Couverture du livre Les Faux-Monnayeurs de Gide

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Couverture pour Les Faux-Monnayeurs

André Gide, Les Faux-Monnayeurs
Partie 3 chapitre 14
Explication linéaire



Extrait étudié




 — Hier, en sortant de mon examen, [...] je suis entrĂ©, je ne sais quel dĂ©mon me poussant, dans une salle oĂč se tenait une rĂ©union publique. Il y Ă©tait question d’honneur national, de dĂ©vouement Ă  la patrie, d’un tas de choses qui me faisaient battre le cƓur. Il s’en est fallu de bien peu que je ne signe certain papier, oĂč je m’engageais, sur l’honneur, Ă  consacrer mon activitĂ© au service d’une cause qui certainement m’apparaissait belle et noble.
 — Je suis heureux que vous n’ayez pas signĂ©. Mais ce qui vous a retenu ?
 — Sans doute quelque secret instinct
 Bernard rĂ©flĂ©chit quelques instants, puis ajouta en riant :
 — Je crois que c’est surtout la tĂȘte des adhĂ©rents ; Ă  commencer par celle de mon frĂšre aĂźnĂ©, que j’ai reconnu dans l’assemblĂ©e. Il m'a paru que tous ces jeunes gens Ă©taient animĂ©s par les meilleurs sentiments du monde et qu'ils faisaient fort bien d'abdiquer leur initiative, car elle ne les eĂ»t pas menĂ©s loin, leur jugeote, car elle Ă©tait insuffisante, et leur dĂ©pendance d'esprit, car elle eĂ»t Ă©tĂ© vite aux abois.
 Je me suis dit Ă©galement qu'il Ă©tait bon pour le pays qu'on pĂ»t compter parmi les citoyens un grand nombre de ces bonnes volontĂ©s ancillaires, mais que ma volontĂ© Ă  moi ne serait jamais de celles-lĂ . C’est alors que je me suis demandĂ© comment Ă©tablir une rĂšgle, puisque je n’acceptais pas de vivre sans rĂšgle et que cette rĂšgle je ne l’acceptais pas d’autrui. [...] Alors je suis venu vous trouver pour Ă©couter votre conseil.
 — Je n’ai pas Ă  vous en donner. Vous ne pouvez trouver ce conseil qu’en vous-mĂȘme, ni apprendre comment vous devez vivre qu’en vivant.
 — Et si je vis mal, en attendant d’avoir dĂ©cidĂ© comment vivre ?
 — Ceci mĂȘme vous instruira. Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.



Introduction



Dans son Journal des Faux Monnayeurs, André Gide écrit :
Ce n'est point tant en apportant la solution de certains problĂšmes, que je puis rendre un rĂ©el service au lecteur ; mais bien en le forçant de rĂ©flĂ©chir lui-mĂȘme sur ces problĂšmes dont je n'admets guĂšre qu'il puisse y avoir d'autre solution que particuliĂšre et personnelle.

À ce moment du roman, Bernard a connu Laura, Sarah, il a cessĂ© d'en vouloir Ă  son pĂšre, il s'est battu contre l'ange, il a beaucoup Ă©voluĂ© au contact des autres. Maintenant , il arrive Ă  la fin de son parcours initiatique, mais il lui manque toujours la rĂ©ponse Ă  cette question fondamentale : quel est le sens de ma vie ? C'est pourquoi il se tourne vers Édouard pour lui demander conseil.

Problématique


Comment ce dialogue entre Bernard et Édouard, qui marque l'aboutissement d'un parcours initiatique, permet-il Ă  Gide de faire rĂ©flĂ©chir son lecteur sur la question du sens, le sens de la vie, mais aussi le sens du roman ?

