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Ponge, La rage de l’expression
12 thèmes clés pour tout comprendre
Dans ce podcast, je réalise une sorte de « mode d’emploi » de Ponge. Parce qu’on le considère souvent comme un poète difficile… Mais il faut surtout le voir comme un poète original : ces 12 thèmes sont autant de clés pour le comprendre !
Francis Ponge est d’abord tout simplement en réaction à l’égard des excès de la poésie qui a dominé le XIXe siècle. C’est le point de départ de sa démarche poétique : le rejet de la tradition lyrique.
1) Le rejet de la poésie lyrique
Commençons par un rapide rappel sur la poésie lyrique. C’est une expression musicale de la douleur du poète, à la première personne. Le poète lyrique chante l’amour, le passage du temps, la nature. Les Méditations poétiques de Lamartine par exemple :
Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices!
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! Lamartine, Méditations poétiques, « Le Lac, », 1820.
Mais Ponge trouve ce souci de musicalité excessif, il le qualifie avec humour de « ronron poétique » :
Peu m'importe après cela que l'on veuille nommer poème ce qui va en résulter. Quant à moi, le moindre soupçon de ronron poétique m'avertit seulement que je rentre dans le manège, et provoque mon coup de reins pour en sortir. Ponge, La rage de l’expression, « Berges de la Loire », 1952.
Ainsi, Francis Ponge est notamment très sévère à l’égard de la poésie romantique qu’il qualifie de « mouchoir » :
Poésie considérée comme une effusion simplement subjective [...] « je pleure dans mon mouchoir » [...] et puis je [...] publie ce mouchoir, et voilà une page de poésie. Philippe Sollers, Entretiens avec Francis Ponge, 1970.
En réaction, il décide pour sa part de rendre compte de « choses » anodines et ordinaires ! Pour cela il part à la recherche d’un langage nouveau, capable d’approcher son objet avec plus d’authenticité, en évacuant les états d’âme du poète. C’est le début d’une véritable crise du langage…
2) De la crise du langage à la rage de l’expression
Cette crise du langage est présente très tôt dans le parcours de Francis Ponge. Élève brillant, il est pourtant frappé de mutisme lors d’oraux importants. Il sent que les mots, usés, ne peuvent plus saisir le réel. La grandiloquence menace les choses.
Et ainsi, il écrit dans Le Parti Pris des Choses, en 1942, des poèmes en prose sur des choses ordinaires : le pain ou le cageot, le galet. C’est une première étape : mettre en avant des objets poétiques humbles et inhabituels. Ce recueil le fait connaître, mais bientôt, la forme close du poème en prose ne le satisfait plus.
Il relance alors sa recherche, et décide d’y intégrer son processus créatif : il rassemble ses notes et ses carnets dans un véritable journal poétique. Cela donnera notre recueil : La Rage de l’Expression, qui paraît en 1952.
Cette fois-ci, l’innovation ne vient plus du choix des objets mais de la forme des textes. Ponge précise par exemple que « le Mimosa » en soi ne l’inspire pas : les mots lui échappent.
Il fait alors un détour par le théâtre italien, qui privilégie les gestes et le comique de situation plus efficaces qu’une longue description :
Sur fond d'azur le voici, [...] personnage de la comédie italienne, [...] dans son costume à pois jaunes, le mimosa. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Mimosa », 1952.
Cette fleur aux pompons jaunes évoque des poussins : leur piaillement devient un alexandrin, qui brise pourtant la syntaxe et le ronron poétique, écoutez ce que cela donne :
Floribonds odorants à décourage plumes
Piaillent, ils piaillent d'or les glorieux poussins. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Mimosa », 1952.
On voit bien avec ces exemples comment le langage en crise fait émerger chez Ponge des images et des formes nouvelles. Il s’acharne à trouver l’expression juste. Mais alors pourquoi qualifier cette démarche de « rage » ?
3) Pourquoi la rage ?
Pour répondre à cette question, je propose qu’on ouvre le Littré avec Ponge : on y trouve 4 définitions pour la rage. D’abord, la maladie (le chien a la rage). Ensuite, la douleur (une rage de dents). Chez Ponge, ces connotations sont bien présentes : la recherche du mot juste peut devenir maladive et douloureuse.
