Couverture du livre Gargantua de Rabelais

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Couverture pour Gargantua

Rabelais, Gargantua
Chapitre 27
Explication linéaire



Extrait étudié




Dans l'abbaye il y avait alors un moine cloîtré nommé Frère Jean des Entommeures, jeune, gaillard, fringuant, joyeux, bien habile, hardi, aventureux, décidé, haut, maigre, bien fendu de gueule, bien servi en nez, beau dépêcheur d'heures, beau débrideur de messes, beau décrotteur de vigiles et pour tout dire sommairement, un vrai moine s'il en fut jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie ; au reste, connaisseur jusques aux dents en matière de bréviaire.
Celui-ci, entendant le bruit que faisaient les ennemis à travers le clos de leur vigne, sortit pour voir ce qu'ils faisaient. En s'apercevant qu'ils vendangeaient leur clos sur lequel reposait leur boisson pour toute l'année, il s'en retourne au choeur de l'église où se trouvaient les autres moines, tout abasourdis comme fondeurs de cloches, et voyant qu'ils chantaient : « Ini - nim - pe - ne - ne - ne - ne - ne - ne - tum - ne - num - num - ini - i - mi - i - mi - co - o - ne - no - o - o - ne - no - ne - no - no - no - rum - ne - num - num...
— C'est, dit-il, bien chien chanté ! Vertu Dieu, que ne chantez-vous :
Adieu paniers, vendanges sont faites ?
« Je me donne au diable s'ils ne sont pas dans notre clos à couper si bien ceps et raisins que, par le corps Dieu, il n'y aura de quatre années rien à grappiller dedans. [...] Seigneur Dieu, donnez-nous notre vin quotidien ! »
Alors le prieur claustral dit :
— Que peut bien faire cet ivrogne ici ? [...] Troubler ainsi le service divin !
— Oui, mais le service du vin, dit le moine, faisons en sorte qu'il ne soit pas troublé. »




Introduction



Accroche



• Rabelais quitte les ordres en 1528, étudie la médecine, il est condamné pour apostasie, hérésie…
• Mais il est protégé par le cardinal Jean du Bellay (oncle de Joachim).
• Son personnage de frère Jean des Entommeures, vivant et drôle, porte des qualités humanistes, critique l’institution monastique.

Situation



• Frère Jean intervient pour sauver les vignobles de Seuilly.
• Épisode qui a une dimension symbolique / allégorique : c’est un véritable débat sur la bonne attitude à adopter face au danger.

Problématique



Comment Rabelais présente-t-il ce Frère Jean des Entommeures pour mieux porter des valeurs humanistes au cœur d’un débat sur le rôle des moines dans une société en plein bouleversement ?

Mouvements



1) Un portrait paradoxal
2) Un péril révélateur
3) Des propos d’ivrogne ?

Axes de lecture pour un commentaire composé



1) Une satire amusante et vivante
Un récit drôle et vivant
Une satire des moines

2) Une dimension symbolique cachée
Une dimension symbolique
Le salut de l'âme

3) Un message profondément humaniste
Des qualités humanistes
Inviter à l'action





Premier mouvement :
Un portrait paradoxal




Dans l'abbaye il y avait alors un moine cloîtré nommé Frère Jean des Entommeures, jeune, gaillard, fringuant, joyeux, bien habile, hardi, aventureux, décidé, haut, maigre, bien fendu de gueule, bien servi en nez, beau dépêcheur d'heures, beau débrideur de messes, beau décrotteur de vigiles et pour tout dire sommairement, un vrai moine s'il en fut jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie ; au reste, connaisseur jusques aux dents en matière de bréviaire.


Qualités humanistes, sous forme de gradation :


• D’abord qualités physiques « jeune, gaillard, fringuant ».
• Puis qualités morales : « joyeux, hardi, aventureux, décidé ».

Mais on décèle aussi un enthousiasme excessif du narrateur :


• Revenir au physique : “haut, maigre ».
• Mêler les adjectifs courts et les locutions longues « bien fendu de gueule ».
• Parallélismes avec répétition des adjectifs « bien fendu … bien servi … beau … beau ».
• Contraste langage familier / élevé : « décrotteur de vigiles ».

Rabelais s’amuse avec Alcofribas Nasier, narrateur maladroit :


• Tente de résumer sans y parvenir « pour tout dire sommairement ».
• Polyptote (variations grammaticales d’un même mot) « moine moinant moina de moinerie ».

Frère Jean a pourtant les défauts des autres moines :


• Il expédie les prières comme du courrier « dépêcheur d’heure ».
• Il dit la messe comme un cheval au galop « débrideur de messes ».
• vigiles : prières qu’on dit à l’avance. « décrotteur » comme on nettoie les sabots d’un cheval.
• Chez Rabelais, le cheval symbolise souvent la liberté et l’efficacité.

