Depuis longtemps, je ne prĂ©tends gagner mon procĂšs qu'en appel. Je n'Ă©cris que pour ĂȘtre relu [...] Tant pis pour le lecteur paresseux, j'en veux d'autres.
La vie nous présente de toutes parts quantité d'amorces de drames, mais il est rare que ceux-ci se poursuivent et se dessinent comme a coutume de les filer un romancier [...] Le génie du roman fait vivre le possible : il ne fait pas revivre le réel.
â Ăcoute. Jâai quittĂ© la maison ; ou du moins je vais la quitter ce soir. Je ne sais pas encore oĂč jâirai. Pour une nuit, peux-tu me recevoir ?
Dans cette premiÚre scÚne du Luxembourg, je fais parler les indifférents. On ne doit pas entendre [Olivier], à peine l'entrevoir : mais déjà l'aimer un peu.
â Faites coffrer les femmes ! [...] Mais ne vous saisissez pas des enfants ; contentez-vous de les effrayer [...]
Monsieur,
Jâai dĂ©couvert [...] que je dois cesser de vous considĂ©rer comme mon pĂšre, et câest pour moi un immense soulagement. [...] D'ailleurs jâai toujours senti [...] votre diffĂ©rence dâĂ©gards avec vos autres enfants [...] Dites Ă ma mĂšre [...] que je ne lui en veux pas de mâavoir fait bĂątard [...]
Je signe du ridicule nom qui est le vĂŽtre, que je voudrais pouvoir vous rendre, et quâil me tarde de dĂ©shonorer.
Bernard Profitendieu.
Comment lui eĂ»t-elle dit quâelle se sentait emprisonnĂ©e dans cette vertu quâil exigeait dâelle [...] que ce nâĂ©tait pas tant sa faute quâelle regrettait Ă prĂ©sent, que de sâen ĂȘtre repentie.
Le mauvais romancier construit ses personnages : il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les Ă©coute et les regarde agir.
â Elle lui disait : « Vincent, mon amant [...] vous nâavez plus le droit de mâabandonner Ă prĂ©sent. » [...] Ensuite elle est restĂ©e longtemps, [...] presque contre ma porte, Ă sangloter.
â Pour Vincent je savais ça dĂ©jĂ depuis longtemps. [...] TĂąchez maintenant de parler plus bas, [...] ou taisez-vous.
Je voudrais un personnage (le diable) qui circulerait incognito à travers tout le livre et dont la réalité s'affirmerait d'autant plus qu'on croirait moins en lui.
â Vincent [...] Je dĂ©sire mettre Ă votre disposition une somme Ă©quivalente Ă celle que vous avez perdue [...] et que vous allez risquer de nouveau. [...] Vous me la rendrez si vous gagnez. Sinon, tant pis ! nous serons quittes.
â Ils Ă©taient Ă Pau tous les deux, dans [...] un sanatorium, oĂč on les avait envoyĂ©s lâun et lâautre parce quâon prĂ©tendait quâils Ă©taient tuberculeux. [...] Comme ils se croyaient condamnĂ©s, ils se sont persuadĂ©s que tout ce quâils feraient ne tirerait plus Ă consĂ©quence.
Il a pris parti de cette perte, de sorte que, lorsqu'il la regagne, cette somme ne lui paraßt plus consacrée à M. et il ne songe qu'à la dépenser.
Il songe à sa nouvelle rÚgle de vie, dont il a trouvé depuis peu la formule : « Si tu ne fais pas cela, qui le fera ? Si tu ne le fais pas aussitÎt, quand sera-ce ?
â JâĂ©tais sur la Bourgogne le jour oĂč elle a fait naufrage. Jâavais dix-sept ans. [...] JâĂ©tais Ă lâarriĂšre d'un canot [...] Deux marins, armĂ©s dâune hache [...] coupaient les poignets des nageurs qui [...] sâefforçaient de monter dans notre barque. [...] « Sâil en monte un seul de plus, nous sommes tous foutus. La barque est pleine. » [...] Jâai compris que jâavais laissĂ© une partie de moi sombrer avec la Bourgogne, quâĂ un tas de sentiments dĂ©licats, dĂ©sormais, je couperais [...] les poignets pour les empĂȘcher de [...] faire sombrer mon cĆur. [...]
