Couverture pour Discours de la servitude volontaire

La Boétie, Discours de la Servitude volontaire
« Le pouvoir de l’habitude Â»
Explication linéaire



Extrait étudié



  Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige d’abord suivant les penchants bons ou mauvais qu’elle nous a donnĂ©s ; mais aussi faut-il convenir qu’elle a encore moins de pouvoir sur nous que l’habitude ; car, si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu ; et la nourriture nous façonne toujours Ă  sa façon, de quelque maniĂšre que ce soit, malgrĂ© la nature. Les semences de bien que la nature met en nous sont si frĂȘles et si minces qu’elles ne peuvent rĂ©sister au moindre heurt d’une nourriture qui les contrarie. Elles ne se conservent pas si facilement qu’elles s’abĂątardissent, dĂ©gĂ©nĂšrent mĂȘme et disparaissent, comme il arrive Ă  ces arbres fruitiers qui, ayant tous leur espĂšce propre, la conservent tant qu’on les laisse venir naturellement, mais la perdent, pour porter des fruits tout Ă  fait diffĂ©rents des leurs, dĂšs qu’on les a greffĂ©s. Les herbes ont aussi chacune leur propriĂ©tĂ©, leur naturel, leur singularitĂ© : mais toutefois, le gel, le temps, le terroir ou la main du jardinier, amĂ©liorent ou dĂ©tĂ©riorent sensiblement leur qualitĂ© ; la plante qu’on a vue dans un pays n’est souvent plus reconnaissable dans un autre.
  Qui verrait les VĂ©nitiens, poignĂ©e de gens qui vivent si librement que le plus mĂ©chant d’entre eux ne voudrait pas ĂȘtre le roi de tous, ainsi nĂ©s et nourris qu’ils ne reconnaissent d’autre ambition sinon Ă  qui mieux avisera et le plus soigneusement prendra garde Ă  entretenir la libertĂ©, ainsi appris et formĂ©s dĂšs le berceau qu’ils n’échangeraient pas un brin de leur libertĂ© pour toutes les autres fĂ©licitĂ©s humaines ; qui verrait, dis-je, ces hommes, et s’en irait ensuite, en les quittant, dans les domaines de celui que nous appelons le Grand seigneur, voyant lĂ  des gens qui ne sont nĂ©s que pour le servir et qui pour maintenir sa puissance abandonnent leur vie, penserait-il que ces deux peuples sont de mĂȘme nature ? Ou plutĂŽt ne croirait-il pas qu’en sortant d’une citĂ© d’hommes, il est entrĂ© dans un parc de bĂȘtes ?
  On raconte que Lycurgue, lĂ©gislateur de Sparte, avait nourri deux chiens, tous deux frĂšres, tous deux allaitĂ©s du mĂȘme lait, l’un engraissĂ© Ă  la cuisine et l’autre habituĂ© Ă  courir les champs, au son de la trompe et du huchet. Voulant montrer aux LacĂ©dĂ©moniens que les hommes sont tels que la nourriture les fait, il exposa les deux chiens sur la place publique et mit entre eux une soupe et un liĂšvre : l’un courut au plat et l’autre au liĂšvre et pourtant, dit-il, ils sont frĂšres ! Donc ce lĂ©gislateur avec ses lois et sa police Ă©duqua si bien les LacĂ©dĂ©moniens que chacun d’eux eut prĂ©fĂ©rĂ© mourir de mille morts, plutĂŽt que de reconnaĂźtre autre seigneur que la loi et la raison.

Introduction



Accroche


‱ La rĂ©daction de ce texte Discours de la servitude volontaire est probablement une rĂ©action aux diffĂ©rentes rĂ©voltes paysannes rĂ©primĂ©es par le connĂ©table de Montmorency (1648).
‱ En tout cas, ce texte nous fait rĂ©agir, rĂ©flĂ©chir, et porte jusqu’à nos jours la question de la volontĂ© du citoyen face Ă  la tyrannie.
‱ DĂšs sa diffusion, le texte attire la controverse. Les protestants s’en emparent pour dĂ©fendre leur libertĂ© de culte.
‱ D‘autres au contraire veulent diminuer son impact :
Ce sont discours lĂ©gers vains et de rĂȘveurs songe-creux qui n’entendent [pas] l’État.
Henri de Mesmes, Contre La Boétie, sans date, contemporain du Discours.