Axes de lecture pour un commentaire composé


> L'aboutissement d'un roman d'apprentissage
> La recherche d'une authenticité au-delà des apparences
> Une réflexion sur les personnages de roman
> La variété des points de vue
> Un questionnement sur le sens de la vie
> Une réponse en suspens

Premier mouvement :
Bernard Ă©chappe au romancier



— Hier, en sortant de mon examen, [...] je suis entrĂ©, je ne sais quel dĂ©mon me poussant, dans une salle oĂč se tenait une rĂ©union publique. Il y Ă©tait question d’honneur national, de dĂ©vouement Ă  la patrie, d’un tas de choses qui me faisaient battre le cƓur. Il s’en est fallu de bien peu que je ne signe certain papier, oĂč je m’engageais, sur l’honneur, Ă  consacrer mon activitĂ© au service d’une cause qui certainement m’apparaissait belle et noble.
— Je suis heureux que vous n’ayez pas signĂ©. Mais ce qui vous a retenu ?


C'est un moment clĂ© pour Bernard : il vient de terminer son examen. Les Ă©lĂ©ments symboliques sont dĂ©signĂ©s avec un article indĂ©fini : « une salle 
 une rĂ©union 
 certain papier ». Tous ces Ă©lĂ©ments ont un sens, ils reprĂ©sentent les derniĂšres Ă©tapes de son parcours initiatique. Nous sommes bien dans un roman d'apprentissage.

Il me semble que l'auteur est prĂ©sent dans ce passage, d'abord Ă  travers le dĂ©mon qui pousse Bernard Ă  rentrer. C'est bien le rĂŽle de l'auteur de manipuler ses personnages. Mais justement, Bernard refuse de signer le papier. On dirait que le personnage Ă©chappe Ă  l'Ă©crivain, prĂ©cisĂ©ment parce qu'il n'accomplit pas ce geste d'Ă©crire : il refuse de s'engager. C'est aussi une question d'Ă©crivain : faut-il Ă©crire pour une cause, faut-il devenir un Ă©crivain engagĂ© ? Dans l'Ɠuvre de Gide, les personnages les plus complexes semblent agir de maniĂšre imprĂ©vue : ce sont ceux qui reflĂštent le mieux les prĂ©occupations de l'Ă©crivain.

Bernard raconte une expérience que le lecteur a lue dans le chapitre précédent. C'était la lutte avec l'ange, mais du point de vue de Bernard, c'était un démon. On retrouve les différents discours qu'il a entendu : l'honneur, qui revient deux fois, la patrie et la nation, une cause, la beauté, la noblesse. D'ailleurs, on retrouve en filigrane les trois courants politiques de l'époque : le nationalisme, le socialisme et la religion. On le voit, le parcours initiatique de Bernard se nourrit d'une variété de points de vue, exactement comme le roman.

Dans son Journal des Faux Monnayeurs, Gide semblait avoir l'intention de développer un peu plus l'aspect politique dans son roman :
Chacun trouvant dans la guerre un argument, et ressortant de l'épreuve un peu plus enfoncé dans son sens. Les trois positions : socialiste, nationaliste, chrétienne, chacune instruite et fortifiée par l'événement.

DerriĂšre ces diffĂ©rents points de vue politiques se cache en fait une question plus philosophique. Bernard cherche en effet ce qui lui fait « battre le coeur », c'est Ă  dire mĂ©taphorique, ce qui le fait vivre. Il cherche une cause Ă  laquelle il pourra « consacrer son activitĂ© » 
 Dans le mot activitĂ©, on entend le mot vie. Cette quĂȘte initiatique revient bien Ă  la question du sens de la vie.

On l'a vu, Bernard ne se contente jamais des rĂ©ponses toutes faites. Depuis qu'il a dĂ©couvert les lettres de sa mĂšre, il sait que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent ĂȘtre.