Ce nâest pas quâil dĂ©teste Passavant. Il lâa rencontrĂ© parfois et lâa trouvĂ© charmant. [...] Mais [ses] livres lui dĂ©plaisent ; Passavant lui paraĂźt moins un artiste quâun faiseur.
Je nâose retourner prĂšs de mes parents [...] Mon pĂšre, sâil apprenait, [...] serait capable de me maudire. [...] Quant Ă celui qui⊠[...] pour ĂȘtre mieux Ă mĂȘme de mâaider, il sâest malheureusement mis Ă jouer. [...] Avant de jeter cette lettre Ă la poste, je vais le revoir une derniĂšre fois. [...] Si vous recevez ceci, câest donc vraiment queâŠ
Adieu, adieu, je ne sais plus ce que jâĂ©cris.
â Laura Douviers â
Ădouard somnole ; ses pensĂ©es insensiblement prennent un autre cours. Il songe au roman quâil prĂ©pare, [...] il nâest pas assurĂ© que Les Faux-Monnayeurs soit un bon titre. [...] Il y pense sans cesse [...] mais il nâen a pas Ă©crit encore une ligne.
Le roman dans le roman : cette mise en abyme va de pair avec des effets de miroir : le journal se trouve dans le roman. Les actions sont reflĂ©tĂ©es et dĂ©formĂ©es. Par exemple, l'amour sincĂšre de Laura pour Ădouard fait Ă©cho Ă l'amour destructeur de Lilian pour Vincent. Les Faux Monnayeurs est ce qu'on appelle un roman spĂ©culaire, du latin specularis : en miroir.
â Fais-tu toujours des vers ?
â De temps en temps⊠Jâaurais grand besoin de conseils.
Câest âde vos conseilsâ quâil voulait dire. Et le regard [...] le disait si bien quâĂdouard crut quâil disait cela par dĂ©fĂ©rence [...]
â Oh ! les conseils, [...] ceux des aĂźnĂ©s ne valent rien. »
Olivier pensa : « Je ne lui en ai pourtant pas demandé ; pourquoi proteste-t-il ? »
Ădouard se mĂ©prenait Ă ce silence [...] « Je lâennuie [...] Il nâattend quâun mot de moi pour partir. »
â Quâest-ce que câĂ©tait ce livre ?
â Câest un guide dâAlgĂ©rie. Mais ça coĂ»te trop cher. Je ne suis pas assez riche.
5 novembre.
La cĂ©rĂ©monie a eu lieu [...] dans la petite chapelle de la rue Madame [...] Le vieux La PĂ©rouse Ă lâharmonium ; [...] Olivier [...] a poussĂ© sa mĂšre pour que je puisse mâasseoir Ă cĂŽtĂ© de lui ; puis mâa pris la main et lâa longuement retenue dans la sienne. [...]
â Figurez-vous que votre jeune neveu et quelques-uns de ses camarades ont constituĂ© une [...] espĂšce de LĂ©gion dâhonneur enfantine.
â Mais vous [...] pourquoi vous nâavez pas Ă©pousĂ© Laura ? alors que vous lâaimiez, paraĂźt-il, et qu'elle se languissait aprĂšs vous.
â Vous pourriez croire que jâaime Sarah. Mais non⊠[...] Il ne faut pas non plus que vous jugiez Armand dâaprĂšs ce quâil a pu vous dire aujourdâhui [...] Câest une espĂšce de rĂŽle quâil joueâŠ
â Ă peine ĂągĂ© de vingt ans, il a pris une maĂźtresse. CâĂ©tait une Ă©lĂšve Ă moi, une jeune Russe, trĂšs bonne musicienne [...] Elle est retournĂ©e en Pologne pour ses couches. Mon fils est parti la rejoindre [...] mais il est mort avant de lâavoir Ă©pousĂ©e.
â Et votre petit-fils⊠? [...]
â Le petit Boris fait son Ă©ducation [...] dans un collĂšge de Varsovie, je crois. [...] Auriez-vous cru quâil Ă©tait possible dâaimer autant un enfant quâon nâa jamais vu ?âŠ
9 novembre.