Situation


‱ La BoĂ©tie postule en effet que l’homme est libre par nature et se demande ce qui l'amĂšne Ă  abdiquer cette libertĂ©.
‱ Il Ă©voque notamment dans notre passage le rĂŽle de l’habitude ce qu’on appellerait aujourd’hui le conditionnement social.
‱ Il dĂ©crit alors comment notre nature peut ĂȘtre dĂ©voyĂ©e par un contexte qui l’accoutume « au venin de la servitude Â».

Problématique


Comment La BoĂ©tie mobilise-t-il ces exemples variĂ©s pour dĂ©fendre la libertĂ© naturelle des hommes, comme une valeur humaniste qu’il faut protĂ©ger par des lois ?

Mouvements de l'explication linéaire


Les trois paragraphes visent Ă  convaincre le lecteur en lui donnant des exemples de plus en plus frappants.
1) Dans un premier mouvement, La BoĂ©tie dĂ©veloppe une mĂ©taphore vĂ©gĂ©tale pour montrer comment la nature peut ĂȘtre modifiĂ©e par l’action de l’homme.
2) Ensuite, il présente les Vénitiens et des Turcs, dont les coutumes sont tout à fait opposées, les uns ayant une liberté que les autres ne connaissent pas.
3) Enfin, La BoĂ©tie rapporte un exemple antique : celui de Lycurgue, lĂ©gislateur de Sparte, qui montra Ă  son peuple combien la loi et la raison sont prĂ©fĂ©rables Ă  la tyrannie.

Premier mouvement :
L’humain entre nature et habitude



  Nul doute que ce ne soit la nature qui nous dirige d’abord suivant les penchants bons ou mauvais qu’elle nous a donnĂ©s ; mais aussi faut-il convenir qu’elle a encore moins de pouvoir sur nous que l’habitude ; car, si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu ; et la nourriture nous façonne toujours Ă  sa façon, de quelque maniĂšre que ce soit, malgrĂ© la nature. Les semences de bien que la nature met en nous sont si frĂȘles et si minces qu’elles ne peuvent rĂ©sister au moindre heurt d’une nourriture qui les contrarie. Elles ne se conservent pas si facilement qu’elles s’abĂątardissent, dĂ©gĂ©nĂšrent mĂȘme et disparaissent, comme il arrive Ă  ces arbres fruitiers qui, ayant tous leur espĂšce propre, la conservent tant qu’on les laisse venir naturellement, mais la perdent, pour porter des fruits tout Ă  fait diffĂ©rents des leurs, dĂšs qu’on les a greffĂ©s. Les herbes ont aussi chacune leur propriĂ©tĂ©, leur naturel, leur singularitĂ© : mais toutefois, le gel, le temps, le terroir ou la main du jardinier, amĂ©liorent ou dĂ©tĂ©riorent sensiblement leur qualitĂ© ; la plante qu’on a vue dans un pays n’est souvent plus reconnaissable dans un autre.

Deux puissances s’affrontent : la Nature et l’habitude


‱ Certes la puissance de la nature est incontestable « nul doute Â» la litote redouble la nĂ©gation pour mieux renforcer le propos.
‱ Les deux forces sont alors opposĂ©es : la nature a « moins de pouvoir que « l’habitude Â». Ces deux forces sont personnifiĂ©es.
‱ Cette opposition est intemporelle « la nature dirige Â» mais « la nourriture façonne Â» au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale.
‱ Entre les deux, l'homme est le jouet de ces puissances « suivant les penchants 
 Ă  sa façons, de quelque maniĂšre que ce soit Â» les CC de maniĂšre de maniĂšre sont multipliĂ©s.
‱ Le locuteur s’implique dans la 1Ăšre personne du pluriel : « sur nous Â» c’est une destinĂ©e commune Ă  tous les hommes.
⇹ La BoĂ©tie veut nous montrer que la nature est premiĂšre, c’est elle qui nous rend libre, mais elle est menacĂ©e par l’habitude.

