Couverture pour Discours de la servitude volontaire

La Boétie, Discours de la Servitude volontaire
Les punitions des complices
Explication linéaire




Extrait étudié



Ces misĂ©rables voient reluire les trĂ©sors du tyran et regardent tout Ă©bahis les rayons de sa magnificence et, allĂ©chĂ©s de cette clartĂ©, ils s’approchent et ne voient pas qu’ils se jettent dans la flamme, qui ne peut manquer de les consumer. Ainsi l’indiscret satyre, comme disent les fables anciennes, voyant briller le feu ravi par PromĂ©thĂ©e, le trouva si beau qu’il alla le baiser et se brĂ»la. Ainsi le papillon qui, espĂ©rant jouir de quelque plaisir, se met dans le feu parce qu’il reluit, Ă©prouve l’autre vertu, celle qui brĂ»le, comme dit le poète toscan. Mais supposons encore que ces mignons Ă©chappent des mains de celui qu’ils servent, ils ne se sauvent jamais de celles du roi qui lui succède. S’il est bon, il faut rendre compte et se soumettre Ă  la raison ; s’il est mauvais et pareil Ă  leur ancien maĂ®tre, il ne peut manquer d’avoir aussi des favoris qui, d’ordinaire, ne se contentent pas d’avoir Ă  leur tour la place des autres, s’ils n’ont encore le plus souvent et leurs biens et leur vie.
Se peut-il donc qu’il se trouve quelqu’un qui, en si grand pĂ©ril et avec si peu d’assurance, veuille prendre cette malheureuse place de servir avec tant de peine un si dangereux maĂ®tre ? Quelle peine, quel martyre est-ce, grand Dieu ? ĂŞtre nuit et jour occupĂ© de plaire Ă  un homme, et nĂ©anmoins se mĂ©fier de lui plus que de tout autre au monde, avoir toujours l’œil au guet, l’oreille aux Ă©coutes, pour Ă©pier d’oĂą viendra le coup, pour dĂ©couvrir les embĂ»ches, pour sentir la mine de ses compagnons, pour savoir qui le trahit, rire Ă  chacun et se mĂ©fier de tous, n’avoir ni ennemi reconnu ni ami assurĂ©, ayant toujours le visage riant et le cĹ“ur transi, ne pouvoir ĂŞtre joyeux et n’oser ĂŞtre triste.
Mais c’est plaisir de considĂ©rer ce qui leur revient de ce grand tourment et le bien qu’ils peuvent attendre de leur peine et de leur misĂ©rable vie. D’ordinaire, ce n’est pas le tyran que le peuple accuse du mal qu’il souffre, mais bien ceux qui gouvernent ce tyran. Ceux-lĂ , le peuple, les nations, tout le monde Ă  l’envi, jusqu’aux paysans, jusqu’aux laboureurs, savent leurs noms, dĂ©chiffrent leurs vices, amassent sur eux mille outrages, mille injures, mille malĂ©dictions. Toutes leurs prières, tous leurs vĹ“ux sont tournĂ©s contre ceux-lĂ . Tous leurs malheurs, toutes les pestes, toutes les famines, ils les leur reprochent ; et si, quelquefois, ils leur rendent en apparence quelques hommages, alors mĂŞme ils les maudissent en leur cĹ“ur et les ont en plus grande horreur que les bĂŞtes sauvages.


Introduction



Accroche


• Au XVIe siècle, les penseurs conseillent les souverains.
• Guillaume Budé écrit L'Institution du prince, Érasme écrit L’institution du Prince chrétien, Machiavel dans Le Prince conseille aux rois d’être pragmatiques…

Situation


• Dans le Discours de la Servitude Volontaire, le jeune La BoĂ©tie prend la question dans l’autre sens : au lieu de conseiller le souverain, il s'adresse au peuple et l’incite Ă  prendre sa libertĂ©.
• Tout au long du Discours, il démontre que le pouvoir du tyran tient grâce à quelques favoris, les complices du tyran.
• Dans notre passage, il met en garde ces « tyranneaux Â» : en se faisant courtisans, ils ont plus Ă  perdre qu’à gagner.

