Couverture pour La Rage de l'expression

Ponge, La Rage de l’expression, 1952.
La Guêpe (Explication linéaire)



Extrait étudié



      LA GUÊPE

       À Jean Paul Sartre
       et Simone de Beauvoir


   Hyménoptère au vol félin, souple, — d'ailleurs d'apparence tigrée —, dont le corps est beaucoup plus lourd que celui du moustique et les ailes pourtant relativement plus petites mais vibrantes et sans doute très démultipliées, la guêpe vibre à chaque instant des vibrations nécessaires à la mouche dans une position ultracritique (pour se défaire du miel ou du papier tue-mouches, par exemple).
   Elle semble vivre dans un état de crise continue qui la rend dangereuse. Une sorte de frénésie ou de forcènerie — qui la rend aussi brillante, bourdonnante, musicale qu’une corde fort tendue, fort vibrante et dès lors brûlante ou piquante, ce qui rend son contact dangereux.
   Elle pompe avec ferveur et coups de reins. Dans la prune violette ou kaki, c'est riche à voir : vraiment un petit appareil extirpeur particulièrement perfectionné, au point. Aussi n'est-ce pas le point formateur du rayon d'or qui mûrit, mais le point formateur du rayon (d’or et d’ombre) qui emporte le résultat du mûrissement.

   Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et hydromélique. La guêpe sur le bord de l’assiette ou de la tasse mal rincée (ou du pot de confiture) : une attirance irrésistible. Quelle ténacité dans le désir ! Comme elles sont faites l'une pour l'autre! Une véritable aimantation au sucre.

     *

   Analogie de la guêpe et du tramway électrique. Quelque chose de muet au repos et de chanteur en action. Quelque chose aussi d'un train court, avec premières et secondes, ou plutôt motrice et baladeuse. Et trolley grésilleur. Grésillante comme une friture, une chimie (effervescente).
   Et si ça touche, ça pique. Autre chose qu'un choc mécanique : un contact électrique, une vibration venimeuse.
   Mais son corps est plus mou — c'est-à-dire en somme plus finement articulé — son vol plus capricieux, imprévu, dangereux que la marche rectiligne des tramways déterminée par les rails.




Introduction



Accroche


• En 1942, Francis Ponge accède à la notoriété en publiant Le Parti pris des choses : un recueil de poèmes en prose consacré aux objets du quotidien.
• Sartre écrit un article élogieux sur ce recueil mais conclut en disant que Ponge « pétrifie » les choses ou les « minéralise ».
• Ponge n’est pas d’accord mais comment répondre habilement au célèbre philosophe ?

Situation


• Dans La Rage de l’Expression (1952), Ponge abandonne la forme close du poème en prose pour une forme réflexive qui renforce le dynamisme de sa créativité.
• Il intégre ses recherches dans un « journal poétique » pour montrer son processus d’écriture.
• Dans notre texte « La Guêpe », qu’il dédie à Sartre, il met en scène cet insecte en mouvement, qui « vibre à chaque instant ».

Problématique


Comment cette forme poétique réflexive et originale permet-elle à Ponge de nous offrir une vision de la guêpe d’une vivacité inédite ?

Mouvements de l'explication linéaire


Un peu comme une peinture cubiste, les différents mouvements du texte nous amènent à découvrir progressivement les différentes facettes différentes de l’objet :
1) Une description intrigante et vivante
2) L’image poétique d’une attirance irrésistible
3) Le tramway, une analogie décalée

Axes de lecture pour un commentaire composé


I. Une guêpe qui nous intrigue et nous séduit
  1) Un objet intrigant voire dangereux
  2) L'incarnation même de l'attirance
  3) Les caractéristiques d'une relation amoureuse
II. Un objet poétique insaisissable
  1) Le détour de la méthode scientifique
  2) Approcher l'objet par le son qu'il produit
  3) Une approche comparative imparfaite
III. Une guêpe qui représente le travail du poète
  1) Une poésie résultat d’un long mûrissement
  2) Un miel poétique et alchimique
  3) L'invitation dans la cuisine du poète


Premier mouvement :
Une description intrigante et vivante



      LA GUÊPE

       À Jean Paul Sartre
       et Simone de Beauvoir


   Hyménoptère au vol félin, souple, — d'ailleurs d'apparence tigrée —, dont le corps est beaucoup plus lourd que celui du moustique et les ailes pourtant relativement plus petites mais vibrantes et sans doute très démultipliées, la guêpe vibre à chaque instant des vibrations nécessaires à la mouche dans une position ultracritique (pour se défaire du miel ou du papier tue-mouches, par exemple).
   Elle semble vivre dans un état de crise continue qui la rend dangereuse. Une sorte de frénésie ou de forcènerie — qui la rend aussi brillante, bourdonnante, musicale qu’une corde fort tendue, fort vibrante et dès lors brûlante ou piquante, ce qui rend son contact dangereux.