Mais la troisième définition du Littré est plus éclairante : la rage, c’est un « violent transport de colère, de dépit ». Chez Ponge, la difficulté de l’expression provoque parfois cet état émotionnel chez le poète obstiné :
Ces œillets défient le langage. Je n'aurai de cesse avant d'avoir assemblé quelques mots [...] desquels l'on doive s'écrier : [...] c'est de quelque chose comme un œillet qu'il s'agit. [...] Pour moi c'est [...] un engagement, une colère, une affaire d'amour-propre et voilà tout. Francis Ponge, La Rage de l’expression, « L’œillet », 1952.
Cette rage se voit d’ailleurs très bien dans ses manuscrits, dont certains passages sont raturés, entourés, mis en gras, etc.
Ponge, La rage de l'expression, manuscrit.
Enfin, regardons la 4ème définition du Littré : la rage est un « goût excessif, un penchant outré ». On retrouve parfaitement cela dans « Berges de La Loire » :
Faire un poème ou rendre compte d'une chose [...] C’est le second terme de l'alternative que mon goût (un goût violent des choses, et des progrès de l'esprit) sans hésitation me fait choisir. Francis Ponge, La Rage de l’expression, « Berges de la Loire », 1952.
Ponge va si loin dans cette démarche qu’il considère que si le poème s’éloigne de l’objet, ce dernier à le droit de s’en plaindre.
Reconnaître le plus grand droit de l'objet, son droit imprescriptible, opposable à tout poème... Aucun poème n'étant jamais sans appel de la part de l'objet du poème. Francis Ponge, La Rage de l’expression, « Berges de la Loire », 1952.
Voilà pourquoi, dans Le Parti Pris des Choses, on peut dire que ce sont les choses qui « prennent parti »… Et de la même manière, dans La rage de l’expression, c’est l’expression qui est prise de rage face à l’objet qui la menace :
Il s’agit (…) au coin de ce bois, bien moins de la naissance d’un poème que d’une tentative (bien loin d’être réussie) d’assassinat d’un poème par son objet. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Carnet du Bois de Pin », 1952.
Cette « rage », bien distincte de l’inspiration romantique, serait plus proche de la « furor » antique du poète latin au service de sa muse, et du souci de clarté des poètes classiques.
4) Un héritage classique ?
Ponge rend souvent hommage au grand poète latin Lucrèce qui a écrit un long poème appelé De La Nature des Choses. Comme lui, Ponge veut ramener à la matérialité des choses.
Ainsi donc, si ridiculement prétentieux qu'il puisse paraître, voici quel est à peu près mon dessein : je voudrais écrire une sorte de « De natura rerum ». Francis Ponge, Le parti pris des choses, « Introduction au galet », 1942.
Ainsi, Ponge fait souvent référence à l’Antiquité, par exemple dans ses « Notes prises pour un oiseau », il évoque divers oiseaux mythologiques :
J'aperçois les vautours de Prométhée qui me font signe, le cygne de Léda... [...] Merci bien, je n'en ai que faire ! Somme toute, ce que je décris est surtout le moineau, le perdreau, l’hirondelle, le pigeon. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Notes prises pour un oiseau », 1952.
Quand il fait référence à la mythologie c’est donc surtout pour affirmer qu’il préfère les oiseaux réels : C’est intéressant, parce qu’il rejoint alors le fabuliste, et le naturaliste, au sens du XVIIe siècle, celui dont c’est le métier d’observer les animaux :
Qu’entends-tu par « métier poétique » ? [...] Je suis de plus en plus convaincu que mon affaire est plus scientifique que poétique. Il s’agit d’aboutir à des formules claires [...] : Patience et longueur de temps etc… Ponge, La rage de l’expression, « Appendice au Carnet du bois de pins », 1952.
Ce n’est pas un hasard s’il cite justement « Le lion et le rat » de La Fontaine ici : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » Il a évacué la rage, peut-être pour mieux nous faire comprendre que les valeurs classiques de « patience » et de « clarté » constituent justement sa « rage » de l’expression.
En parlant de « métier poétique » Ponge fait aussi référence à la L’Art poétique de Boileau, pour qui le poète est plus un artisan qu’un génie inspiré :
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Boileau, L'Art poétique, 1674.