MalgrĂ© sa puissance, la nature est dĂ©passĂ©e par l’habitude


‱ La puissance de la nature s’impose en premier avec l’adverbe « d’abord Â», relativisĂ©e ensuite par le lien d’opposition : « mais Â».
‱ La nature « a moins de pouvoir Â» que l’habitude : La BoĂ©tie utilise le comparatif d’infĂ©rioritĂ©.
‱ Le lien de cause « car Â» introduit l’idĂ©e qui met le bon naturel en pĂ©ril « il se perd s’il n’est entretenu Â» : il faudrait donc lutter sans cesse pour le conserver.
‱ Cette vĂ©ritĂ© est dĂ©plaisante « aussi faut-il convenir Â» il prĂ©suppose ainsi que la nature est meilleure que l’habitude.
‱ L’habitude agit « malgrĂ© la nature Â» et malgrĂ© ses vertus : « Si bon que soit le naturel Â».
⇹ Pour nous faire comprendre ce mĂ©canisme, La BoĂ©tie a d’abord recours Ă  une mĂ©taphore vĂ©gĂ©tale.

La métaphore végétale pour la fragilité de la nature humaine


‱ Les penchants naturels s’expriment par une mĂ©taphore filĂ©e : « semences, arbres fruitiers, espĂšce, fruits, herbes, plante Â» oĂč domine le lexique vĂ©gĂ©tal.
‱ La comparaison « comme Ă  ces arbres fruitiers Â» nous les montre avec le dĂ©monstratif « ces arbres Â».
‱ La fragilitĂ© de ces semences « si menues, si frĂȘles Â» est soulignĂ©e par les intensifs « si Â» : « pas si facilement Â».
‱ Leur faiblesse est extrĂȘme car elles « ne peuvent rĂ©sister au moindre heurt Â» la nĂ©gation est alliĂ©e au superlatif d’infĂ©rioritĂ©.
⇹ L’habitude de la servilitĂ© fait perdre la richesse ( exprimĂ©e par « les fruits Â») de l’état naturel.

La dĂ©gradation symbolique du vĂ©gĂ©tal provoquĂ©e par l’habitude


‱ La BoĂ©tie dĂ©veloppe sa mĂ©taphore vĂ©gĂ©tale en trois temps pour montrer comment le penchant naturel se perd facilement.
‱ D’abord, les « semences Â» fragiles « si frĂȘles et minces Â», changent sous l’effet d’une « nourriture qui les contrarie Â».
‱ DeuxiĂšme image : les « greffes Â» vont mĂȘme amener des « arbres fruitiers Â» Ă  porter des « fruits diffĂ©rents Â» alors qu’il ont pourtant chacun « leur espĂšce propre Â».
‱ Enfin, la « main du jardinier Â» (le lĂ©gislateur ou l’éducateur) peut agir dans les deux sens : « amĂ©liorer ou dĂ©tĂ©riorer Â».
⇹ Cette mĂ©taphore filĂ©e vĂ©gĂ©tale soulĂšve toute la difficultĂ© d’« entretenir Â» la variĂ©tĂ© des qualitĂ©s issues de la nature. Mais cela est complexe « pas si facilement Â».

Transition


La BoĂ©tie montre une libertĂ© facilement remise en cause par les habitudes instaurĂ©es par un tyran. Il compare alors deux civilisations de son Ă©poque : les VĂ©nitiens et les Turcs.

DeuxiĂšme mouvement :
Deux exemples opposés, les Vénitiens et les Turcs



  Qui verrait les VĂ©nitiens, poignĂ©e de gens qui vivent si librement que le plus mĂ©chant d’entre eux ne voudrait pas ĂȘtre le roi de tous, ainsi nĂ©s et nourris qu’ils ne reconnaissent d’autre ambition sinon Ă  qui mieux avisera et le plus soigneusement prendra garde Ă  entretenir la libertĂ©, ainsi appris et formĂ©s dĂšs le berceau qu’ils n’échangeraient pas un brin de leur libertĂ© pour toutes les autres fĂ©licitĂ©s humaines ; qui verrait, dis-je, ces hommes, et s’en irait ensuite, en les quittant, dans les domaines de celui que nous appelons le Grand seigneur, voyant lĂ  des gens qui ne sont nĂ©s que pour le servir et qui pour maintenir sa puissance abandonnent leur vie, penserait-il que ces deux peuples sont de mĂȘme nature ? Ou plutĂŽt ne croirait-il pas qu’en sortant d’une citĂ© d’hommes, il est entrĂ© dans un parc de bĂȘtes ?