Ponge choisit un titre intriguant


• Le titre La Guêpe peut annoncer un poème en prose semblable à ceux du Parti Pris des Choses, mais on découvre au contraire un texte long et discontinu.
• La dédicace à Sartre et Simone de Beauvoir laisse attendre un remerciement au philosophe pour l’article qu’il lui a consacré.
• Mais pour mieux répondre à Sartre, Ponge a choisi un objet vivant et volant, qu’il décrit d’une manière inédite.
• Autre piste : avec un tel titre, Ponge, grand admirateur de La Fontaine, nous propose peut-être une fable ?
⇨ Ponge joue avec les attentes du lecteur et se lance dans une expérience nouvelle, qui intrigue.

S’agit-il d’une description scientifique ?


• Le premier terme « hyménoptère » appartient au vocabulaire de l’entomologie et correspond à une classification.
• De plus, le premier paragraphe est une seule et longue phrase qui ressemble à une description scientifique : apparence, taille, poids, caractéristiques de l’animal.
• L’insecte est pourtant étrangement rapproché du chat « vol félin, souple » par hypallage (l’adjectif « félin » qualifie aussi la guêpe elle-même).
• L’insecte semble hybride, empruntant des caractères de chat : « d’ailleurs d’apparence tigrée ». C’est une épanorthose (correction ou ajout d’un propos).
• Cet assemblage étrange est renforcé par les jeux de sonorité : guêpe / guépard, hyménoptère / panthère.
⇨ Ces deux procédés : l’association d’idées et l'épanorthose participent à une démarche comparative.

Les vertus d’une approche comparative


• Ponge compare aussi l’aile de la guêpe à celle du moustique, par le détour de l’étymologie (le mot « pteron » en grec signifie « aile »).
• La comparaison semble logique, mais elle reste imprécise avec les comparatifs « corps … plus lourd » , « ailes … plus petites ».
• L’hésitation est marquée par les modalisateurs « relativement… sans doute… semble »
• Difficulté à trouver les mots justes, par la multiplication des liens de coordination « et les ailes… mais vibrantes… et sans doute… » (c’est une polysyndète).
• Décrire un vol extraordinaire « très démultipliée » avec l’intensif « très » qui frôle l’hyperbole.
• L’adjectif « vibrantes » est repris ensuite par les « vibrations » (la même racine est réemployée : c’est un polyptote).
⇨ Après un temps de tâtonnement autour de l’apparence, cette vibration devient un véritable moteur du texte.

La guêpe se distingue par la force de sa vibration


• Cette vibration est justement « démultipliée » : « vibre à chaque instant des vibrations » (la répétition d’une même idée, c’est un pléonasme)
• La guêpe n’est comparable à la mouche que dans un cas « ultracritique » où sa vie est en jeu « papier tue-mouche »,
• Le danger est transcrit par les CC de temps « à chaque instant » et de lieu « dans une position ultracritique » .
• Le son de l’insecte est imité par les allitérations en V et R : « vibre, vibrations, nécessaires, ultracritique, défaire » puis en F et R : « frénésie, forcènerie ».
• Ponge affine sa comparaison en nous offrant des exemples variés, sous la forme d’une alternative : « pour se défaire du miel ou du papier tue-mouche, par exemple »).
⇨ Ponge procède par images successives, il affine sa description par hypothèses successives, il détourne la méthode scientifique pour en faire un outil poétique.

La guêpe incarne la situation de « crise »


• Pour décrire cette situation, le poète fait plusieurs tentatives : « qui la rend dangereuse » revient ensuite « qui la rend brillante » et enfin « qui rend son contact dangereux. »
• La notion de « danger » encadre le paragraphe (un même terme en début et fin d’un propos, c’est une anadiplose).
• La guêpe incarne cette vibration : le verbe « vivre » ressemble au verbe « vibrer » (c’est une paronomase).
• Cet état s’inscrit dans la durée par les adjectifs « continue » qui sont aussi des participes présents « brillante, bourdonnante ».
• Cet état paroxystique est souligné par le choc de l’allitération en k : « crise continue qui… »
• L’émotion complexe de « frénésie ou de forcènerie » (rime interne) évoque les furies antiques. D’ailleurs le mot « frénésie » provient du grec « phrenitis » = esprit égaré).
⇨ La guêpe devient une allégorie moderne de l’état de crise.