Problématique


Comment ce texte dĂ©peint-il avec prĂ©cision la condition mĂ©prisable du courtisan qui, Ă©bloui par le pouvoir, soutient la tyrannie et suscite la haine de tous ?

Mouvements de l’explication linéaire


Les liens logiques d’opposition « mais Â» structurent ce passage, oĂą les pires aspects de la condition de courtisan sont analysĂ©s.
1) D’abord, La Boétie avertit les favoris contre le danger de s’approcher trop près du pouvoir.
2) Ensuite, il montre que le courtisan ne dépend pas seulement du tyran, mais aussi de ceux qui l’entourent et lui succèdent…
3) Enfin, les complices du tyran subissent la haine du peuple, même après leur mort.

Axes de lecture pour un commentaire composé


I. Une dénonciation véhémente et convaincante
    1) Une argumentation oratoire
    2) Une condamnation morale sans appel
    3) Le recours Ă  des « exempla Â»
II. Une description Ă  charge de la condition de courtisan
    1) Le piège de la servitude
    2) Une situation psychologique intenable
    3) L’inversion des rĂ´les dominant / dominĂ©
III. Une réflexion politique novatrice
    1) Une critique radicale de la servitude volontaire
    2) Un appel Ă  la luciditĂ©
    3) Une rĂ©flexion humaniste universelle

Premier mouvement :
L’attrait irrésistible du pouvoir et son issue fatale



Ces misérables voient reluire les trésors du tyran et regardent tout ébahis les rayons de sa magnificence et, alléchés de cette clarté, ils s’approchent et ne voient pas qu’ils se jettent dans la flamme, qui ne peut manquer de les consumer. Ainsi l’indiscret satyre, comme disent les fables anciennes, voyant briller le feu ravi par Prométhée, le trouva si beau qu’il alla le baiser et se brûla. Ainsi le papillon qui, espérant jouir de quelque plaisir, se met dans le feu parce qu’il reluit, éprouve l’autre vertu, celle qui brûle, comme dit le poète toscan.

Des courtisans dénoncés pour leur avidité


• Les courtisans sont tout de suite montrĂ©s du doigt : « Ces misĂ©rables Â». L’adjectif dĂ©monstratif « ces Â» fait ressortir toute la connotation dĂ©prĂ©ciative du substantif « misĂ©rables Â».
• Le champ lexical de la richesse : « trĂ©sors, magnificence Â» est associĂ© Ă  celui de la lumière « reluire, rayons, clartĂ©, flamme Â» pour Ă©voquer l’attrait trompeur du pouvoir.
• Les courtisans sont dĂ©crits comme des ĂŞtres enfantins et cupides « Ă©bahis… allĂ©chĂ©s Â» les participes passĂ©s construisent une vĂ©ritable caricature de ces personnages.
⇨ Le ton est celui de la satire : les courtisans sont mis en scène dans leur rapport de fascination vis Ă  vis du pouvoir.

L’image très parlante de la flamme


• L’auteur dĂ©veloppe un petit rĂ©cit : « ils voient reluire les trĂ©sors Â» mais ne « voient pas qu’ils se jettent dans la flamme Â». La rĂ©pĂ©tition du verbe « voir Â» insiste sur leur aveuglement fatal.
• L’attrait du pouvoir est irrĂ©sistible et fatal : ils « voient Â», puis « s’approchent Â» et « se jettent Â» avant d’être « consumĂ©s Â».
• L’image du feu est construite progressivement : d’abord des « rayons Â» puis la « clartĂ© Â» et enfin « la flamme Â».
• D’un cĂ´tĂ©, l’attirance « voyant briller … espĂ©rant jouir … parce qu’il reluit Â» sont de CC de cause.
• La fatalitĂ© est bien marquĂ©e par la syntaxe : « ne peut que se consumer Â» le prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale renforce la restriction.
⇨ Cette métaphore filée sous forme de récit montre que la séduction du tyran peut être irrésistible et mortelle.