Dans son Journal des Faux Monnayeurs, André Gide écrit un paragraphe consacré spécialement à Bernard :
Bernard : son caractÚre encore incertain. Au début, parfaitement insubordonné. Se motive, précise et limite tout le long du livre, à la faveur de ses amours. Chaque amour, chaque adoration entraßne un dévouement, une dévotion. Il peut s'en désoler d'abord, mais comprend vite que ce n'est qu'en se limitant, que son champ d'action peut se préciser.

Bernard est donc un personnage en constante Ă©volution, contrairement Ă  l'Ă©poque oĂč il s'est engagĂ© comme secrĂ©taire auprĂšs d'Édouard pour amour pour Laura, la seule Ă©motion ne lui suffit plus pour signer. D'ailleurs, le verbe apparaĂźtre vient Ă  la fin de la phrase, dĂ©gonfler tous les autres verbes trĂšs forts « signer 
 s'engager 
 consacrer » pour une cause qui n'est peut-ĂȘtre pas vraiment, profondĂ©ment noble et belle ? Bernard cherche une authenticitĂ© au-delĂ  des apparences.

Le lecteur observe l'Ă©volution de Bernard en voyant sans cesse les embranchements possibles de son destin. « Il s'en est fallu de peu » Bernard Ă©chappe Ă  l'embrigadement, qui reste un acte virtuel. Cette virtualitĂ© est signalĂ©e par le subjonctif, qui est le temps des actions envisagĂ©es mais non rĂ©alisĂ©es. Le verbe signer est d'abord au subjonctif prĂ©sent dans la bouche de Bernard, et au subjonctif passĂ©, dans la bouche d'Édouard. « Qu'est-ce qui vous a retenu ? » la question d'Édouard montre interroge justement le fait que Bernard ne rĂ©pond pas : les rĂ©ponses sont en suspens.

DeuxiĂšme mouvement :
Le terme d’une quĂȘte initiatique



— Sans doute quelque secret instinct
 Bernard rĂ©flĂ©chit quelques instants, puis ajouta en riant :
— Je crois que c’est surtout la tĂȘte des adhĂ©rents ; Ă  commencer par celle de mon frĂšre aĂźnĂ©, que j’ai reconnu dans l’assemblĂ©e. Il m'a paru que tous ces jeunes gens Ă©taient animĂ©s par les meilleurs sentiments du monde et qu'ils faisaient fort bien d'abdiquer leur initiative, car elle ne les eĂ»t pas menĂ©s loin, leur jugeote, car elle Ă©tait insuffisante, et leur dĂ©pendance d'esprit, car elle eĂ»t Ă©tĂ© vite aux abois.


Le frĂšre aĂźnĂ© symbolise ce que Bernard aurait pu devenir s'il n'avait jamais dĂ©couvert que son pĂšre n'est pas son pĂšre. Sa jugeote est insuffisante. Bernard au contraire a Ă©voluĂ© diffĂ©remment car il a Ă©tĂ© obligĂ© de se confronter Ă  de nombreuses questions. Il arrive bien ici au terme d'une quĂȘte initiatique, qui est l'un fil de ce roman d'apprentissage.

Nous n'avons mĂȘme pas le prĂ©nom du frĂšre aĂźnĂ©, alors qu'ailleurs dans le roman, on apprend qu'il s'appelle Charles Profitendieu. De mĂȘme, tous les « jeunes gens » sont dĂ©signĂ©s de maniĂšre trĂšs floue et impersonnelle « les adhĂ©rents 
 l'assemblĂ©e » et sont repris par des pronoms personnels.

Dans le roman, on retrouve de la mĂȘme maniĂšre des personnages de premier plan : Bernard, Édouard, Olivier, et dans une certaine mesure, Armand. Ce sont des personnages tourmentĂ©s, complexes, imprĂ©visibles. Au contraire, d'autres personnages ne changent jamais et vont tout droit vers leur drame personnel : le vieux La PĂ©rouse par exemple. Cette opposition entre des personnages simples et des personnages complexes illustre bien le chemin parcouru par Bernard.