Un objet poétique brûlant et sonore


• L’image est de plus en plus intense. Une gradation est formée par les adjectifs en B : « brillante / bourdonnante / brûlante ».
• Les adjectifs sont valables pour un instrument de musique : « brillante, bourdonnante, musicale ».
• Cette métaphore de la musique est prolongée avec « une corde fort tendue, fort vibrante », renforcé par les intensifs « fort ».
• Le texte est musical avec un moment de paroxysme mêlant assonances en AN et allitérations en T « brûlante ou piquante ».
• La dimension sonore est alliée à d’autres perceptions : la vue « brillante », le toucher « brûlante, piquante, contact ». Le goût est aussi présent avec le « miel ».
⇨ La description de l’insecte sous tension fait de la guêpe un objet poétique particulièrement complet et sensuel.

Transition


• À travers ces images, la guêpe entre en mouvement, elle suscite des émotions variées : étonnante, dangereuse… Dans le deuxième mouvement, les images vont plus loin, avec l’idée d’une attirance irrésistible.

Deuxième mouvement :
L’image poétique d’une attirance irrésistible



Elle pompe avec ferveur et coups de reins. Dans la prune violette ou kaki, c'est riche à voir : vraiment un petit appareil extirpeur particulièrement perfectionné, au point. Aussi n'est-ce pas le point formateur du rayon d'or qui mûrit, mais le point formateur du rayon (d’or et d’ombre) qui emporte le résultat du mûrissement.
Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel, de sucre, de sirop ; hypocrite et hydromélique. La guêpe sur le bord de l’assiette ou de la tasse mal rincée (ou du pot de confiture) : une attirance irrésistible. Quelle ténacité dans le désir ! Comme elles sont faites l'une pour l'autre! Une véritable aimantation au sucre.


Une description d’abord mécanique


• Le poète développe d’abord la métaphore d’une machine (elle « pompe »), avec une périphrase « petit appareil extirpeur ».
• La guêpe semble avoir été pour cet usage : «  particulièrement perfectionnée ». Le participe passé laisse en suspens la question « par qui ? ». Ponge nous y invite avec un trait d’humour « au point » évoque bien la conception d’une machine.
• Les coups successifs sont mimés par l’allitération en P « petit appareil extirpeur particulièrement perfectionné ».
⇨ Mais cette image mécanique est très vite débordée par un imaginaire foisonnant qui inspire le poète

Une image du travail poétique ?


• Le poète enthousiaste utilise une exclamation familière : « c’est riche à voir ! ». Il partage l’enthousiasme de cette guêpe.
• L’ardeur de la guêpe au travail est désignée aussi par un terme religieux « avec ferveur », qui souligne avec humour la passion de la guêpe pour son objet.
• Le mouvement du « coups de reins » suggère l’effort, avec une certaine brutalité ou sensualité (on retrouve cette expression dans Berges de La Loire pour désigner l’effort du poète pour échapper au « ronron poétique »).
⇨ On peut rapprocher l’énergie du poète qui cherche ses mots de celle de la guêpe qui extrait le suc des fruits.

Un miel poétique et alchimique


• Les fruits évoqués sont variés « la prune violette ou kaki » désignent les différentes variétés de prunes à maturité.
• Il faut du temps pour que le fruit prennent de la saveur : « le rayon d’or qui mûrit » amène « le résultat du mûrissement ». Cette maturation fait penser à celle du poème.
• Le « rayon » de soleil est ainsi transformé en « rayon » de miel. C’est une image très riche et fulgurante.
• Tout le processus de transformation est contenu dans cette rectification : ce n’est pas tant le soleil qui fait mûrir le fruit que la guêpe qui en fait réellement de l’or.
• Le soleil, la guêpe, le miel, forment ensemble un même « rayon d’or » : c’est une véritable opération alchimique.
⇨ Le texte n’a rien de scientifique, car la guêpe prend ici les caractéristiques de l’abeille. Elle devient en fait le travail du poète lui-même.