L'opposition de deux peuples contemporains


‱ La BoĂ©tie oppose deux peuples de son Ă©poque : les VĂ©nitiens et le peuple du « Grand Seigneur Â» (les Turcs).
‱ La BoĂ©tie nous invite Ă  voyager par la pensĂ©e : le verbe « voir Â» (repris plusieurs fois : « qui verrait
 voyant là
 Â») est associĂ© au verbe « aller Â» : « et s’en irait ensuite Â».
‱ Les mĂȘmes mots sont repris parallĂšlement : « gens qui vivent librement Â» // « gens qui abandonnent leur vie Â».
‱ L’opposition se prolonge jusqu’à la fin du mouvement : la « citĂ© des hommes Â» s’oppose Ă  un « parc de bĂȘtes Â».
‱ Enfin, deux questions rhĂ©toriques nous invitent Ă  conclure : « penserait-il que
 ? 
 ne croirait-il pas que
 ? Â»
⇹ Regardons de plus prùs ces deux exemples.

L’exemple vĂ©nitien : la libertĂ© volontaire !


‱ Venise est prĂ©sentĂ©e de maniĂšre trĂšs positive (c’est une RĂ©publique depuis le Moyen Âge, le pouvoir est partagĂ©e entre une oligarchie et un doge Ă©lu Ă  vie, mais sans rĂ©el pouvoir).
‱ Trois consĂ©quence Ă  cette libertĂ© exceptionnelle, sont dĂ©crites dans trois subordonnĂ©es circonstanciel de consĂ©quence.
‱ La premiĂšre : ils « vivent si librement que Â» personne ne « veut ĂȘtre le roi de tous Â». Personne ne recherche le pouvoir.
‱ La deuxiĂšme : « ainsi nĂ©s et nourris qu’ils ne reconnaissent d’autre ambition Â» que de prĂ©server et « entretenir la libertĂ© Â». Chacun se fait donc le garant de cette valeur collective.
‱ La troisiĂšme : « ainsi appris dĂšs le berceau qu’il n’échangeraient pas un brin de libertĂ© Â» contre la moindre « fĂ©licitĂ© humaine Â».
⇹ On peut alors se demander quels sont les facteurs qui protĂšgent cette libertĂ© naturelle.

Ce qui protÚge la liberté naturelle des Vénitiens


‱ D’abord, les initiatives pour « entretenir la libertĂ© Â» sont valorisĂ©es par des superlatifs : « qui mieux avisera Â» « le plus soigneusement Â».
‱ Celle-ci repose sur une Ă©ducation prĂ©coce  : les qualitĂ©s innĂ©es (« nĂ©s et nourris Â») sont dĂ©veloppĂ©es par un vĂ©ritable enseignement (« appris et formĂ©s dĂšs le berceau Â»).
‱ Leurs refus sont exprimĂ©s Ă  la forme nĂ©gative : « ne voudrait pas
 ne connaissent d’autre ambition
 n’échangeraient pas Â».
‱ La valeur de la libertĂ© s’exprime particuliĂšrement avec l’antithĂšse et l’hyperbole oĂč un « brin de libertĂ© Â» est mis en regard de « toutes les autres fĂ©licitĂ©s humaines Â».
⇹ La vie des VĂ©nitiens est donc dĂ©nuĂ©e de cette « servitude volontaire Â» dĂ©noncĂ©e dans le Discours et qu’on retrouve au contraire chez le « Grand seigneur Â» turc.

Le contre-exemple turc : l’asservissement par coutume


‱ Le peuple Turc est dĂ©signĂ© par son reprĂ©sentant, sultan de Turquie, chef de l’Empire Ottoman, tyran puissant Ă  l’époque.
‱ La pĂ©riphrase dĂ©crit « des gens qui ne sont nĂ©s que pour le servir Â» la restriction insiste sur le verbe « servir Â» qui reprend le titre mĂȘme du Discours de la servitude.
‱ Cela va mĂȘme trĂšs loin parce que « pour maintenir sa puissance, ils abandonnent leur vie Â».
‱ Les CC but « pour le servir [...] pour maintenir sa puissance Â» convergent vers la personne du tyran.
‱ La mĂ©taphore « parc de bĂȘtes Â» est trĂšs dĂ©prĂ©ciative : en perdant leur libertĂ©, ils perdent aussi leur humanitĂ©.
⇹ Cet exemple illustre la servitude inculquĂ©e par la coutume, que La BoĂ©tie dĂ©nonce dans son discours.