La rĂ©ponse de Bernard est en deux temps. Tout de suite, il parle d'un secret instinct. Il fait donc spontanĂ©ment appel Ă  cette idĂ©e d'une authenticitĂ© cachĂ©e, qui correspond bien Ă  sa quĂȘte d'identitĂ©.

Mais dans un second temps, il s'intĂ©resse plutĂŽt aux autres : « la tĂȘte des adhĂ©rents ». On dirait que Bernard agit par esprit de contradiction, mais pourtant il ne les critique pas : il font fort bien. Chacun peut avoir un avis diffĂ©rent.

Bernard Ă©volue toujours au contact des autres : d'abord Olivier, puis Laura et Sarah, et maintenant grĂące Ă  son dialogue avec Édouard, il est amenĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir. Le moment de rĂ©flexion est mĂȘme reprĂ©sentĂ© typographiquement par les points de suspension. C'est grĂące Ă  la variĂ©tĂ© et Ă  la confrontation des points de vue que Bernard Ă©volue sans cesse. MĂȘme s'il n'en a pas encore conscience, il a dĂ©jĂ  l'intuition qu'il s'agit d'aller le plus loin possible. Il ne signe pas, car il est en mouvement permanent.

Dans ce passage, André Gide utilise des mots dont l'étymologie est particuliÚrement significative. Animé par exemple provient du latin anima, qui signifie, l'ùme. Ces jeunes gens qui s'engagent représentent symboliquement le mouvement des ùmes qui essayent de trouver leur place dans la vie.

D'ailleurs, le mot initiative contient bien le mot initiĂ© : celui qui a terminĂ© son parcours initiatique. La mĂ©taphore du mouvement est filĂ©e dans ce passage, avec les verbes animer, aller loin, ĂȘtre aux abois. Cette derniĂšre image est Ă©vocatrice : quand l'animal poursuivi par les chiens de chasse termine sa course, s'il cesse d'ĂȘtre en mouvement, il signe son arrĂȘt de mort. Donner un sens Ă  sa vie, ce n'est pas seulement lui donner une signification, c'est aussi suivre une direction.

TroisiĂšme mouvement :
Une recherche d’authenticitĂ©



Je me suis dit Ă©galement qu'il Ă©tait bon pour le pays qu'on pĂ»t compter parmi les citoyens un grand nombre de ces bonnes volontĂ©s ancillaires, mais que ma volontĂ© Ă  moi ne serait jamais de celles-lĂ . C’est alors que je me suis demandĂ© comment Ă©tablir une rĂšgle, puisque je n’acceptais pas de vivre sans rĂšgle et que cette rĂšgle je ne l’acceptais pas d’autrui. [...] Alors je suis venu vous trouver pour Ă©couter votre conseil.

Le questionnement de Bernard est racontĂ© comme une histoire, avec une Ă©volution chronologique : « c'est alors que je me suis demandĂ© 
 Alors je suis venu ». Bernard incarne une vĂ©ritable aventure des idĂ©es, ce questionnement perpĂ©tuel sur le sens de la vie.

Les rĂ©flexions de Bernard le mĂšnent Ă  se poser une derniĂšre question : « Comment Ă©tablir une rĂšgle ». Le mot rĂšgle n'est pas anodin, il provient du latin regula, la loi. Bernard a beaucoup Ă©voluĂ©. En dĂ©couvrant que son pĂšre n'est pas son pĂšre, il abandonne les lois de la famille pour devenir un outlaw, c'est-Ă -dire un homme sans loi, comme il le dit dans le chapitre IV de la 2e partie. C'est donc maintenant une troisiĂšme Ă©tape de sa quĂȘte initiatique qui l'amĂšne Ă  rechercher une loi qui lui convienne.