Passage en partie ironique :


• Pratiques absurdes : réciter des prières à la hâte…
• Rabelais partage le point de vue de Frère Jean : trop de prières, c’est du temps perdu pour des activités utiles à la communauté.
• Poser la question : qu’est-ce qu’un « vrai moine » ?
• « S’il en fut jamais » la plupart des moines n’ont pas les qualités.

1517 Martin Luther placarde 95 thèses :


• Remise en cause des indulgences : on n’achète pas la rédemption.
• Il vaut mieux faire des actes de charité.

Rabelais partage en partie ces idées :


• Les moines doivent rester utiles aux autres, donner l’exemple.
• Le « bréviaire » emmené en voyage est plus pratique.
⇨ Frère Jean préfère le bréviaire aux règles monastiques.




Deuxième mouvement :
un péril révélateur




Celui-ci, entendant le bruit que faisaient les ennemis à travers le clos de leur vigne, sortit pour voir ce qu'ils faisaient. En s'apercevant qu'ils vendangeaient leur clos sur lequel reposait leur boisson pour toute l'année, il s'en retourne au choeur de l'église où se trouvaient les autres moines, tout abasourdis comme fondeurs de cloches, et voyant qu'ils chantaient : « Ini - nim - pe - ne - ne - ne - ne - ne - ne - tum - ne - num - num - ini - i - mi - i - mi - co - o - ne - no - o - o - ne - no - ne - no - no - no - rum - ne - num - num…


On entre véritablement dans une scène d’action très vive :


• Usage du passé simple « celui-ci … sortit pour voir ».
• verbes d’action « faire » ou de perception « voir ».
• On bascule au présent ! « il s’en retourne ».
• Qualité humaniste : avoir une expérience directe du problème.

Les autres moines sont au contraire immobiles.


• Participe passé « abasourdi » c’est-à-dire rendus sourds.
• Par les cloches, symboliquement par les prières récitées à heure fixe.
• Leur chant est comique « Ini - nim - pe - ne - ne - ne - ne »
• Deux mots latins « impetum inimicorum » (l’attaque des ennemis)
⇨ Au lieu d’agir, ils commentent ce qui se passe.

Ce passage a une valeur satirique et symbolique :


• Saccage de l'abbaye = le péril de l’âme de ses contemporains.
• Si les moines ne font pas leur devoir, c’est un danger pour tous.
⇨ Rabelais et Martin Luther sont subversifs à l’époque.



Troisième mouvement :
Des propos d’ivrogne ?




— C'est, dit-il, bien chien chanté ! Vertu Dieu, que ne chantez-vous :
Adieu paniers, vendanges sont faites ?
« Je me donne au diable s'ils ne sont pas dans notre clos à couper si bien ceps et raisins que, par le corps Dieu, il n'y aura de quatre années rien à grappiller dedans. [...] Seigneur Dieu, donnez-nous notre vin quotidien ! »
Alors le prieur claustral dit :
— Que peut bien faire cet ivrogne ici ? [...] Troubler ainsi le service divin !
— Oui, mais le service du vin, dit le moine, faisons en sorte qu'il ne soit pas troublé.


Frère Jean utilise d’abord l’humour pour inviter ses frères à l’action :


• Expression en raccourci « Adieu paniers, vendanges sont faites ? »
• Euphémisme « vendange » = « destruction »
• Imite la chuintante « bien chien chanté » (allitération).
• Paronomase « chier » car les moines s’enlisent par le chant, et ont besoin comme le cheval d’être décrottés.

Clé de lecture du roman : le rôle des moines.


• Chapitre 39 « laver la merde du monde ».
• Protéger les populations des dangers spirituels.
• Métaphore filée : détruire les vignes = répandre le sang du christ.
• Frère Jean le dit lui-même « par le corps-dieu ».
• Parodie de prière : « donnez-nous notre vin quotidien ».

Véritable enjeu caché :


• Frère Jean est interrompu par ceux qui ne veulent pas agir.
• Le prieur claustral lui reproche de « troubler le service divin » !
• Le jeu de mot de Frère Jean est révélateur « le service du vin ».
⇨ Pas l’alcoolisme, mais une vie remplie de véritable spiritualité



Conclusion



• Dans le passage suivant, Frère Jean des Entommeures va démolir ses ennemis. Le récit devient épique.
• Situation drôle et symbolique pour porter des valeurs humanistes.
• Satire des ordres monastiques qui méritent une véritable mission.
• Crise qui alimente les pensées des humanistes : la place de l’homme dans l’univers.



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Jules Garnier, Frère Jean défend l'abbaye de Seuillé, 1897.

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