Une poésie résultat d’un long mûrissement


• À partir de là, Ponge devient lui-même guêpe ou abeille : son style devient vif et saccadé avec la ponctuation forte.
• Il transforme les verbes en noms communs « transporteuse … attirance » (ils sont substantivés).
• Il invente des adjectifs « miellée, soleilleuse » (néologismes) en mêlant des adjectifs qui existent : « mielleuse » et « ensoleillée ».
• Ce paragraphe commence par « miellée » et se termine par « sucre » : il est entièrement traversé par le plaisir gustatif.
• La guêpe est assimilée au miel qu’elle transporte « Miellée, soleilleuse ; transporteuse de miel » la structure est en miroir, c’est ce qu’on appelle un chiasme.
• Le poète s’amuse à rapprocher des mots qui ont des racines grecques « hypocrite et hydromélique ». L’apparence scientifique du lexique laisse place à l’ivresse du jeu avec les mots.
⇨ Ponge met en valeur son travail poétique, sans le moindre lyrisme. Ses images restent humbles, il nous emmène même dans sa cuisine !

Une invitation dans la cuisine du poète


• Ce passage est particulièrement vivant et drôle : la guêpe est mise en contexte « sur le bord de l’assiette, ou de la tasse mal rincée (ou du pot de confiture) ».
• Ces images un peu triviales, réalistes, comme celle de la « tasse mal rincée » s’éloignent de la poésie lyrique ou romantique.
• On se retrouve peut-être dans la même cuisine où se trouvait le « papier tue-mouche » du premier mouvement !
• L’agacement est mêlé à une certaine admiration dans les discours rapportés directs qui nous font entendre la voix même du poète « Quelle ténacité dans le désir ».
⇨ Le poète observateur est proche de son lecteur, tour à tour savant et malicieux. On peut même y déceler un certain rapport de séduction dans notre passage.

Une relation amoureuse ?


• Le vocabulaire amoureux est très présent ici « attirance irrésistible … désir … faites l’une pour l’autre … véritable aimantation ». Chaque terme est souligné d’une allitération en R.
• Les émotions sont perceptibles à travers les exclamations (« Quelle » et « Comme » sont des déterminants exclamatifs).
• L’image de « l’aimant » (qui attire le fer) illustre avec humour l’attirance de l’amant pour celle qu’il aime.
• De même le poète est un amoureux des mots, il fait preuve d’une même « ténacité ».
⇨ L’observation est toujours précise mais le ton scientifique a laissé place à une totale jouissance des mots.

Transition


• On observe ainsi que la « science » chez Ponge est davantage celle du langage et des mots que celle d’un entomologiste.
• Ceci va être confirmé dans le passage suivant par une analogie audacieuse.


Troisième mouvement :
Le tramway, une analogie décalée



      *
Analogie de la guêpe et du tramway électrique. Quelque chose de muet au repos et de chanteur en action. Quelque chose aussi d'un train court, avec premières et secondes, ou plutôt motrice et baladeuse. Et trolley grésilleur. Grésillante comme une friture, une chimie (effervescente).
Et si ça touche, ça pique. Autre chose qu'un choc mécanique : un contact électrique, une vibration venimeuse.
Mais son corps est plus mou - c'est-à-dire en somme plus finement articulé - son vol plus capricieux, imprévu, dangereux que la marche rectiligne des tramways déterminée par lesquels rails.


L’entrechoc de la guêpe et du tramway


• Nous passons à un angle différent maintenant : l'astérisque indique que la forme du texte n’est pas close.
• La forme aussi est différente, le paragraphe est composé presque exclusivement de phrases nominales comme s’il s’agissait de simples notes.
• L’effet de surprise est total : Ponge utilise une analogie très éloignée de la Nature : il compare la guêpe au tramway.
⇨ Ces deux images éloignées, vont justement produire des révélation poétiques, par leurs ressemblances, mais aussi par leurs différences.

Une analogie imparfaite et complexe


• La comparaison n’est pas précise, elle se fait par touche « quelque chose » revient deux fois, en anaphore rhétorique.
• L’analogie évolue « ou plutôt » (c’est une épanorthose : le narrateur se reprend et se corrige).
• Les liens n’ont rien d’évident. Par exemple l’articulation du corps de la guêpe ressemble aux wagons d’un tramway « un train court, avec premières et secondes ».
• L’image est complétée par des comparaisons qui sont aussi en concurrence « comme une friture … comme une chimie ».
⇨ Ponge développe une métaphore moderne par sa complexité et par sa référence à des innovations techniques (train, électricité, chimie…) On peut penser à la démarche d’Apollinaire dans certains poèmes d’Alcools (Zone par exemple).

