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Émile Zola, L’Assommoir Chapitre 10 (la misère)
Explication linéaire
Extrait étudié
Au milieu de cette existence enragée par la misère, Gervaise souffrait encore des faims qu'elle entendait râler autour d'elle. Ce coin de la maison était le coin des pouilleux, où trois ou quatre ménages semblaient s'être donné le mot pour ne pas avoir du pain tous les jours. Les portes avaient beau s'ouvrir, elles ne lâchaient guère souvent des odeurs de cuisine. Le long du corridor, il y avait un silence de crevaison, et les murs sonnaient creux, comme des ventres vides.
Par moments, des danses s'élevaient, des larmes de femmes, des plaintes de mioches affamés, des familles qui se mangeaient pour tromper leur estomac. On était là dans une crampe au gosier générale, bâillant par toutes ces bouches tendues ; et les poitrines se creusaient, rien qu'à respirer cet air, où les moucherons eux-mêmes n'auraient pas pu vivre, faute de nourriture.
Mais la grande pitié de Gervaise était surtout le père Bru, dans son trou, sous le petit escalier. Il s'y retirait comme une marmotte, s'y mettait en boule, pour avoir moins froid ; il restait des journées sans bouger, sur un tas de paille. La faim ne le faisait même plus sortir, car c'était bien inutile d'aller gagner dehors de l'appétit, lorsque personne ne l'avait invité en ville.
Quand il ne reparaissait pas de trois ou quatre jours, les voisins poussaient sa porte, regardaient s'il n'était pas fini. Non, il vivait quand même, pas beaucoup, mais un peu, d'un œil seulement ; jusqu'à la mort qui l'oubliait !
Introduction
Avec l'Assommoir, Zola nous entraîne dans le milieu ouvrier parisien, qui subit le contre-coup de la révolution industrielle. Tandis que certains font de la spéculation et s'enrichissent, comme on peut le voir dans La Curée. D'autres ne vivent que de leur travail, les ouvriers, meurent de faim et se réfugient dans l'alcool.
Dans la préface de l'Assommoir, Zola écrit :
J'ai voulu peindre la déchéance fatale d'une famille ouvrière dans le milieu empesté de nos faubourgs.
Notre passage illustre particulièrement bien le milieu empesté des faubourg, nettoyé par deux hivers particulièrement rudes, et par la misère. Les habitants sont à l'image de l'immeuble qu'ils habitent, les chambres sont vides, les ventres sont vides. Les habitants crient leur faim, l'immeuble ressemble à un monstre affamé qui engloutit ses victimes.
Au milieu de cela, Gervaise poursuit sa déchéance, et prend en pitié le père Bru, un vieil homme qui précède la jeune femme dans la niche sous l'escalier et dans la mort. Ce passage montre en raccourci le cheminement de tout ce petit monde de la misère à la mort, en passant par la famine.
Problématique
Comment cette peinture de la famine permet-elle à Zola de préparer le destin de Gervaise tout en dénonçant les structures sociales responsables de la misère et de l'exclusion ?
Axes de lectures pour un commentaire composé
> Un projet naturaliste qui immerge le lecteur dans un milieu social misérable.
> La misère et la faim sont généralisées dans tout l'immeuble, qui devient comme un monstre affamé.
> La faim, comme source de violence et d'abandon.
> Un raisonnement qui fait des individus les victimes de forces qui les dépassent.
> Un projet romanesque engagé qui s'attaque aux structures même de la société industrielle.
Premier mouvement
Un milieu misérable
Au milieu de cette existence enragée par la misère, Gervaise souffrait encore des faims qu'elle entendait râler autour d'elle. Ce coin de la maison était le coin des pouilleux, où trois ou quatre ménages semblaient s'être donné le mot pour ne pas avoir du pain tous les jours. Les portes avaient beau s'ouvrir, elles ne lâchaient guère souvent des odeurs de cuisine. Le long du corridor, il y avait un silence de crevaison, et les murs sonnaient creux, comme des ventres vides.
Gervaise est ici plongée dans un milieu misérable. Cela correspond bien au projet naturaliste qui étudie les milieux sociaux, et qui observe l'influence de ceux-ci sur les individus. Et ici l'influence est très forte, puisque Gervaise va jusqu'à souffrir les faims de ceux qui sont autour d'elle.
Le lecteur lui-même est immergé dans ce milieu ouvrier misérable, par les 5 sens : Zola nous donne à voir l'intérieur de l'immeuble, avec ses portes et ses corridors. Il nous donne à ressentir la faim, le ventre creux ... le goût est évoqué par l'absence pain, de même pour l'odeur de cuisine. Ce tableau terrible est complété par des sons : la résonance des murs et des ventres creux fait écho au mot crevaison. De même les râles de faim sont illustrés par des allitérations en R : « enragés … misère … Gervaise … encore … râler … autour ».
