Couverture pour Discours de la servitude volontaire

La Boétie, Discours de la servitude volontaire.
Défendre et entretenir la liberté.
Dissertation corrigée



🧠 Est-ce qu'on peut dire que ce 𝘋𝘪𝘴𝘤𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘴𝘦𝘳𝘷𝘪𝘵𝘶𝘥𝘦 𝘷𝘰𝘭𝘰𝘯𝘵𝘢𝘪𝘳𝘦 est un simple plaidoyer pour la liberté ?

💡 Dans cette dissertation, nous allons découvrir qu'en réalité, ce texte de La Boétie va bien plus loin, en exprimant une véritable vision humaniste.

Introduction



Accroche


La Boétie, ami de Montaigne, partage avec lui un idéal humaniste, considérant que la liberté et l'échange des savoirs permettent non seulement l'épanouissement de l'individu, mais aussi l'élaboration collective d'une société harmonieuse.

Le sujet et l'œuvre


Mais La Boétie observe que bien souvent les peuples se laissent asservir par un tyran (c'est à dire, un chef qui exerce un pouvoir absolu) au détriment de leur bien-être et de leurs intérêts. C'est d'ailleurs un paradoxe (une association d'idées inhabituelle) puisque la servitude est à priori peu désirable.

Il écrit donc ce Discours de la servitude volontaire pour comprendre ces mécanismes qui empêchent les peuples de réaliser une société où ils pourraient s'épanouir librement, prospérer en paix, et trouver le bonheur.

Problématique


Dès lors, on peut se demander : Le Discours sur la servitude volontaire est-il seulement un plaidoyer pour la liberté ? Ne va-t-il pas plus loin qu'une simple défense de la liberté ? N'est-ce pas réducteur d'en faire un discours visant à promouvoir la liberté ?

Annonce du plan


Tout d'abord, ce discours de La Boétie vise en effet à défendre la liberté de manière concrète, en utilisant des procédés variés : il la valorise, et transmet à son lecteur l'envie de la cultiver, de la défendre et de la conserver.

Mais ce texte va plus loin, car il montre que la servitude des peuples, par leurs causes, et par leurs conséquences, touchent en réalité des enjeux bien plus vastes, qui dépassent la notion de liberté en elle-même.

Finalement La Boétie défend la liberté, parce qu'elle incarne à ses yeux une valeur fondatrice de l'idéal humaniste qu'il soutient ; constituant une vision optimiste de l'être humain, et visant un développement harmonieux de la société.


Première partie :
Défendre la liberté



1) Une liberté naturelle



Tout d'abord, La Boétie fait de la liberté un bien naturel, que l'on désire spontanément. Et pour nous montrer cela, il fait une intéressante expérience de pensée, et nous demande d'imaginer un peuple nouveau, qui n'aurait jamais connu la servitude.
Si [...] il naissait aujourd’hui quelques gens tout neufs [...] [et] qu’on leur proposât d’être sujets ou de vivre libres, quel serait leur choix ? [Ils préféreraient] obéir à la seule raison que de servir un homme.

Il prolonge alors cet exemple en citant des animaux : les éléphants par exemple préfèrent perdre leurs défense plutôt que de perdre la liberté. Certes, l'homme a su domestiquer des animaux, mais aucun animal n'accepte les contraintes :
Même les bœufs sous le poids du joug geignent,
Et les oiseaux dans la cage se plaignent !


On le voit avec ces arguments et ces exemples La Boétie développe une démonstration qui fait l'éloge de la liberté. Il avance que c'est un bien désirable, qu'il faut défendre, d'abord parce qu'il est naturel.

2) Une liberté qu'il faut défendre



La Boétie s'étonne alors : la liberté est si précieuse, que la servitude des peuples est absurde, incompréhensible à ses yeux. Il utilise alors un registre épidictique : en blâmant la tyrannie, il fait en creux l'éloge de la liberté.
Quel malheur est celui-là ? [...] Voir un nombre infini de personnes [...] non pas être gouvernés, mais tyrannisés ; [...] souffrir les pilleries [...] non pas d'une armée [...] mais d'un seul, [...] souvent le plus lâche [...] de la nation.

Il s'étonne d'autant plus que normalement la liberté inspire toujours de la vaillance pour la défendre. Une armée libre sera plus forte qu'une armée de mercenaires motivés par la convoitise. Et il cite les guerres médiques qui ont opposé les Grecs et les Perses :
Il semble qu'à ces glorieux jours-là ce n'était pas tant la bataille des Grecs contre les Perses [que] la victoire de la liberté sur la domination, de la franchise sur la convoitise !

La Boétie constate que ces peuples sont prêts à donner leur vie courageusement au nom de la liberté. Il mêle les registres pour toucher nos émotions, pour mieux nous persuader :
Ils sont vraiment extraordinaires, les récits de la vaillance que la liberté met au coeur de ceux qui la défendent !

La liberté est donc une valeur que l'on défend spontanément, parce que c'est une condition naturelle que tout être vivant souhaite conserver. Et La Boétie insiste : il n'est même pas nécessaire de prendre les armes pour la défendre.