Ponge emprunte donc au classicisme du XVIIe siècle… Mais aussi aux Lumières du XVIIIe siècle. Il fait notamment allusion à Voltaire, quand il se donne un but élevé :
Il s’agit de militer activement (modestement mais efficacement) pour les « lumières » et contre l’obscurantisme. Ponge, La rage de l’expression, « Appendice au « Carnet du bois de pins », 1952.
Mais chez Ponge, les hautes aspirations du classicisme et des Lumières constituent un idéal qui n’est jamais atteint : les textes sont sans cesse rectifiés, pour nous montrer une véritable conquête de l’expression juste.
5) La conquête de l’expression juste
Francis Ponge s’appuie souvent sur le célèbre dictionnaire Littré pour lancer sa réflexion. Par exemple, dans « Notes pour un oiseau », il en recopie des passages entiers :
Que dit Littré de l'oiseau ? [...] Allons-y voir. Un effort. [...] OISEAU (impossible à recopier, il y en a trois colonnes). Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Notes prises pour un oiseau », 1952.
Mais la définition du Littré n’est qu’un point de départ qui permet ensuite de construire des associations d’idées : il recherche par exemple une relation entre la sonorité du mot, et ce qu’il représente, quitte à le réinventer :
Le mot OISEAU [...] contient toutes les voyelles. [...] J'approuve. Mais à la place de l's, [...] j'aurais préféré l'L de l'aile : OILEAU, ou [...] le v des ailes déployées, le v d'avis : OIVEAU. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Notes prises pour un oiseau », 1952.
Ce phénomène (associer la forme d’un mot à ce qu’il désigne), on appelle ça le « cratylisme ». Dans un dialogue de Platon, un certain Cratyle défend l’idée que les noms découlent des choses qu’ils désignent, de manière naturelle.
Pour Ponge, ce rapport entre le mot et la chose est éclairant, mais n’a rien de naturel. Au contraire, il faut un travail acharné pour le trouver, voilà pourquoi il ne cesse de se corriger : c’est une figure de style qu’on appelle l'épanorthose (se reprendre pour préciser sa pensée) :
Que mon travail soit celui d'une rectification continuelle de mon expression (sans souci a priori de la forme de cette expression) en faveur de l'objet brut. Ponge, La rage de l’expression, « Berges de la Loire », 1952.
Et ainsi, alors qu’on attend normalement, à la fin d’un poème, une chute, une pointe, une clausule… Les textes de Ponge se terminent sur une variante, ou un simple Et cætera désinvolte.
Et caetera...
Et enfin, pour le reste, pour un certain nombre de qualités que j'aurais omis d'expliciter, eh bien, cher lecteur, patience ! Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « La guêpe », 1952.
Ces tours et détours n’ont donc pas vraiment de fin, ils font porter notre attention sur le processus même de création : une recherche constante…
6) Une recherche constante
Cette recherche constante explique bien pourquoi le projet poétique de Ponge semble toujours en mouvement. Au point que Ponge doit commencer par dire ce qu’il n’est pas :
Ni traité scientifique, ni encyclopédie, ni Littré. Quelque chose de plus ou de moins […] publier l’histoire complète de sa recherche, le journal de son exploration. Ponge, La Rage de l’Expression, « La Mounine », 1952.
Pour mettre un peu d’ordre dans ces recherches, Ponge adopte la forme du journal poétique : il mentionne régulièrement le lieu, la date et l’heure précises du travail qu’il réalise. Par exemple, son journal poétique dans « La Mounine » intègre son voyage en train et en bus :
L’autobus (autocar) (au lieu dit « La Mounine » [...] ) avançait (assez lentement il est vrai). Ponge, La Rage de l’Expression, « La Mounine », 1952.
Comme dans une série de croquis, les images et les procédés se succèdent : cendres, mine de plomb, et même l’encre d’un poulpe :
La plus fluide des encres [...] est-elle vraiment la bleue noire ? Azur à mine de plomb : quel poulpe reculant au fond du ciel de Provence a provoqué ce tragique encrage de la situation ? Ponge, La Rage de l’Expression, « La Mounine », 1952.
Le texte devient alors une métaphore du processus d’écriture… C’est une sorte de combat « contre le poème » apportant de nouvelles découvertes, mais sans aboutir à un résultat définitif. Par exemple, il constate dans « le Mimosa » :
Non hélas, ce n’est pas encore à propos du mimosa que je ferai la conquête de mon mode d’expression. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Mimosa », 1952.