L'immeuble lui-même représente une classification sociale. Regardez : « le coin des pouilleux » il y a des parties de l'immeuble où l'on entasse les plus misérables.
Ainsi, les individus sont à l'image du cadre qu'ils habitent, les habitants sont comme un prolongement de l'immeuble lui-même. On le voit à travers le parallèle qui est fait entre les ventres vides et les murs qui sonnent creux. S'ils n'ont pas de quoi manger, les locataires ont encore moins de quoi meubler leur habitation.
Cela construit une métaphore : si les appartements sont comme des ventres, les portes sont comme des bouches, et l'immeuble est comme un monstre. Ils sont tous vides et affamés. Zola utilise souvent ce procédé qui consiste à généraliser un concept dans tout l'espace disponible. C'est le cas ici avec ces nombreux pluriels « les faims … les pouilleux … les ménages … les portes … les odeurs … les murs … les ventres ».
Tout cela sert le projet romanesque naturaliste de Zola : les individus sont le jouet de forces plus grandes qui les dépassent, ils sont victimes de déterminismes sociaux, ils sont plongés dans un milieu qui les engloutit et qui les écrase : il se réapproprie le registre tragique.
Deuxième mouvement :
Une image envahissante et collective
Par moments, des danses s'élevaient, des larmes de femmes, des plaintes de mioches affamés, des familles qui se mangeaient pour tromper leur estomac. On était là dans une crampe au gosier générale, bâillant par toutes ces bouches tendues ; et les poitrines se creusaient, rien qu'à respirer cet air, où les moucherons eux-mêmes n'auraient pas pu vivre, faute de nourriture.
Ce passage nous montre que la faim se généralise. D'abord les femmes, puis les mioches (on devine qu'il y en a plusieurs par femme), et donc par extension les familles, et enfin l'air lui-même, avec les moucherons, comme s'il n'y avait aucune limite à la généralisation de la faim dans tout Paris. C'est une hyperbole, une figure d'amplification, d'exagération : les moucherons eux-mêmes ne trouveraient pas de quoi manger.
Passer ainsi des humains, aux cris, à l'air, aux moucherons… C'est une logique métonymique. La métonymie consiste à associer des éléments par simple proximité, contiguïté ou glissement de sens. Une figure particulière de métonymie, c'est la synecdoque, où la partie représente le tout.
Regardez ici les bouches tendues, les poitrines creusées, l'estomac : ce sont des parties du corps qui désignent des êtres humains.
Les parties du corps représentent les individus qui représentent en fait toute une classe sociale, qui représente en fait la misère et la faim comme concept. C'est pourquoi le pluriel finit par devenir singulier : les bouches, les poitrines, deviennent : « une crampe au gosier générale ».
Ce que dénonce Zola ici, c'est l'injustice sociale : il souhaite montrer à son lecteur l'aspect collectif de la misère, et l'urgence de la situation. Le naturalisme de Zola n'est pas une simple observation de la réalité, c'est un projet littéraire engagé.
Ce passage fait écho à la description de l'alambic qui finit par inonder tout Paris avec son alcool. La faim se répand partout, non pas comme une inondation, mais plutôt comme une vibration dans l'air : en fait, la faim est une plainte.
Ainsi, les indications sonores sont nombreuses : la danse, les larmes, les plaintes, la crampe au gosier, bâiller. Le verbe manger a un double sens : manger de la nourriture, mais aussi, s'engueuler, se crier dessus. La colère et la plainte contre la faim se métamorphosent en disputes entre les habitants d'une même chambre. La misère devient violence à cause de la promiscuité. Zola décrit des mécanismes inéluctables.
Troisième mouvement :
L’exemple avant-coureur du père Bru
Mais la grande pitié de Gervaise était surtout le père Bru, dans son trou, sous le petit escalier. Il s'y retirait comme une marmotte, s'y mettait en boule, pour avoir moins froid ; il restait des journées sans bouger, sur un tas de paille. La faim ne le faisait même plus sortir, car c'était bien inutile d'aller gagner dehors de l'appétit, lorsque personne ne l'avait invité en ville.
Le père Bru est un ancien peintre en bâtiment, qui a perdu ses deux fils lors de la guerre de Crimée. Il a maintenant 70 ans, incapable de tenir un pinceau, n'ayant aucune famille, il est complètement abandonné et tente de survivre.
Gervaise éprouve de la pitié pour le père Bru, elle se montre humaine. Mais le vieil homme au contraire est en train de perdre son humanité : il est comparé à une marmotte.
Au début, il est sujet des verbes : se retirer, se mettre en boule. Mais ce sont des verbes pronominaux : il n'agit que sur lui-même. Si on regarde les verbes à l'infinitif, ils sont tous niés : sans bouger, sans sortir, c'était inutile d'aller gagner dehors.