Deux apologues cruels et évocateurs


• Ces deux exemples sont introduits pareillement : « Ainsi Â» (l’outil de comparaison revient en anaphore rhĂ©torique) cela crĂ©e un effet de symĂ©trie et de gĂ©nĂ©ralisation.
• D’abord, « l’indiscret satyre Â» (dans la mythologie), s’approche du feu que PromĂ©thĂ©e a volĂ© aux dieux. D’ailleurs, PromĂ©thĂ©e sera condamnĂ© par Jupiter pour ça (symbole humaniste).
• Ensuite, le « papillon qui se brĂ»le les ailes Â» est une image empruntĂ©e Ă  PĂ©trarque « poète toscan Â» consumé… par l’amour.
• La soif de pouvoir ressemble au dĂ©sir charnel. Le Satire veut « baiser Â» le feu. Le papillon espère « jouir de quelque plaisir Â».
⇨ Ces deux fables enseignent une leçon universelle : ce qui « brille Â» peut dĂ©truire celui qui se laisse sĂ©duire.

Transition


Ensuite, La BoĂ©tie cherche Ă  Ă©valuer toutes les possibilitĂ©s, que se passerait-il si les favoris ne se brĂ»laient pas les ailes dans un premier temps ? Ils tomberaient alors dans d’autres pièges.

Deuxième mouvement :
Le piège de la condition de courtisan



Mais supposons encore que ces mignons Ă©chappent des mains de celui qu’ils servent, ils ne se sauvent jamais de celles du roi qui lui succède. S’il est bon, il faut rendre compte et se soumettre Ă  la raison ; s’il est mauvais et pareil Ă  leur ancien maĂ®tre, il ne peut manquer d’avoir aussi des favoris qui, d’ordinaire, ne se contentent pas d’avoir Ă  leur tour la place des autres, s’ils n’ont encore le plus souvent et leurs biens et leur vie. Se peut-il donc qu’il se trouve quelqu’un qui, en si grand pĂ©ril et avec si peu d’assurance, veuille prendre cette malheureuse place de servir avec tant de peine un si dangereux maĂ®tre ? Quelle peine, quel martyre est-ce, grand Dieu ? ĂŞtre nuit et jour occupĂ© de plaire Ă  un homme, et nĂ©anmoins se mĂ©fier de lui plus que de tout autre au monde, avoir toujours l’œil au guet, l’oreille aux Ă©coutes, pour Ă©pier d’oĂą viendra le coup, pour dĂ©couvrir les embĂ»ches, pour sentir la mine de ses compagnons, pour savoir qui le trahit, rire Ă  chacun et se mĂ©fier de tous, n’avoir ni ennemi reconnu ni ami assurĂ©, ayant toujours le visage riant et le cĹ“ur transi, ne pouvoir ĂŞtre joyeux et n’oser ĂŞtre triste.

La condition de courtisan, un véritable piège


• La BoĂ©tie fait une concession « Mais supposons Â» avec le lien d’opposition et la première personne du pluriel (l’auteur).
• Il accompagne cela d’un effet oratoire « supposons encore Â» : l’adverbe signale une hypothèse ironique, improbable.
• Le cas du « mignon Â» proche du roi est une rĂ©alitĂ© de la cour du XVIème siècle (prendra le sens « d’amant Â» avec Henri III).
• Le courtisan est piĂ©gĂ© car « s’il Ă©chappe Â» Ă  son roi, il « ne se sauve jamais Â» de son successeur.
• La mĂ©taphore de la chasse est implicite « Ă©chapper… sauver… des mains de Â». Les rois sont des prĂ©dateurs.
⇨ La Boétie développe ensuite les alternatives qui font de ce rôle de courtisan un véritable piège.