Peindre l’objet en peignant les sons qu’il produit


• La dimension sonore de l’image est une clé pour comprendre cette étrange analogie. L’insecte, comme le tramway, est « muet » au repos et « chanteur » quand il se déplace.
• Ponge tente alors de saisir le bruit de l’insecte par une suite de termes sonores : « grésilleur. Grésillant » (reprendre un même mot à la fin, puis en début de phrase, c’est une épanadiplose).
• Les autres images qui semblent éloignées du tramway contribuent en fait à ce même effet sonore « trolley … friture … effervescente » avec les allitérations variées.
• Même l’image du cinéma « muet » évoque ce son typique de la pellicule qui se déroule en grésillant.
⇨ Les points communs sonores vont alors faire émerger d’autres points communs insoupçonnés entre la guêpe et le tramway électrique.

Deux objets qui partagent une certaine dangerosité


• Ponge mentionne l’idée de danger par un adage populaire : « Et si ça touche, ça pique ! ».
• La métaphore du tramway fonctionne de la même manière. Au « choc mécanique » il préfère le « contact électrique » qu’il juxtapose avec « la vibration venimeuse » de l’insecte.
• Enfin le corps « mou » de la guêpe plus souple et « finement articulé » que celui du tramway est finalement plus fonctionnel pour l’attaque.
⇨ L’analogie fait ressortir des points communs insoupçonnés, mais les différences sont également éclairantes.

Les limites de la confrontation des mots


• Le dernier paragraphe commence justement par un lien d’opposition « mais » qui vient nuancer l’analogie.
• Ponge reconnaît lui-même les limites de sa comparaison avec le comparatif de supériorité « son corps est plus mou ».
• Ce qui caractérise la guêpe, c’est son imprévisibilité («  vol plus capricieux, imprévu, dangereux »).
• Elle s’oppose même à la « marche rectiligne des tramways déterminée par les rails ». Son absence de déterminisme en fait un être libre : en cela elle se rapproche de l’humain.
⇨ L’observateur naturaliste peut constater ainsi l’efficacité et la supériorité du vivant.

Conclusion



Bilan


• Dans cet extrait, Ponge rompt avec le poème en prose : il aborde « La guêpe » par une démarche inspirée de la méthode scientifique. Il s’attache à décrire la vie de l’insecte, le butinage, son rapport au miel. C’est un point de vue nouveau qui permet au texte de s’écrire au fil des images.
• Le passage le plus poétique, évoquant la guêpe porteuse du pollen est un sujet qu’il traite avec beaucoup d’originalité et de sensorialité, mais il concerne cependant l’abeille ; la guêpe ne transporte et ne produit pas de miel ! Peut-être est-ce une manière de nous faire comprendre qu’il parle en réalité surtout du poète et de sa démarche créative.
• En effet, ce qui compte finalement, ce n’est pas l’exactitude scientifique. La grande réussite de Ponge est dans la précision et la vérité du langage, qui, loin de « pétrifier » l’objet comme le disait Sartre, le vivifie au contraire par des analogies, le travail des sonorités et de la syntaxe. Chaque objet dicte sa forme, sa « rhétorique ».

Ouverture


• L’objet est au centre de la réflexion de beaucoup d’artistes contemporains : pour trouver des exemples, tu peux écouter mon podcast «  Ponge en 12 points : dans l’atelier du poète ».
• L’objet est une source inépuisable d’inspiration pour les écrivains et poètes du XXe siècle. On peut penser à L’Inventaire de Prévert qui mêle animés et inanimés sans ordre, ce qui produit un effet de liberté salvateur :
Une douzaine d'huîtres
Une écurie de courses
Un fils indigne
Deux pères dominicains
Trois sauterelles, un strapontin
Une fille de joie
Trois ou quatre oncles Cyprien
Le raton laveur



Giovanna Garzoni, Guêpe dans un plat de citrons, vers 1640.

⇨ PONGE, 𝘓𝘢 𝘳𝘢𝘨𝘦 𝘥𝘦 𝘭'𝘦𝘹𝘱𝘳𝘦𝘴𝘴𝘪𝘰𝘯 💼 La Guêpe (Extrait étudié PDF téléchargeable)

⇨ * PONGE, 𝘓𝘢 𝘳𝘢𝘨𝘦 𝘥𝘦 𝘭'𝘦𝘹𝘱𝘳𝘦𝘴𝘴𝘪𝘰𝘯 🔎 La Guêpe (explication linéaire PDF téléchargeable) *

   * Document téléchargeable réservé aux abonnés.