Le père Bru devient alors progressivement objet : « la faim ne le faisait même plus sortir ». C'est la faim qui est le sujet de la phrase, elle est personnifiée par le verbe d'action « faire sortir ». Finalement, la faim elle-même devient plus animée que le vieil homme.
Enfin, « personne ne l'avait invité » c'est le mécanisme de l'abandon. Zola continue son raisonnement : ce milieu de misère fait perdre toute humanité, non seulement à ceux qui sont abandonnés, mais aussi à ceux qui ferment les yeux.
La sensation de froid apparaît dans chaque passage stratégique du roman : au début, quand Gervaise attend Lantier, le froid représente déjà l'abandon. Lorsque Gervaise observe l'alambic, elle dit « l'alcool me fait froid », et à la toute fin du roman :
Maintenant, elle habitait la niche du père Bru. C’était là dedans, sur de la vieille paille, qu’elle claquait du bec, le ventre vide et les os glacés.
Mais Zola insiste : on ne peut pas tenir le froid pour responsable de la mort de Gervaise :
Mais la vérité était qu’elle s’en allait de misère, des ordures et des fatigues de sa vie gâtée.
Quand il ne reparaissait pas de trois ou quatre jours, les voisins poussaient sa porte, regardaient s'il n'était pas fini. Non, il vivait quand même, pas beaucoup, mais un peu, d'un œil seulement ; jusqu'à la mort qui l'oubliait !
Les voisins ont peur d'oublier le père Bru sous la niche et de se retrouver avec un cadavre en décomposition. Ce n'est pas par altruisme qu'ils regardent s'il est encore en vie. Ici encore, Zola annonce la mort de Gervaise à la toute fin du roman :
Un matin, comme ça sentait mauvais dans le corridor, on se rappela qu’on ne l’avait pas vue depuis deux jours ; et on la découvrit déjà verte, dans sa niche.
C'est ce qu'on appelle l'ironie tragique : le narrateur fait allusion au destin funeste des personnages. « jusqu'à la mort qui l'oubliait » : dans notre roman, la mort est symbolisée par le fossoyeur, le père Bazouge. Il personnifie pour ainsi dire cette ironie tragique en apparaissant régulièrement quand on ne l'attend pas. C'est lui qui aura le dernier mot du roman :
« Fais dodo, ma belle ! »
Dans la préface de l'Assommoir, Zola écrit :
Au bout de l'ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l'oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort.
Dans ce schéma, on peut lire en filigrane la fatalité de l'abandon avec notamment les relâchements des liens de la famille. Le père Bru perd ses deux fils. Gervaise doit aussi se séparer de ses enfants. Claude est envoyé chez un peintre dans le sud de la France, et Étienne chez un mécanicien, à Lille. On apprend au début de Germinal, qu'Étienne est renvoyé pour insubordination, c'est pour ça qu'il ne pourra plus envoyer d'argent à sa mère.
Gervaise meurt donc aussi de cette forme d'abandon, qui n'a rien de cruel ou de malveillant, c'est simplement une conséquence inéluctable d'un système de production qui n'a rien d'humain. La société industrielle, froide et sans émotion, remplace chez Zola les anciens dieux grecs colériques et impitoyables. Il s'approprie le registre tragique au sein de son projet naturaliste.
Conclusion
Zola immerge le lecteur dans ce milieu ouvrier misérable avec les 5 sens. Les habitants sont à l'image du cadre qu'ils habitent, comme un prolongement de l'immeuble. Les chambres sont vides, les ventres sont vides, et l'immeuble devient comme une sorte de monstre affamé. La faim occupe bientôt tout l'espace disponible, engloutissant les personnages. La promiscuité aidant, les plaintes se métamorphosent en colère et en violence.
À travers des images fortes, Zola mène un raisonnement implacable. La misère rend égoïste, l'abandon est généralisé et fait perdre à chacun son humanité. Ainsi, les individus sont le jouet de forces qui les dépassent. Chez Zola, ce ne sont plus les dieux de l'antiquité, mais les déterminismes sociaux ainsi que l'hérédité qui écrasent les hommes. Notre passage est chargé d'ironie tragique, car il prépare la déchéance et la fin de Gervaise à travers le père Bru.
Le projet romanesque de Zola est engagé, il dénonce l'injustice sociale, il montre que la misère s'exerce collectivement. Au-delà d'une simple observation de la réalité, le naturalisme de Zola invite à s'engager et à agir sur les structures sociales.
Dans sa lettre au Bien public, publiée en 1877 dans La Vie littéraire, Zola écrit :
J’ai fait ce que j’avais à faire ; j’ai montré les plaies, j’ai éclairé violemment des souffrances et des vices, que l’on peut guérir. [...] Mais je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver des remèdes.
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