Chaque alternative est sans issue


• Deux cas sont Ă©voquĂ©s par des hypothèses : « S’il est bon… s’il est mauvais Â». L’antithèse « bon / mauvais Â» totalise tous les cas.
• Dans le meilleur cas, « s’il est bon Â» l’asservissement est effectif « il faut rendre compte et se soumettre Â».
• Dans ce cas il est intĂ©ressant de remarquer que La BoĂ©tie lie « bontĂ© Â» et « raison Â» ce que ne fait pas Machiavel par exemple.
• Dans l’autre cas « s’il est mauvais Â», ils sont dĂ©possĂ©dĂ©s : « la place… leurs biens… leur vie Â» la gradation est cruelle.
• C’est ce qui arrive d’ailleurs le plus souvent « d’ordinaire… le plus souvent Â» (locutions adverbiales de temps).
⇨ La BoĂ©tie montre que le destin des courtisans est fatal, alors il interroge : qui peut vouloir occuper cette place ?

L’absurdité du choix d'être courtisan


• La BoĂ©tie joue l’étonnement « se peut-il ? Â» question rhĂ©torique (la rĂ©ponse implicite est « non en effet personne ne veut cela ! Â»)
• Qu’un homme « veuille prendre… cette place Â» est absurde : le subjonctif modalise le verbe.
• La BoĂ©tie dramatise : « si grand pĂ©ril… si peu d’assurance… si dangereux maĂ®tre Â» l’adverbe intensif « si Â» est multipliĂ©.
• Le danger n’en vaut pas la peine ! « cette malheureuse place Â» (dĂ©monstratif + pĂ©joratif) s’oppose « tant de peine Â».
• La tonalitĂ© ironique est soulignĂ©e par l’allitĂ©ration en K « donc quelqu’un qui Â» puis en S « place de servir Â» l’effet est comique.
⇨ La Boétie met en évidence ici l'absurdité de la servitude volontaire et la condamne.

La condition de courtisan est comparée à un martyre


• Le registre pathĂ©tique est mis en place par le mot « peine Â» qui sert de transition vers la deuxième question rhĂ©torique « Quelle peine, quel martyre est-ce, grand Dieu ? Â»
• La question rhĂ©torique participe Ă  une hyperbole, car la rĂ©ponse attendue est extrĂŞme « il n’y a pas de pire peine Â».
• Le moment a une gravitĂ© religieuse : « quel martyre est-ce, grand Dieu Â» le martyre est normalement rĂ©servĂ© Ă  un saint.
• En passant de la « peine Â» au « martyre Â» La BoĂ©tie souligne ironiquement que les favoris ne sont justement pas des saints !
⇨ La Boétie annonce la pire condition qui soit pour mieux entrer dans le détail de ces supplices.

Une pression permanente


• Ce sont des souffrances continuelles « nuit et jour Â» la coordination ne laisse aucun rĂ©pit.
• Les souffrances sont interminables, comme la phrase (pĂ©riode rhĂ©torique) : « plaire… se mĂ©fier… avoir… Ă©pier… dĂ©couvrir… Â» il s’agit d’une longue Ă©numĂ©ration de verbes Ă  l’infinitif.
• La BoĂ©tie souligne le paradoxe de « plaire Â» et de « se mĂ©fier Â» : l’adverbe « nĂ©anmoins Â» souligne la dissonance psychologique.
• C’est un Ă©tat de vigilance extrĂŞme « l'Ĺ“il au guet, l’oreille aux Ă©coutes Â» les perceptions sont variĂ©es et mises en parallèle.
• Le complot est permanent : « Ă©pier… embĂ»ches… trahit Â» la chronologie accompagne une gradation vers le pire.
⇨ Cette pression permanente participe en fait d’un isolement social absolu (la pire chose qu’un humaniste puisse concevoir !)