3) Un liberté accessible



En effet, La Boétie observe la soumission des peuples, et constate qu'ils ne sont pas asservis par la force.
​​Non pas contraints par une grande force, mais [...] (ce semble) enchantés et charmés par le nom d'un seul.

Il fait alors cette découverte qui donne son titre au discours : les peuples ne sont asservis que parce qu'ils en ont la volonté. C'est un constat à la fois amer et optimiste, parce que cela signifie qu'ils possèdent en eux le pouvoir de se libérer.
Vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.

La Boétie développe des images extraordinaires et effrayantes, où il dépeint le Tyran comme un monstre dont les bras et les yeux sont en réalité prêtés par ceux qu'il asservit.

La Boétie emprunte une dernière image magnifique à la Bible, un passage du Livre de Daniel où Nabuchodonosor rêve d'un colosse aux pieds d'argile. La Boétie en fait une métaphore des tyrans de toute époque :
Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.

Transition


Le Discours de la servitude volontaire est donc bien d'abord un grand plaidoyer pour la liberté. La Boétie célèbre la liberté, puis nous enjoint à la défendre, avec des arguments rationnels, des émotions variées, des images saisissantes. Mais il va plus loin : la liberté n'est pas une fin en soi : c'est une valeur qui touche des enjeux beaucoup plus importants.


Deuxième partie :
Des enjeux qui dépassent la liberté



1) Remonter aux causes de la servitude



D'abord, La Boétie va rechercher les causes de la servitude, pour comprendre les mécanismes qui portent atteinte à la liberté. Le premier ressort, c'est la peur. Un peuple donne les pleins pouvoirs à un chef militaire par exemple pour vaincre un ennemi. Mais le chef militaire devient ensuite tyran.
Revenant victorieux, comme s'il n'eût pas vaincu ses ennemis mais ses citoyens, se fait de capitaine roi et de roi tyran.

Ensuite, les tyrans ainsi formés profitent de la coutume, et l'asservissement se prolonge sur les générations suivantes.
Je suis d'avis qu'on ait pitié de ceux qui, en naissant, se sont trouvés le joug sous le col, [...] [car] ils ne s'aperçoivent point du mal que ce leur est d'être esclaves.

Ainsi, les enjeux de la liberté dépassent l'instant où il faut se mobiliser contre un ennemi commun. C'est un combat de tous les instants : car en effet, perdre la Liberté revient en fait à perdre aussi tout ce que le tyran peut exiger de nous. C'est un malheur sans limites.

2) Un malheur sans limites



La Boétie décrit trois sortes de tyrans : ceux qui héritent du pouvoir de leur père, ceux qui le prennent par la force, et ceux qui sont élus. Mais pour lui, il n'y a pas beaucoup de différences, parce qu'ils aspirent tous à conserver le pouvoir.
La façon de régner est quasi semblable : les élus, comme s'ils avaient pris les taureaux à dompter, ainsi les traitent-ils ; les conquérants en font comme leur proie, les successeurs pensent d'en faire ainsi que de leurs naturels esclaves.

Ainsi, on ne peut jamais se garantir qu'un tyran bienveillant ne devienne pas soudainement un oppresseur.
Quel est ce vice, ce vice horrible, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais être tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants, ni leur vie même qui soient à eux ?

Ce passage est une gradation (une augmentation en intensité). On voit que la simple obéissance menace finalement toutes les possessions, puis la famille, et enfin, la vie de ceux qui sont mis en esclavage. La liberté nous apparaît donc comme un bien premier, une condition nécessaire pour trouver le bonheur.

3) Une condition nécessaire au bonheur



C'est une idée qui traverse tout le discours de la servitude volontaire : la liberté n'est qu'une condition première à l'épanouissement de l'individu et des peuples.
La liberté [...] est un bien si grand [...] qu'elle perdue, tous les maux viennent à la file, et les biens mêmes qui demeurent après elle perdent entièrement leur goût et saveur, corrompus par la servitude.

Pour La Boétie, la liberté est justement ce qui permet aux êtres humains de mettre leurs efforts en commun pour construire une société harmonieuse ; ce que le pouvoir autocratique (où le souverain décide seul) ne peut justement pas réaliser.
[La Nature] nous a fait à tous ce beau présent [...] de la parole [...] pour produire, par la communication et l’échange de nos pensées, la communion de nos volontés : [...] elle a cherché par tous les moyens à [...] resserrer le noeud [...] de notre société.

Transition


Dans le Discours de la servitude volontaire, La Boétie défend donc bien, au-delà de la liberté, des valeurs plus larges, qui rendent possible une société harmonieuse, et forment alors une vision humaniste cohérente.

Troisième partie :
Une vision humaniste cohérente



1) Dénoncer les dangers de l'ignorance



La Boétie explique que les tyrans s'assurent de la servitude des peuples en les affaiblissant de toutes les manières possibles. Et notamment en remplaçant le savoir et la culture par des divertissements qui les abêtit.
Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, [...] et autres telles drogueries, c'étaient aux peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté, les outils de la tyrannie.