Transition


Cet exemple est alors redoublĂ© par un rĂ©cit, tirĂ© de l’Histoire de l’antiquitĂ© cette fois-ci. C’est notre troisiĂšme mouvement.

TroisiĂšme mouvement :
Un apologue : Lycurgue et ses chiens



  On raconte que Lycurgue, lĂ©gislateur de Sparte, avait nourri deux chiens, tous deux frĂšres, tous deux allaitĂ©s du mĂȘme lait, l’un engraissĂ© Ă  la cuisine et l’autre habituĂ© Ă  courir les champs, au son de la trompe et du huchet. Voulant montrer aux LacĂ©dĂ©moniens que les hommes sont tels que la nourriture les fait, il exposa les deux chiens sur la place publique et mit entre eux une soupe et un liĂšvre : l’un courut au plat et l’autre au liĂšvre et pourtant, dit-il, ils sont frĂšres ! Donc ce lĂ©gislateur avec ses lois et sa police Ă©duqua si bien les LacĂ©dĂ©moniens que chacun d’eux eut prĂ©fĂ©rĂ© mourir de mille morts, plutĂŽt que de reconnaĂźtre autre seigneur que la loi et la raison.

La Boetie met en scĂšne un dirigeant exemplaire


‱ La BoĂ©tie varie ses exemples : « On raconte que Â». La tournure impersonnelle introduit un apologue (bref rĂ©cit Ă  visĂ©e morale).
‱ L’exemple est cette fois tirĂ© de l’AntiquitĂ© et met en scĂšne Lycurgue (IX-VIIIe s) « le lĂ©gislateur de Sparte Â», figure lĂ©gendaire.
‱ Ce personnage fait preuve de sagesse : « voulant montrer aux LacĂ©dĂ©moniens que les hommes sont tels que la culture les a faits Â». Il enseigne une vĂ©ritĂ© morale par l’expĂ©rience.
‱ Le verbe d’état « les hommes sont tels Â» est bien au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale : il s’agit de dĂ©montrer une vĂ©ritĂ© intemporelle.
‱ Lycurgue n’est pas qu’un lĂ©gislateur « avec ses lois et son art politique Â», il Ă©duque en faisant rĂ©flĂ©chir : « Ă©duqua et forma Â».
⇹ Comment se traduit l’enseignement de ce personnage si extraordinaire ?

Une fable particuliĂšrement efficace


‱ Ce rĂ©cit est Ă  la fois une fable et une vĂ©ritable petite expĂ©rience scientifique, menĂ©e avec « deux chiens Â» qui ont tout en commun « deux frĂšres Â» sauf l’éducation.
‱ Il fait en sorte que cette expĂ©rience serve Ă  tous : «  exposa Â», « sur la place publique Â».
‱ Cet enseignement atteint son but, de maniĂšre hyperbolique « si bien que chacun d’eux eut prĂ©fĂ©rĂ© mourir mille morts, plutĂŽt que de reconnaĂźtre autre seigneur que la loi et la raison. Â»
‱ Ces deux valeurs que sont « la loi et la raison Â» sont ici personnifiĂ©es, et deviennent les vĂ©ritables maĂźtres des hommes, (et non un tyran guidĂ© par l’ambition).
⇹ Cette façon d’éduquer correspond tout Ă  fait Ă  la conception humaniste qui fait appel Ă  l’intelligence et la rĂ©flexion, que la BoĂ©tie parvient en plus Ă  rendre plaisante.