Tous ces procédés que nous venons de voir : le carnet de croquis, la restitution d’un paysage par touches successives, sont inspirés du travail du peintre. Et effet, on va voir que Ponge a de nombreuses affinités avec les peintres de son époque.
7) L’influence des peintres
C’est là que le contexte historique devient particulièrement intéressant. Au début du XXe siècle, quand Apollinaire rencontre Picasso, Braque et Matisse, les peintres ouvrent leurs ateliers, les passerelles entre les arts se multiplient… Après la guerre, Ponge fréquente à son tour ces ateliers.
La fonction de l'artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier, et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. Non pour autant qu'il se tienne pour un mage. Seulement un horloger. Réparateur attentif du homard [...] ou du compotier. Francis Ponge, Méthodes, 1961.
Ponge admire d’abord Cézanne qui géométrise les objets et les paysages. « La Mounine » rend hommage à la série consacrée à La montagne Sainte Victoire, que Cézanne peint sans relâche.
Cézanne, Montage Sainte-Victoire, vers 1880.
Ponge est aussi un proche des cubistes, et surtout de Georges Braque, qui abandonne les lois de la perspective pour mieux explorer simultanément les facettes d’un même objet. De même, Ponge dit qu’il tourne autour de l’objet. Le Mimosa notamment :
Mais vraiment, plus je tourne autour de cet arbuste, plus il me paraît que j'ai choisi un sujet difficile. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Mimosa », 1952.
Braque, Guitare et verre, 1917.
Cette démarche se retrouve parfaitement chez Ponge : il juxtapose les images, comme autant de points de vue révélateurs de l’objet. Dans « l’Oeillet » par exemple :
Papillote chiffon frisé
Torchon de luxe satin froid
Chiffon de luxe à belles dents
Torchon de luxe de satin froid Francis Ponge, La Rage de l’expression, « L’œillet », 1952.
Ponge devient proche d’autres artistes comme Picasso, Giacometti et Dubuffet également, qui réalise de lui une série de portraits très amusante, où son visage ressemble à un galet…
Dubuffet, Portrait de Ponge, 1947.
Cette volonté de représenter une vérité de l’objet, quitte à abandonner les schémas traditionnels, le rapproche aussi des philosophes de son temps.
8) Des questions philosophiques
En mettant les objets au premier plan, Ponge remet en cause le sens qu’on aimerait donner au monde, et attire l’attention de deux grands philosophes : Sartre et Camus.
En 1947, Sartre fait connaître Le Parti Pris des Choses, dans un article où il décrit l’intérêt de la démarche tout en évoquant le risque de pétrifier les objets :
Il paraît même, à première vue, aimer les fleurs, les bêtes et même les hommes. Et sans doute les aime-t- il. Beaucoup. Mais c’est à condition de les pétrifier. Il a la passion, le vice de la chose. Inanimée, matérielle. Sartre, Situation 1, L’homme et les Choses 1947.
Ponge répond à Sartre en lui dédiant « La Guêpe » pour lui montrer que sa poésie n’a rien de figé :
Il se trouvera bien quelque critique un jour [...] pour me REPROCHER cette irruption dans la littérature de ma guêpe de façon importune, agaçante, fougueuse et musarde à la fois. Ponge, La Rage de l’Expression, « La Guêpe », 1952.
Francis Ponge et Albert Camus ont une correspondance, où ils parlent notamment du Mythe de Sisyphe que Camus utilise pour décrire la condition de l’homme dans un monde absurde : Sisyphe doit rouler en haut d’une montagne un rocher qui retombe toujours. Ponge y reconnaît son propre travail :
Moi, la lourdeur de mon rocher me décourage souvent, me rend très paresseux. Est-il possible d'imaginer Sisyphe paresseux ? Ne serait-ce pas le comble de l'absurde ? Francis Ponge, Lettre à Albert Camus, 1945.
Les échanges avec Camus sont décisifs : Ponge décide de mettre l’inachèvement au cœur de son travail : il se concentre sur le processus de création, ses difficultés et ses joies. C’est ce qu’il appellera finalement « l’objeu » : une manière ludique et toujours renouvelée de poser notre regard sur le monde.
Cette démarche de Francis Ponge participe parfaitement à tout une réflexion sur l’art qui traverse le XXe siècle.