Un isolement social absolu


• Le courtisan est vouĂ© Ă  l’isolement social : « ni ennemi reconnu, ni ami assurĂ© Â» : la nĂ©gation « ni… ni… Â» se double d’une antithèse pour traduire la perte des repères.
• La trahison est inĂ©luctable « d’oĂą viendra le coup Â» le futur accompagne l’image brutale d’un « coup Â».
• La dualitĂ© est prĂ©sente partout « rire Ă  chacun et se mĂ©fier de tous … le visage riant et le cĹ“ur transi … ne pouvoir ĂŞtre joyeux et n’oser ĂŞtre triste Â» les antithèses sont multipliĂ©es.
• Ces Ă©motions sont cachĂ©es dans un « cĹ“ur transi Â» s’opposant au « visage Â» qui n’est qu’un masque.
⇨ La Boetie analyse brillamment les ressorts psychologiques de la souffrance et de l'aliénation.

Transition


Après la description des souffrances du courtisan, La Boétie ouvre une perspective plus large en explorant la violence sociale et l’exclusion dont ils sont victimes.

Troisième mouvement :
Une condamnation morale unanime



Mais c’est plaisir de considĂ©rer ce qui leur revient de ce grand tourment et le bien qu’ils peuvent attendre de leur peine et de leur misĂ©rable vie. D’ordinaire, ce n’est pas le tyran que le peuple accuse du mal qu’il souffre, mais bien ceux qui gouvernent ce tyran. Ceux-lĂ , le peuple, les nations, tout le monde Ă  l’envi, jusqu’aux paysans, jusqu’aux laboureurs, savent leurs noms, dĂ©chiffrent leurs vices, amassent sur eux mille outrages, mille injures, mille malĂ©dictions. Toutes leurs prières, tous leurs vĹ“ux sont tournĂ©s contre ceux-lĂ . Tous leurs malheurs, toutes les pestes, toutes les famines, ils les leur reprochent ; et si, quelquefois, ils leur rendent en apparence quelques hommages, alors mĂŞme ils les maudissent en leur cĹ“ur et les ont en plus grande horreur que les bĂŞtes sauvages.

Une introduction ironique et cruelle


• L’effet de surprise est fort car face Ă  ces peines, l’auteur se rĂ©jouit « Mais c’est plaisir de considĂ©rer Â» : le lien d’opposition introduit la condamnation morale.
• Les souffrances du courtisan sont bien mal payĂ©es ! « Ce qui leur revient… le bien qu’ils peuvent attendre Â». Pour l’instant, cela reste imprĂ©cis, avec le pronom relatif « ce qui Â».
• L’auteur utilise mĂŞme une ironie cinglante, puisque « tout le bien qu’ils peuvent attendre Â» introduit en fait de nouveaux tourments pires que les prĂ©cĂ©dents.
• Ceux-ci sont rappelĂ©s par le champ lexical de la souffrance « grand tourment… peine… misĂ©rable vie Â».
• Le terme « misĂ©rable vie Â» a donc deux sens concurrents (polysĂ©mie) une vie digne de pitiĂ©, une vie condamnable.
⇨ La BoĂ©tie introduit une condamnation morale : la rĂ©tribution sera en fait une punition, mĂ©ritĂ©e.

Une punition qui vient du peuple


• La Boetie rappelle un mĂ©canisme au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale « d’ordinaire, ce n’est pas le tyran, mais bien ceux qui le gouvernent Â». La locution adverbiale « d’ordinaire Â» gĂ©nĂ©ralise.
• La haine ne se porte pas sur le tyran « mais bien Â» sur ses favoris. Le lien d’opposition insiste sur le paradoxe.
• Le peuple les « accuse du mal qu’il souffre Â» car les tyranneaux rĂ©percutent leur « tourment Â» : le système est pyramidal.
• La BoĂ©tie prĂ©cise sa pensĂ©e « Ceux-lĂ , le peuple, les nations, tout le monde Ă  l’envie Â» le passage du singulier au pluriel « le peuple, les nations Â» puis la gĂ©nĂ©ralisation « tout le monde Â»
• Il entre ensuite dans le dĂ©tail des classes sociales laborieuses « paysans… laboureurs… Â» en multipliant les pluriels : les courtisans se trouvent face Ă  une multitude.
⇨ Le raisonnement est rigoureux, mais il va aussi mobiliser les émotions (persuasion).

