Olympe de Gouges,
Déclaration des droits de la femme, 1791.
Adresse aux hommes : « Homme, es-tu capable d’être juste ? » (explication linéaire)
Extrait étudié
Déclaration des droits de la femme
Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l'oses, l'exemple de cet empire tyrannique. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d'œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l'évidence quand je t'en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l'administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d'œuvre immortel.
L'homme seul s'est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut recommander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à égalité, pour ne rien dire de plus.
Introduction
Accroche
• Au XVIIIème siècle, un vent de liberté souffle sur l’Europe avec les idées des Lumières.
• Des femmes comme Catherine II de Russie soutiennent les philosophes, d’autres diffusent leurs idées dans les salons.
• Mais les idéaux de raison et de liberté concernent surtout des femmes de milieux aisés et cultivés et s’expriment dans une sphère privée. La condition des femmes reste la même.
• Avec la Révolution arrive l’espoir d’un changement, d’une reconnaissance du droit à l’égalité. Des femmes s’engagent.
Le patriotisme m’a rendue intrépide. Olympe de Gouges, Lettre du 20 mai 1789.
Situation
• En 1791, elle écrit La Déclaration des droits de la Femmes et de Citoyenne, réécriture parodique de La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
• Son texte est une défense vibrante du droit à l’égalité des femmes, escamoté par les hommes dans la première constitution.
• Notre texte fait suite à l'Epître à la Reine et précède les articles juridiques de la Déclaration.
• D’un point de vue rhétorique, c’est l’exorde d’une prise de parole en tribune. L’enjeu est ici de capter l’attention et de légitimer la prise de parole des femmes.
Problématique
Comment Olympe de Gouges entend-t-elle établir la crédibilité d’une parole féminine, politique et militante dans l’Assemblée Nationale, un monde d’hommes ?
Mouvements de l’explication linéaire
Ce texte commence par une interpellation violente de l’homme : Olympe de Gouges disqualifie progressivement la parole des hommes pour faire entendre avec force celle des femmes .
I. L’entrée en scène des femmes
II. L’aveuglement des hommes
III. Un portrait moral peu flatteur.
Axes du commentaire composé
I. Capter l’attention de l’auditoire
1) Un ton polémique provocateur
2) remettre la femme au centre du débat
3) Inverser les positions d’autorité
II. Remettre la femme au centre du débat
1) Revendiquer l’égalité
2) Une femme porteuse de Raison
3) L’homme ne se montre pas raisonnable
III. Utiliser les découvertes des Lumières
1) Utiliser une méthode scientifique
2) Observer l’ordre naturel
3) La collaboration des deux sexes
Premier mouvement :
L’entrée en scène des femmes
Déclaration des droits de la femme
Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l'oses, l'exemple de cet empire tyrannique.
Remettre la femme au centre du débat
• Le titre « Déclaration des droits de la Femme » attire l’attention sur la Femme et non la Citoyenne.
• Le terme « déclaration » est un énoncé performatif (dire, c’est faire) : le discours est fait pour être lu en Tribune.
• Il est placé après l’épître à la Reine où Olympe de Gouges se présente comme l’interlocutrice de la Reine.
• Le présentatif « c’est une femme » montre qu’Olyme de Gouges se met en scène comme porte parole des femmes.
• Le possessif « mon sexe » en fait une représentante.
⇨ Placé avant les articles de loi, ce texte adopte un ton polémique pour attirer l’attention sur la parole des Femmes.
Un ton polémique provocateur
• Elle interpelle l’Homme (l’absence de déterminant désigne tout homme en général) avec un argument ad hominem
• L’apostrophe se fait à travers une interrogation totale directe « Homme es-tu capable d’être juste ? ».
• Au total 5 questions oratoires mettent en cause la domination masculine « Qui t’a donné ? … ta force ? … tes talents ? »
• L'interrogation familière « Dis-moi ? », railleuse, signifie qu’il n’y pas de réponse possible.
• Le tutoiement familier des « républicains » est marqué par une allitération en T : Tu, juste, t’en, question, ôteras.