9) Un art moderne qui interroge notre regard
Ponge s’intéresse d’abord au dadaïsme, un mouvement artistique qui réagit à la Première Première Guerre mondiale de manière provocatrice et reste dans l’Histoire de l’art justement parce qu’il bouleverse le regard que l’on pose sur les objets.
Marcel Duchamp propose d’exposer un urinoir posé à l’envers, l’œuvre est refusée et fait scandale, car il pose une question dérangeante : un objet trivial et industriel ne peut-il pas être considéré comme une œuvre d’art, par un simple changement de point de vue ?
Marcel Duchamp, Exemples de Ready-made, 1917
Héritiers du dadaïsme, les surréalistes veulent opérer une révolution esthétique en s’appuyant sur les forces de l’inconscient et du rêve. Ponge ne s’y reconnaît pas, car il rejette justement la subjectivité du poète…
Par contre, il partage pendant un temps leurs orientations politiques. Comme de nombreux surréalistes, il prend sa carte au Parti Communiste avant de s’en éloigner :
La façon de faire des surréalistes, [...] être constamment sur les tréteaux à manifester, ça ne me concerne pas. J'aime mieux faire les choses [...] comme un anarchiste prépare sa bombe, [...] à l’écart. Francis Ponge, La Fabrique du Pré, Skira,1971.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Ponge s’engage activement dans la Résistance. On en retrouve des traces dans notre recueil, comme par exemple la dédicace à Michel Pontremoli, ami résistant fusillé, ou encore dans « La Guêpe » :
D’abord le brasier pétillant, crépitant, puis les vols s’accomplissent, vols de durée, avec offensives brusques de temps à autre,(…) où la guêpe accomplit son devoir- c’est-à-dire son crime. Francis Ponge, La rage de l’expression, « La guêpe », 1952.
Finalement, Francis Ponge reste original et inclassable. Il lie fermement ses deux objectifs politique et poétique :
…La naissance au monde humain des choses les plus simples, leur prise de possession par l’esprit de l’homme [...] : voilà mon but poétique et politique. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Carnet du Bois de Pin », 1952.
On voit bien comment cette volonté de privilégier les « choses les plus humbles » participe à une démarche politique.
Ceux qui n’ont pas la parole, c’est à ceux-là que je veux la donner. Voilà où ma position politique et [...] esthétique se rejoignent. Rabaisser les puissants m’intéresse moins que glorifier les humbles. Francis Ponge, Cahier de L’Herne, 1er mars 1942.
Voilà où se trouve la véritable révolution aux yeux de Ponge : en donnant la parole aux choses, on rend possible une véritable rénovation du langage.
10) Une rénovation du langage
Pour rénover le langage, Francis Ponge remet en cause les repères traditionnels, jusque dans la typographie, en multipliant les parenthèses, les points de suspension, les italiques…
Même les idées mises de côté sont finalement listées, après une astérisque centrée sur la page :
(en italique) Somme toute il reste encore :
1. Les bandes éparses indisciplinées.
2. L'oiseau comme robinet de bois qui grince [...] Francis Ponge, La Rage de l’expression, « Notes pour un oiseau », 1952.
D’ailleurs on voit bien comment notre représentation traditionnelle de l’oiseau est déconstruite dans cet exemple, où les images juxtaposées (les bandes éparses et le robinet de bois), produisent surtout un effet de dissonance, une anomalie dans le ronron poétique.
Ainsi, quand Ponge rapproche des objets éloignés, ce n’est pas pour les fondre dans une réalité onirique comme les surréalistes (on peut penser à la terre « bleue comme une orange » de Paul Éluard) mais pour produire un frottement, voire une collision :
L'entrechoc des mots, les analogies verbales sont un des moyens de scruter l'objet. Ponge, La rage de l’expression, « Berges de la Loire », 1952.
Ce brouillage des repères culmine dans « Le Carnet du Bois de Pins » avec les accolades qui suggèrent des variations au sein des variations. L’appendice au carnet devient une excroissance « organique », qualifiée d’ « abcès poétique ».
Cette naissance d’images est comparée à une floraison qui produit ensuite des fruits, c'est-à-dire, des interprétations. C’est la métaphore qu’on trouve dans « Le Mimosa » :
— La floraison est une valeur esthétique, la fructification une valeur morale : l’une précède l’autre. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « Le Mimosa », 1952.