Pour mieux subjuguer son peuple le tyran doit le plonger dans l'obscurantisme. Il va donc détruire les livres, et d'une manière générale empêcher tout échange de pensée. Par exemple en isolant les savants et les érudits.
Le bon zèle [...] de ceux qui ont gardé [...] la dévotion à la franchise [...] demeure sans effet, pour ne s'entre connaître point : la liberté leur est toute ôtée, sous le tyran, de faire, de parler, et quasi de penser ; ils deviennent tous singuliers en leurs fantaisies.

La défense de la liberté chez La Boétie se traduit donc surtout par la volonté d'entretenir des liens humains, favorisant d'autres valeurs comme l'égalité et la fraternité.

2) Valoriser l'égalité et la fraternité



C'est un aspect fascinant de ce Discours de la servitude volontaire : la liberté fonde d'autres valeurs qu'on retrouve aujourd'hui : l'égalité et la fraternité. Les êtres humains possédant une liberté qui les rend égaux, profitent de leurs différences pour s'entraider et créer des liens fraternels.
Plutôt faut-il croire que, faisant ainsi les parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle voulait faire place à la fraternelle affection, afin qu'elle eût où s'employer, ayant les uns puissance de donner aide, les autres besoin d'en recevoir.

Ainsi, il ne faut pas penser que les tyrans soient capables d'avoir des sentiments d'amitié : au contraire, leur soif de pouvoir détruit tout lien d'affection.
Il n'y peut avoir d'amitié là où est la cruauté, la déloyauté [...] l'injustice : entre les méchants, quand ils s'assemblent, c'est un complot, non pas une compagnie ; [...] ils ne sont pas amis mais [...] complices.

De cette manière La Boétie avertit les savants et les érudits : il est inutile, voire même dangereux de se faire les complices des tyrans. Au contraire, leur rôle est de favoriser la liberté des peuples.

3) Interpeller les intellectuels



En effet, La Boétie interpelle indirectement les intellectuels. Puisque les peuples asservis ont perdu toute notion de liberté, seuls les plus cultivés, ayant lu et voyagé, peuvent encore la concevoir. C'est sur eux que tout repose :
Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et hors du monde, l'imaginent et la sentent en leur esprit.

La Boétie avance alors un double argument : servir la liberté des peuples, c'est obtenir leur amour et une place glorieuse dans la postérité. Alors que se faire le complice des tyrans c'est au contraire s'acquérir une bien mauvaise renommée ! Il décrit ainsi avec ironie le sort de ceux qui s'associent aux tyrans :
Voilà la gloire, voilà l'honneur qu'ils reçoivent ! [...] Leur réputation déchirée dans mille livres, les punissant, encore après leur mort, de leur méchante vie.

Enfin, un dernier argument qui est très fort à l'époque, c'est celui du jugement de Dieu. Mais on peut l'interpréter plus largement comme une invitation à choisir une voie morale, vertueuse, lumineuse, plutôt que celle de la violence et de l'obscurantisme.
De ma part, je [...] ne suis pas trompé, puisqu'il n'est rien si contraire à Dieu, tout libéral et débonnaire, que la tyrannie, qu'il réserve là-bas à part, pour les tyrans et leurs complices, quelque peine particulière.

En faisant allusion ici à l'Enfer chrétien qui punit ceux qui ont fait le mal pendant leur vie, La Boétie évoque surtout un désir de justice, l'espoir que les tyrans soient un jour punis de leurs méfaits !

Conclusion



Bilan


Le Discours de la servitude volontaire, est d'abord un véritable plaidoyer pour la liberté, en la présentant comme un bien naturel et précieux que tout être vivant désire spontanément. La Boétie souligne que les peuples sont souvent asservis par leur propre volonté et qu'ils possèdent le pouvoir de se libérer.

Ensuite, La Boétie montre que cette perte de liberté prend son origine dans la peur, puis s'étend de génération en génération, entraînant un malheur sans limites, qui menace tous les aspects de la vie. La liberté apparaît alors comme une condition nécessaire à l'épanouissement des individus et des peuples.

Enfin, La Boétie illustre les liens entre la servitude et l'obscurantisme, qui sont des outils de la tyrannie pour asservir les peuples. Au contraire, la liberté nous rend égaux, et favorise des liens de fraternité. Il exhorte donc notamment les intellectuels, à refuser d'être complices des tyrans pour défendre au contraire la liberté et s'assurer ainsi l'amour des peuples dans la postériorité.

Ouverture


Cette vision humaniste de La Boétie trouve un écho puissant chez Olympe de Gouges, qui, au terme du siècle des Lumières, prolonge cette réflexion en insistant sur l'égalité des sexes comme une condition nécessaire à la véritable liberté et l'élaboration d'une société plus juste. Elle écrit :
La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.




Antonio Tempesta, La récolte de la manne, vers 1600.

⇨ * LA BOÉTIE, 𝘋𝘪𝘴𝘤𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘥𝘦 𝘭𝘢 𝘴𝘦𝘳𝘷𝘪𝘵𝘶𝘥𝘦 𝘷𝘰𝘭𝘰𝘯𝘵𝘢𝘪𝘳𝘦 🧠 Dissertation corrigée (version rédigée PDF téléchargeable) *

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