Une sorte de tragique a jusquâĂ prĂ©sent, me semble-t-il, Ă©chappĂ© presque Ă la littĂ©rature. Le roman sâest occupĂ© des traverses du sort, de la fortune bonne ou mauvaise, des rapports sociaux, du conflit des passions, des caractĂšres, mais point de lâessence mĂȘme de lâĂȘtre. [...] le tragique moral.
Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l'auteur, mais plutÎt exposés (plusieurs fois, sous des angles divers).
â Je suis lâami dâOlivier Molinier⊠[...] frĂšre de Vincent, votre amant, qui lĂąchement vous abandonne [...]
â Mais enfin, comment savez-vous ?⊠Qui vous a dit ?⊠Vous nâavez pas le droit de savoirâŠ
Il comprenait soudain quâil sâagissait ici de vie rĂ©elle, [...] et tout ce quâil avait Ă©prouvĂ© jusquâalors ne lui parut plus que parade et que jeu.
â Depuis ce matin, je suis sans gĂźte, [...] et sans famille. [...] Oh ! ne me prenez pas pour un voleur. Si jâai levĂ© votre valise, câĂ©tait surtout pour entrer en rapport.
â Olivier, permettez-moi de vous dire que jâai infiniment plus de confiance dans votre goĂ»t quâen celui de Sidi Dhurmer. Accepteriez-vous dâassumer cette direction littĂ©raire ? [...]
â Ăcoute, mon petit, [...] il faut vouloir ce que lâon veut. [...] Pour en finir avec Laura, [...] on pourrait bien lui envoyer les cinq mille francs que tu lui avais promis. [...] Tu ne sais pas couper les mains proprement.
En réalité, Vincent a déjà proposé cet argent à Laura, mais elle a refusé l'enveloppe.
â La lumiĂšre du jour [...] ne pĂ©nĂštre pas trĂšs avant dans la mer. [...] Les dragages [...] ont ramenĂ© de ces enfers quantitĂ© dâanimaux Ă©tranges. [...] Et voici quâon dĂ©couvre [...] que chacun de ces animaux [...] Ă©met et projette devant soi, [...] sa lumiĂšre. Chacun dâeux Ă©claire, illumine, irradie. [...]
â La nuit [...] il sâattarde jusquâau matin Ă relire en pleurant dâanciennes lettres de feu son frĂšre. Il veut que je supporte tout cela sans rien dire !
â Il me semble que⊠[...] Je mâen irais plus facilement, si seulement jâavais pu le voir.
â Mon pauvre ami [...] Je ferai tout ce qu'il est humainement possible [...] Vous verrez le petit Boris, je vous le promets.
Cher Vieux,
Que je te dise dâabord que jâai sĂ©chĂ© le bachot. [...] Une occasion unique sâest offerte Ă moi de partir en voyage. Jâai sautĂ© dessus [...]
Quand nous sommes arrivĂ©s Ă Saas-FĂ©e, [...] lâhĂŽtel nâa pu nous offrir que deux chambres, une grande Ă deux lits et une petite [...] câest Laura qui occupe la petite chambre [...]
La sociĂ©tĂ© de lâhĂŽtel est assez divertissante. [...] Nous frĂ©quentons surtout une doctoresse polonaise, qui passe ici ses vacances avec sa fille et un petit garçon quâon lui a confiĂ©. Câest mĂȘme pour retrouver cet enfant que nous sommes venus jusquâici. Il a une sorte de maladie nerveuse que la doctoresse soigne selon une mĂ©thode toute nouvelle.
Dis-toi bien que je nâoublie pas que câest grĂące Ă toi que [...] je dois mon bonheur.
Bernard
Bernard [...] connaissait trop mal Olivier, pour se douter du flot de sentiments hideux que cette lettre allait soulever chez lui [...] Une phrase surtout [...] le torturait « Dans la mĂȘme chambre ». Il nâĂ©tait jaloux particuliĂšrement ni dâĂdouard, ni de Bernard ; mais des deux. [...] Cette nuit, les dĂ©mons de lâenfer lâhabitĂšrent. Le lendemain matin il se prĂ©cipita chez Robert.
