bien un étudiant en droit qui vient d’arrêter ses études.
Pour le défendre, elle utilise un premier argument : « cette pratique est-elle si nouvelle ? » C’est une question rhétorique : une question dont la réponse est implicite. En effet, cette pratique est en fait assez banale, tous les jeunes gens se mettent en valeur pour réussir et pour séduire, ce n’est pas si grave.
Deuxième élément qui vient l’excuser : le complément circonstanciel de but « pour vous plaire ». Isabelle dit que Dorante ne fait cela que parce qu’il est charmé par Clarice, et qu’il veut la séduire. Ce n’est pas si condamnable !
Troisième argument qui vient atténuer la faute de Dorante : le mensonge révèle des valeurs profondes : « il a voulu paraître, non pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il veut être ». Quand il ment, Dorante admire sincèrement la vaillance et le courage.
Mais Isabelle sera vite forcée de reconnaître « l’imposture » de Dorante qui « est déjà marié » !… Ce mariage est en réalité un autre mensonge qu’il a fait à son père. C’est le mécanisme même de cette pièce : chaque mensonge annonce un nouveau péril.
Troisième citation
Acte V scène 7
CLITON, seul.
Comme en sa propre fourbe un menteur s'embarrasse !
Peu sauraient comme lui s'en tirer avec grâce.
Vous autres qui doutiez s'il en pourrait sortir,
Par un si rare exemple apprenez à mentir.
Cette troisième citation, c’est le mot de la fin de Cliton, le valet de Dorante, qui est resté seul sur scène pendant qu’on célèbre les deux mariages. C’est une réplique particulièrement ambiguë.
Dans un premier temps, il nous met en garde : « comme en sa propre fourbe un menteur s’embarrasse ! » le présent de vérité générale et l’exclamation insistent sur les risques de mentir.
Cliton nous rappelle toutes les intrigues, avec un simple petit mot : la préposition « en sa propre fourbe » est repris par le pronom « s’en tirer … s’en sortir ».
Cliton brise alors ce qu’on appelle le quatrième mur (qui sépare la scène et le public)... Il s’adresse directement à nous « Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir » à la troisième personne du pluriel.
C’est génial, parce que Corneille justifie ici parfaitement son jeu continuel avec les limites de la vraisemblance : on s’attend jusqu’au bout à ce que le menteur échoue, comme dans la pièce espagnole d’origine d’ailleurs.
Le retournement final est donc totalement inattendu : Cliton nous conseille soudain à l’impératif « apprenez à mentir ». D’un coup, il évacue toute volonté moralisante de la pièce.
Corneille refuse d’être un moraliste, et pourtant, il utilise le conditionnel « peu sauraient comme lui » : « l’exemple » qu’on vient de voir est particulièrement « rare »… prenez garde à l’illusion de la comédie : le mensonge ne fonctionne pas aussi bien dans la réalité qu’au théâtre…
Jeune femme portant un masque vénitien bleu.
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