Le cĂŽtĂ© plaisant de l’apologue


‱ L’anecdote est habilement mise en scĂšne par La BoĂ©tie : il la prĂ©paration de l’expĂ©rience  : Lycurgue « avait nourri Â» au plus-que-parfait (antĂ©rioritĂ© dans le passĂ©).
‱ Chaque Ă©tape de l’expĂ©rience est retracĂ©e avec vivacitĂ© au passĂ© simple « exposa, mit, courut Â».
‱ L’éducation des deux chiens s’oppose, exactement comme les VĂ©nitiens et les Turcs.
‱ Le premier chien « engraissĂ© Ă  la cuisine Â» son naturel a Ă©tĂ© altĂ©rĂ© par la maniĂšre dont il a Ă©tĂ© Ă©levĂ©.
‱ L’autre « habituĂ© Ă  courir les champs au son de la trompe Â» est restĂ© en contact avec la nature, il chasse.
‱ Enfin, l’exclamation de Lycurgue « Et pourtant, ils sont frĂšres ! Â» est au discours direct, ce qui anime la dĂ©monstration.
⇹ L’art du rĂ©cit soutient une dĂ©monstration non moins habile


Un raisonnement parfaitement maßtrisé


‱ La Boetie assure une liaison avec l’exemple prĂ©cĂ©dent en reprenant des termes communs : «  nĂ©s et nourris Â» // « nĂ©s, allaitĂ©s, nourri Â».
‱ Dans tous ces exemples, la nourriture est une mĂ©taphore pour l’éducation ou la culture : nourriture de l’esprit et de l’ñme.
‱ Ensuite, il Ă©nonce sa thĂšse : « les hommes sont tels que la culture les a faits Â». Cet aphorisme Ă©nonce une vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale de maniĂšre brĂšve et frappante.
‱ Elle est illustrĂ©e par les deux exemples symĂ©triques : « L’un courut Ă  la soupe, l’autre au liĂšvre Â». Les symboles sont trĂšs forts, le « liĂšvre Â» rapide, agile, est une nourriture vivifiante, que le chien doit chasser par lui-mĂȘme.
‱ La conclusion que tire La BoĂ©tie est marquĂ©e par « Donc Â» connecteur logique de consĂ©quence. Il associe deux mots-clĂ©s « loi Â» et « raison Â» marquant le dĂ©but d’une rĂ©flexion qui sera poursuivie par les philosophes des LumiĂšres.
⇹ Le Discours de la Servitude Volontaire est un raisonnement construit de maniĂšre trĂšs rigoureuse, qui ouvre des perspectives philosophiques inĂ©dites.

Conclusion



Bilan


Ce passage est une rĂ©flexion humaniste par diffĂ©rents aspects :
‱ L'utilisation de la langue française, reconnue langue nationale dans l’administration depuis l'Ă©dit de Villers-Cotteret, 1539.
‱ Les exemples variĂ©s sont riches en mĂ©taphores, racontĂ©s de maniĂšre plaisante, et rigoureusement dĂ©veloppĂ©s pour dĂ©montrer l’importance d’entretenir la libertĂ© par des actions lĂ©gislatives concrĂštes.
‱ La rĂ©fĂ©rence Ă  la situation politique de La RĂ©publique de Venise et la tyrannie du Sultan turc montrent l’intĂ©rĂȘt que les humanistes portent aux questions de Pouvoir.
‱ L’autoritĂ© de l’AntiquitĂ© (dont les textes sont redĂ©couverts et traduits au XVIe). L’anecdote de Lycurgue se trouve chez Plutarque, un auteur latin traduit par La BoĂ©tie.

Ouverture


‱ Le texte est donc Ă  la fois un « essai Â», un exercice rhĂ©torique et une rĂ©flexion humaniste et politique.
‱ La BoĂ©tie place en effet l’homme au centre de l’univers car il lui reconnaĂźt la libertĂ© de choisir entre servitude et libertĂ©.
‱ Cette rĂ©flexion trĂšs moderne montre que la tyrannie ne repose pas tant dans la violence du tyran que dans l’acceptation aveugle de la servitude.
‱ Cette idĂ©e inspirera les Ă©crivains des LumiĂšres, on peut penser Ă  Rousseau dans Le Contrat Social par exemple :
Renoncer Ă  sa libertĂ©, c’est renoncer Ă  sa qualitĂ© d’homme, aux droits de l’humanitĂ©, mĂȘme Ă  ses devoirs. (
) Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme et c’est ĂŽter toute moralitĂ© Ă  ses actions que d’îter toute libertĂ© Ă  sa volontĂ©.
Rousseau , Le Contrat Social, 1762.


Gardes janissaires, Empire Ottoman.

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