Bernard construit ici un systĂšme d'opposition : les « bonnes volontĂ©s » d'un cĂŽtĂ©, et « ma volontĂ© Ă  moi » de l'autre, avec le lien logique d'opposition « mais ». De mĂȘme, le grand nombre, les citoyens, s'opposent Ă  la premiĂšre personne du singulier, l'individu. On retrouve cette sĂ©paration entre les premiers rĂŽles et les seconds rĂŽles qui caractĂ©risent la construction romanesque.

Cette distinction entre en Ă©cho avec une discussion prĂ©cĂ©dente d'Édouard et Bernard, Ă  propos de Laura et de son mari FĂ©lix :
Des gens comme ce pauvre Douviers ont toujours tort de chercher Ă  se mettre en avant. Vous penseriez de mĂȘme si vous le connaissiez, croyez-moi. Laura, elle, Ă©tait nĂ©e pour les premiers rĂŽles. Chacun de nous assume un drame Ă  sa taille, et reçoit son contingent de tragique. Qu’y pouvons-nous ? Le drame de Laura, c’est d’avoir Ă©pousĂ© un comparse. Il n’y a rien Ă  faire Ă  cela.

Mais dans les mots de Bernard, il me semble qu'on ne trouve pas vraiment de jugement nĂ©gatif Ă  l'Ă©gard de ces seconds rĂŽles... Regardez, ils sont toujours associĂ©s Ă  l'adjectif « bon ». L'adjectif ancillaire dĂ©signe le fait de servir : ce sont des personnes qui se consacrent Ă  un idĂ©al plus grand qu'eux-mĂȘmes. La famille, la nation, la sociĂ©tĂ©, la religion. C'est justement cette variĂ©tĂ© de points de vue qui compose le paysage politique, que Bernard ne remet absolument pas en cause.

En fait, Bernard est dans une rĂ©flexion centrĂ©e sur lui-mĂȘme, et il procĂšde par Ă©limination, avec des formes nĂ©gatives. Il refuse d'abord les rĂšgles donnĂ©es par autrui. Puis il refuse ensuite l'absence de rĂšgle. On peut reconnaĂźtre alors la tentation de l'anarchisme qui caractĂ©rise Strouvilhou et GhĂ©ridanisol par exemple.

Il ne reste donc que lui-mĂȘme, ce qui est d'ailleurs visible Ă  travers les verbes de parole : « je me suis dit 
 je me suis demandĂ© ». Ce sont des verbes pronominaux rĂ©flĂ©chis. En cherchant un sens Ă  sa vie, Bernard se cherche lui-mĂȘme, il cherche une identitĂ© authentique.

Mais finalement, regardez, le mot « rĂšgle » est remplacĂ© par le mot « conseil » Il est significatif que Bernard ne demande pas Ă  Édouard une rĂšgle, mais bien un « conseil »  Contrairement Ă  l'ange qui Ă©tait venu lui imposer un choix prĂ©dĂ©terminĂ©, Édouard n'est pas lĂ  pour lui donner une rĂ©ponse toute prĂȘte, mais seulement une direction sur le sens que pourrait prendre sa vie.

TroisiĂšme mouvement :
Une quĂȘte inachevĂ©e



— Je n’ai pas Ă  vous en donner. Vous ne pouvez trouver ce conseil qu’en vous-mĂȘme, ni apprendre comment vous devez vivre qu’en vivant.
— Et si je vis mal, en attendant d’avoir dĂ©cidĂ© comment vivre ?
— Ceci mĂȘme vous instruira. Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.


Le verbe vivre est au centre des questions de Bernard, et des rĂ©ponses d'Édouard. On le trouve Ă  la fois Ă  l'infinitif et conjuguĂ©, c'est ce qu'on appelle un polyptote : la rĂ©pĂ©tition d'un terme sous des formes diffĂ©rentes. Édouard utilise des verbes de mouvement : trouver, suivre, monter, tandis que Bernard s'interroge avec un verbe qui se situe plutĂŽt du cĂŽtĂ© de l'immobilitĂ©. Les personnages dĂ©veloppent ensemble la mĂ©taphore du sens de la vie, qui serait comme un chemin Ă  parcourir, une pente Ă  gravir.