• Le seul droit des femmes « du moins » est de poser des questions.
• Elle utilise le champ lexical dépréciatif de la tyrannie pour accuser l’homme : « souverain empire … d'opprimer … empire tyrannique ».
⇨ Par ce ton provocateur, Olympe de Gouges dénonce une inégalité que l’époque semble considérer comme naturelle.
Olympe de Gouges revendique l’égalité
• L’antithèse « homme … c’est une femme » place le débat sur le terrain de l’égalité naturelle.
• Elle utilise des impératifs injonctifs : « observe, parcours, donne-moi » qui la placent dans une position d’autorité.
• Elle invite l’homme à se comparer au créateur, seul source de droit, par un parallélisme : « Observe… dans sa sagesse // parcours… dans toute sa grandeur ».
• Le double modalisateur « tu sembles vouloir » souligne une prétention vaine à s’approcher du modèle.
• Une proposition incise hypothétique « si tu l’oses » lance un défi impossible à relever.
⇨ Olympe de Gouges montre que l’homme a usurpé un droit qui n’appartient qu’au créateur.
Deuxième mouvement :
Mettre un terme à l’aveuglement des hommes
Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d'œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l'évidence quand je t'en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l'administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d'œuvre immortel.
Elle engage les hommes à utiliser une méthode scientifique
• L’adresse aux hommes se poursuit avec des verbes à l’impératif : « remonte, consulte, étudie. » qui suivent l’ordre chronologique d’une expérience.
• Le dernier verbe « jette un coup œil » est un euphémisme (elle atténue le propos) pour signifier : « pas besoin d’une attention profonde pour le constater cela… »
• La nature est envisagée dans tous ses aspects : « animaux, éléments, végétaux, matière ». Le pluriel dénote une certaine volonté d’exhaustivité.
• Olympe de Gouges fait référence ici à la méthode scientifique des savants (Buffon, Lamarck) en utilisant le champ lexical de l’expérience scientifique « étudier, évidence, moyens… »
• Elle invite l’homme à user des nouveaux outils de la Raison, pour arriver à une certitude : « rends-toi à l’évidence ».
⇨ Olympe de Gouges est une femme des Lumières « éclairée » : elle utilise ses connaissances pour obliger l’homme à reconnaître les erreurs de son jugement.
L'ordre naturel exclut la domination de l’homme
• Cet aspect ordonné de la nature est souligné par les termes « organisée » « administration ».
• L’auteur souligne l’égalité totale des sexes dans la nature : « confondus », « coopèrent », « ensemble harmonieux »
• L’anaphore de l’adverbe « partout » souligne l’universalité de cet ordre naturel et l’impossibilité de trouver une exception.
• L’antithèse « distingue / confondus » insiste sur un ordre naturel qui ne fait pas de différences entre les sexes.
• La métaphore hyperbolique : « chef d’œuvre immortel » désigne une œuvre artistique d’une perfection incontestable.
⇨ La domination qu’exerce l’homme est donc une anomalie contre-nature, un abus d’autorité.
L’inversion des positions d’autorité
• Le CC de cause : « quand je t’en offre les moyens » permettra à l’homme de sortir de son aveuglement.
• L'incise hypothétique « si tu peux », est un nouveau défi : cette distinction entre les sexes est purement artificielle.
• Les 3 impératifs successifs : « cherche, fouille, distingue » dénoncent d’avance une recherche frénétique et incertaine.
• Le futur simple pratiquement prophétique : « tu verras » guide l’homme vers la vérité.
• Cette vérité est la collaboration des sexes « coopèrent » (au présent de vérité générale).
⇨ Olympe de Gouges se présente comme une figure d’autorité capable de sortir l' homme de son aveuglement.
Troisième mouvement :
Un portrait moral peu flatteur
L'homme seul s'est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l'ignorance la plus crasse, il veut recommander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à égalité, pour ne rien dire de plus.
L’homme s’est mis volontairement en dehors de la nature
• Olympe De Gouges change de position d'énonciation : elle abandonne le tutoiement pour reprendre à la 3e personne « l’homme seul… »
• Elle désigne l’homme comme un cas à part, isolé dans la Nature : « seul, exception ».