Cette démarche donne un rôle très particulier au poète. Ce n’est plus le génie inspiré qui exprime des émotions personnelles et subjectives… Il se rapproche d’un jardinier qui aide les plantes à pousser par elles-mêmes, ou d’un scientifique qui met à jour les phénomènes au cœur de son objet d’étude.
11) En finir avec le statut de poète
Francis Ponge rejette le nom de « poète », qui s’est chargé, au fil des siècles de fonctions si variées : prophète, prométhéen, voyant… Dans son échange avec son ami Gabriel Audisio (qu’il rapporte dans « La Mounine » qui lui est dédicacé), il affirme :
Oui, je me veux moins poète que « savant ». Ponge, La Rage de l’Expression, « La Mounine », 1952.
On peut se dire alors que c’est un curieux savant : il confond par exemple l’abeille et la guêpe. Car c’est bien l’abeille qui perd son dard, et non la guêpe !
Qu'est-ce qu'on me dit ? Qu'elle laisse son dard dans sa victime et qu'elle en meurt ? [...] Il lui faut donc plutôt éviter tout contact. Francis Ponge, La rage de l’expression, « La guêpe », 1952.
Mais cela s’explique, parce qu’il n’est pas entomologiste, non : sa science à lui consiste à trouver l’expression capable de revivifier la langue et de rendre compte d’une impression exacte.
Je désire moins aboutir à un poème qu’à une formule, qu’à l’éclaircissement d’impressions. S’il est possible de fonder une science dont la matière serait les impressions esthétiques, je veux être l’homme de cette science. Francis Ponge, La Rage de l’Expression, « La Mounine », 1952.
On comprend donc que son domaine scientifique n’est pas tant l’étude d’un objet, que le langage lui-même, « la poétique » au sens de son origine grecque : créer, fabriquer. En donnant la parole aux objets, il leur donne la possibilité de se nommer eux-mêmes, et donc, d’une certaine manière, de se recréer…
12) La clé des choses
Pour mieux s’effacer devant l’objet, et pour mieux réhabiliter ces choses qui n’ont pas la parole, Ponge va donc choisir des objets anodins qui ne l’inspirent pas. Il l’explique dans L’Œillet :
Je choisis comme sujets […] des objets les plus indifférents possibles, où il m’apparaît […] que [...] la nécessité d’expression se trouve dans le mutisme de l’objet […] Francis Ponge, La Rage de l’expression, « L’œillet », 1952.
Il pense même que chaque objet possède en soi ses propres règles poétiques, voilà ce qui explique le titre final de ce poème « rhétorique résolue de l’œillet. »
Est-ce que Ponge pense que son but est atteignable ? Il tend en tout cas à rénover le monde à travers ce que les anciens grecs appelaient le logos (la parole, la raison qui dit le monde). Ponge part de l’idée qu’on ne peut appréhender le monde qu’à travers les concepts issus de notre langage. Et donc changer le langage, c’est aussi changer le monde.
Nous ferons des pas merveilleux, l’homme fera des pas merveilleux s’il redescend aux choses [...] et s’applique à les étudier et les exprimer [...]. Mais il faut en même temps qu’il les refasse dans le logos à partir des matériaux du logos, c’est-à-dire de la parole. Francis Ponge, La Rage de l’expression, « Notes pour un oiseau », 1952.
« L’homme fera des pas merveilleux » : Francis Ponge nous annonce là un objectif particulièrement élevé : un nouvel humanisme dont la clé serait le langage « poétique ».
Je me fais tirer, par les objets, hors du vieil humanisme, hors de l’homme actuel et en avant de lui . J’ajoute à l’homme des nouvelles qualités que je nomme. Francis Ponge, Proêmes,1948.
Francis Ponge affirme régulièrement que ce sujet est grave, important, et qu’il faut le prendre au sérieux.
Ce qui importe chez moi, c'est le sérieux avec lequel j'approche de l'objet, et l'exactitude de l'expression. Francis Ponge, La Rage de l’expression, « Le carnet du bois de pins », 1952.
Mais par ailleurs, il fait preuve d’humour, et d’un certain goût du jeu. Comme si l’excès même de la gravité de sa mission ne pouvait que se résoudre qu’avec une certaine désinvolture.
Ex-martyr du langage, on me permettra de ne le prendre plus toujours au sérieux. Francis Ponge, La Rage de l’expression, « Le Mimosa », 1952.
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