Le temps employĂ©s montrent que Bernard atteint la fin d'un cycle. L'infinitif passĂ© exprime une action terminĂ©e, et Édouard utilise un futur qui prend le relais : « Ceci mĂȘme vous instruira ». En mĂȘme temps, les gĂ©rondifs montrent que rien n'est terminĂ© : « en vivant 
 en attendant 
 en montant » c'est un mode verbal qui insiste sur la durĂ©e de l'action en cours. Bernard n'obtient pas une rĂ©ponse dĂ©finitive, il doit continuer Ă  s'instruire, Ă  vivre et Ă  faire des erreurs.

Justement, les erreurs de Bernard sont la matiĂšre mĂȘme du roman, car elles impactent le destin de tous les autres personnages. Le vol de la valise d'Édouard est l'Ă©vĂ©nement qui a prĂ©cipitĂ© tout le reste : sa rencontre avec Laura, le voyage d'Olivier avec Robert de Passavant, les retrouvailles de Boris avec son grand-pĂšre La PĂ©rouse, etc. Si Bernard doit continuer Ă  faire des erreurs (c'est ce qu'il entend pas « vivre mal », alors on peut s'attendre Ă  un roman inachevĂ©.

Dans le Journal des Faux Monnayeurs, Gide envisage justement la fin du livre comme une ouverture sur d'autres horizons :
Celui-ci s'achÚvera brusquement, non point par épuisement du sujet, qui doit donner l'impression de l'inépuisable, mais au contraire, par son élargissement et par une sorte d'évasion de son contour. Il ne doit pas se boucler, mais s'éparpiller, se défaire


L'expression finale « suivre sa pente » est une expression populaire qu'Édouard dĂ©tourne pour faire ressortir la mĂ©taphore du cheminement dans la vie. C'est ce qu'on appelle une catachrĂšse : le fait de rĂ©utiliser une expression courante pour la remotiver et lui donner un sens plus profond. Le pronom personnel rĂ©sume bien la quĂȘte d'authenticitĂ© de Bernard : il possĂšde bien une pente Ă  lui, unique, qu'il doit trouver et suivre.

Mais l'expression d'Édouard n'est pas seulement un conseil Ă  Bernard : c'est une maxime au prĂ©sent de vĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale. Elle concerne tout le monde. Le pronom personnel possessif est pour ainsi dire dĂ©multipliĂ© par cette gĂ©nĂ©ralisation philosophique : tout le monde possĂšde une pente qu'il lui convient de suivre. Il s'agit bien de prendre en compte la variĂ©tĂ© des points de vue, qui fait aussi la variĂ©tĂ© des destins.

Conclusion



En cette fin de roman, Bernard atteint la fin de sa quĂȘte initiatique. Il a beaucoup Ă©voluĂ©, et il sait dĂ©sormais qu'il faut chercher sous les apparences pour dĂ©couvrir une certaine authenticitĂ©.

C'est l'occasion pour Gide de mener une réflexion sur la construction des personnages de roman. Certains sont simples, ils n'évoluent pas. D'autres, plus complexes, peuvent suivre leur pente, en montant, comme Bernard, ou en descendant, comme Vincent. Mais tous ces personnages sont utiles, ils représentent une variété de points de vue nécessaire pour comprendre la réalité.

Bernard recherche une rĂšgle de vie, mais c'est seulement un conseil qu'il attend d'Édouard. Cette question n'appelle pas une rĂ©ponse dĂ©finitive, mais au bien une recherche continuelle, en constante Ă©volution. Si cette philosophie de vie correspond Ă©galement Ă  une philosophie de l'Ă©criture romanesque, le lecteur peut s'attendre Ă  un roman inachevĂ©.


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