â Boris, [...] Tu ne veux pas venir te promener ?
â Oui, je veux bien. Non, je ne veux pas. [...] Ă©coute : on va prendre un bĂąton ; tu tiendras un bout et moi lâautre. [...] Je te promets de [n'ouvrir les yeux] que quand nous serons arrivĂ©s lĂ -bas.
â Il souffre dâune quantitĂ© de petits troubles, de tics, de manies [...] Je crois quâon peut [...] trouver leur origine dans un premier Ă©branlement de lâĂȘtre [...] quâil importe de dĂ©couvrir. Le malade, dĂšs quâil devient conscient de cette cause, est Ă moitiĂ© guĂ©ri. [...]
â Ce que je veux, câest prĂ©senter dâune part la rĂ©alitĂ©, et dâautre part lâeffort pour la styliser [...] Pour obtenir cet effet, [...] jâinvente un personnage de romancier, que je pose en figure centrale ; et le sujet du livre, si vous voulez, câest prĂ©cisĂ©ment la lutte entre ce que lui offre la rĂ©alitĂ© et ce que, lui, prĂ©tend en faire.
Ce pur roman, il ne parviendra jamais Ă l'Ă©crire [...] C'est un amateur, un ratĂ© [...] Personnage d'autant plus difficile Ă Ă©tablir que je lui prĂȘte beaucoup de moi.
â [Il me semble] que si jâĂ©crivais Les Faux-Monnayeurs, je commencerais par prĂ©senter la piĂšce fausse [...] et que voici. [...] On jurerait quâelle est en or. [...] mais elle est en cristal. Ă lâusage, elle va devenir transparente.
Ma Laura bien-aimée,
Au nom de ce petit enfant qui va naĂźtre, et que je fais serment dâaimer autant que si jâĂ©tais son pĂšre, je te conjure de revenir. [...] Ne tâaccuse pas trop, car câest de cela surtout que je souffre. [...]
Je tâattends de toute mon Ăąme qui tâadore.
â FĂ©lix Douviers â
â Est-ce que vous croyez quâon peut aimer lâenfant dâun autre autant que le sien propre, vraiment ?
â Je ne sais pas [...] mais je lâespĂšre.
â Pour moi, je le crois [...] Celui qui mâa tenu lieu de pĂšre nâa jamais rien fait qui laissĂąt soupçonner que je nâĂ©tais pas son vrai fils [...] en lui Ă©crivant [...] que jâavais toujours senti la diffĂ©rence, [...] jâai mal agi envers lui.
â Boris, vers lâĂąge de neuf ans, [...] sâest liĂ© avec un camarade de classe [...] qui lâa initiĂ© Ă des pratiques clandestines, que ces enfants [...] croyaient ĂȘtre âde la magieâ. [...] La mort du pĂšre est survenue. Boris sâest persuadĂ© que ses pratiques [...] avaient reçu leur chĂątiment [...] Câest alors que [...] son organisme [...] a inventĂ© cette quantitĂ© de petits subterfuges [...] qui sont comme autant dâaveux.
Cher vieux,
[...] Une occasion unique sâoffrait Ă moi de partir en voyage. Je balançais encore ; mais aprĂšs lecture de ta lettre, jâai sautĂ© dessus. Une lĂ©gĂšre rĂ©sistance de ma mĂšre, dâabord ; mais dont a vite triomphĂ© Vincent [...]
Sache que câest le rĂ©dacteur en chef de la nouvelle revue Avant-Garde, qui tâĂ©crit. [...] J'ai acceptĂ© dâassumer ces fonctions, dont le comte Robert de Passavant mâa jugĂ© digne.
Il sait admirablement se servir des idĂ©es, des images, des gens, des choses ; câest-Ă -dire quâil met tout Ă profit. Il dit que le grand art de la vie, ce nâest pas tant de jouir que dâapprendre Ă tirer parti.
Au revoir, mon vieux.
Je crains quâen confiant le petit Boris aux AzaĂŻs, Ădouard ne commette une imprudence. Comment lâen empĂȘcher ? [...]
Je ne puis point me consoler de la passade qui lui a fait prendre la place dâOlivier prĂšs dâĂdouard. Les Ă©vĂ©nements se sont mal arrangĂ©s.