L’amplification démesurée de la haine


• La BoĂ©tie conjugue les procĂ©dĂ©s d’amplification « savent… dĂ©chiffrent… amassent… Â» la gradation est aussi un allongement.
• Il dĂ©ploie une succession d’hyperboles « mille outrages, mille injures, mille malĂ©dictions Â» qui sont encore une gradation.
• Le peuple est entier, sans nuance « Toutes leurs prières, tous leurs vĹ“ux… Tous leurs malheurs… Â» le mĂŞme dĂ©terminant totalisant est rĂ©pĂ©tĂ© en anaphore rhĂ©torique.
• D’un cĂ´tĂ© « leurs prières Â» et « leurs vĹ“ux Â» de l’autre « leurs malheurs Â». Les aspirations et les craintes (antithèse) sont toutes dirigĂ©es contre les mĂŞmes tyranneaux.
• La BoĂ©tie entre dans le dĂ©tail des malheurs « toutes les pestes toutes les famines Â» rappellent les flĂ©aux bibliques et le motif du bouc-Ă©missaire (biblique lui aussi).
⇨ Ces procédés rhétoriques traduisent la force et l’universalité de la haine vouée aux courtisans.

Une haine qui est le plus souvent cachée


• Les « quelques hommages Â» sont rares : « quelquefois Â». Ils s’opposent Ă  un acte plus sincère « il les maudissent Â».
• L’opposition est renforcĂ©e par l’antithèse entre les CC de lieu : « en leur cĹ“ur Â» et « en apparence Â».
• L’émotion inspirĂ©e est particulièrement forte : « en plus grande horreur que les bĂŞtes sauvages Â» la structure est superlative.
• La mĂ©taphore bestiale « bĂŞtes sauvages Â» insiste sur la fĂ©rocitĂ© des courtisans aux yeux du peuple.
⇨ La Boétie montre l’énormité de cette haine, afin de dissuader quiconque de vouloir se faire complice du tyran. Il finira d’ailleurs son discours en émettant l’idée que ces complices finiront probablement en enfer après leur mort…

Conclusion



Bilan


• Dans cet extrait du Discours de la servitude volontaire, La Boétie révèle, sous une rhétorique habile, une pensée politique fine et moderne. En analysant la condition des favoris, fascinés puis piégés par leur goût du pouvoir, il dévoile des mécanismes subtils qui mènent à la violence et à la haine.
• Son Ă©criture, volontiers ironique, est originale et percutante : mĂŞlant rĂ©cit, rĂ©fĂ©rences antiques et modernes, il propose une analyse politique qui prĂ©figure celles du Siècle des Lumières.
• Cette réflexion reste efficace aujourd’hui pour dénoncer diverses tyrannies exercées par l’argent, la consommation, les réseaux, etc.

Ouverture


Parmi les contemporains de La BoĂ©tie, Thomas More propose une vision plus optimiste : il rappelle que mĂŞme face Ă  des tyrannies profondes, nous pouvons toujours agir pour prĂ©server un peu de justice et de libertĂ© :
Si tu ne peux mettre fin à des abus bien enracinés, tu ne peux pour autant déserter la chose publique. Tu ne peux abandonner un navire dans la tempête sous prétexte que tu ne peux en contrôler le vent… Ce que tu ne peux tourner en bien, tu dois tenter d’en obtenir ce qui paraît le moins mauvais.
Thomas More, Utopie, 1516.


Le Titien, Bacchanale (retouché), 1526.

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