• Le passé composé « s’est fagoté » dénonce un acte passé qui a des conséquences sur le présent.
• La voix pronominale « l’homme s’est fagoté » participe au registre épidictique (blâmer l’adversaire).
• Le verbe « fagoté » indique quelque chose de mal fait, bricolé, disparate. On est loin de l’ordre parfait de la nature.
• L’énumération d’adjectifs péjoratifs qui suivent : « bizarre, aveugle, boursouflé… dégénéré » utilise le champ lexical dû monstrueux dans une gradation (augmentation en intensité).
• C’est le début d’une période oratoire : une seule longue phrase jusqu’à la fin du paragraphe, dont le sujet est l’homme ( « il ») qu’elle critique violemment.
⇨ Olympe De Gouges adopte un langage de combat où l’adversaire est caricaturé pour mieux le décrédibiliser.
L’homme n’est plus un « animal raisonnable »
• Depuis l'Antiquité, cette définition du philosophe Aristote prévaut : l’homme se distingue par l’usage de la Raison.
• Olympe De Gouges montre que cette qualité s’est dégradée : il « s’est fagoté un principe » c’est-à-dire un préjugé, une loi qui ne procède pas de la raison : l’inégalité des sexes.
• Le superlatif « l’ignorance la plus crasse » dénonce l’obscurantisme d’une telle position.
• La métaphore « boursouflé » dénonce l’excès de confiance, et l’orgueil de l’homme qui invente des principes artificiels.
• L’antithèse est soulignée par la préposition « dans » : « dans ce siècle de Lumières » s’oppose à « dans l’ignorance la crasse ».
• Le mot « sagacité » renvoie à la « sagesse » du créateur dans le 1er paragraphe.
⇨ Olympe De Gouges dénonce l’inconséquence des hommes, leur manque de logique.
Une idée paradoxale : la femme est porteuse de la Raison
• À l’encontre de l’opinion générale de l’époque, Olympe De Gouges formule un paradoxe : c’est la Femme qui fait un bon usage de la Raison.
• Une périphrase « le sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles » exprime ce point de vue.
• Par contraste, l’homme n’utilise ses « droits inaliénables » que pour satisfaire ses désirs : il « veut commander en despote » et il « jouit » des droits acquis.
• Le verbe « vouloir » devient « prétendre » l’homme fait un usage excessif de ses droits.
• Olympe de Gouges montre qu’on pourrait développer encore ces excès « Pour ne rien dire de plus ».
⇨ Olympe De Gouges a inversé les positions : les femmes l’emportent dans l’usage de la Raison. D’un point de vue rhétorique, elle a établi l’ethos des femmes en décrédibilisant celui des hommes.
Conclusion
Bilan
• Dans ce texte, Olympe De Gouges, avec le franc parler qu’elle a revendiqué dans l’Épître à la Reine, défie les hommes pour faire entendre avec force la voix des femmes et leurs revendications d’égalité.
• Elle veut mettre un terme à l’aveuglement des hommes et leur abus d’autorité, en utilisant des arguments rationnels imparables issus des Lumières.
• La fin de ce passage fait un portrait peu flatteur des hommes, qui se sont mis hors de la nature en rabaissant les femmes. Ce sont elles qui portent finalement la voix de la Raison.
Ouverture
• Ce langage revendicatif rappelle celui des féministes militantes d’aujourd’hui, mais le texte n’a pas été retenu, ni diffusé en 1791.
• Il faut attendre un siècle et demi pour que l’éducation et les progrès législatifs rendent audible la voix des femmes, avec le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir en 1949.
• En 1986 Benoîte Groult, militante féministe, redécouvre la DDFC et la fait connaître.
• Olympe De Gouges ne montera pas en tribune. Mais en se confrontant à Robespierre deux ans plus tard, elle montera à l’échafaud…
La femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à La Tribune… Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Article X, 1791.
Nicolas-René Jollain, Humanité retenant la fureur de la guerre, 1781.
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