â Ă vrai dire [...] moi, personnellement, je nâapprouvais pas ce voyage. [...] Neuf fois sur dix, quand le mari cĂšde Ă sa femme, câest quâil a quelque chose Ă se faire pardonner.
â Quâest-ce qui vous porte Ă le croire ? [...]
â Câest un enfant naturel [...] Le fruit du dĂ©sordre [...] porte nĂ©cessairement en lui des germes dâanarchie [...] Et puis je crois bien que Profitendieu a [...] quelques soupçons, car son zĂšle s'est brusquement ralenti.
â Je crains que le dĂ©part de sa chĂšre femme pour Sainte-PĂ©rine ne lâait beaucoup affectĂ©. [...] Jâai pensĂ© que je pourrais lui proposer de surveiller les classes dâĂ©tudes, ce qui ne le fatiguerait guĂšre [...]
Madame Vedel ressemble Ă lâElvire de Lamartine ; une Elvire vieillie. Sa conversation nâest pas sans charme. Il lui arrive assez souvent de ne pas achever ses phrases, ce qui donne Ă sa pensĂ©e une sorte de flou poĂ©tique.
â C'est un homme brutal et vulgaire [...] Il est venu faire Ă grand-pĂšre une scĂšne trĂšs pĂ©nible, que malheureusement je nâai pas pu empĂȘcher.
â Vous venez Ă pic pour la tirer dâune sale angoisse. Câest [...] Alexandre, mon cochon de frĂšre, qui a fait des dettes dans les colonies. [...] DĂ©jĂ elle avait abandonnĂ© la moitiĂ© de sa dot pour grossir [...] celle de Laura ; mais cette fois tout le reste y a passĂ©. [...] Maman sâefforce de ne rien comprendre. Quant Ă papa, il sâen remet au Seigneur ; câest plus commode. [...] Et grand-pĂšre qui "fait le charitable" avec La PĂ©rouse, parce quâil a besoin dâun rĂ©pĂ©titeurâŠ
â Jâai chargĂ© lâun des pistolets [...] Mais je nâai pas eu le courage de tirer. [...] Quelque chose de [...] plus fort que ma volontĂ©, me retenait⊠Comme si Dieu ne voulait pas me laisser partir.
â Vous nâavez plus de crainte Ă avoir. [...] Ils sont le seul souvenir qui me reste Ă prĂ©sent de mon frĂšre, et jâai besoin quâils me rappellent Ă©galement que je ne suis quâun jouet entre les mains de Dieu.
â Ce soir Les Argonautes donnent un banquet. Passavant tient Ă y assister [...] Tu devrais y amener Ădouard [...] Notre premier numĂ©ro est presque prĂȘt ; mais, dis⊠pourquoi ne mâas-tu rien envoyĂ© ?
â Ăcoute, mon vieux, [...] je ne sais pas si jâĂ©crirai. Il me semble parfois quâĂ©crire empĂȘche de vivre.
â GrĂące Ă Laura, mes instincts se sont sublimĂ©s. Je sens en moi de grandes forces inemployĂ©es. [...] Câest comme de la vapeur [qui] peut sâĂ©chapper en sifflant (ça câest la poĂ©sie), actionner des pistons [...] ou mĂȘme faire Ă©clater la machine. [...] Oh ! je sais bien que je ne me tuerai pas ; mais je comprends admirablement Dmitri Karamazov, lorsquâil affirme quâon puisse se tuer par enthousiasme, par [...] excĂšs de vieâŠ
â Moi aussi, [...] je comprends quâon se tue ; mais ce serait aprĂšs avoir goĂ»tĂ© une joie si forte que toute la vie qui la suive en pĂąlisse.
Mais Olivier remarque que son ami ne l'écoute déjà plus.
â Il faut que les gosses [...] livrent de quoi tenir les parents. Avant de lĂącher les piĂšces, tu tĂącheras de leur faire comprendre ça [...]
â Molinier [...] il est mĂ»r. [...] il disait Ă Phiphi (affaire de lâĂ©pater) : âMon pĂšre, lui, il a une maĂźtresse.â [...] jâai dit Ă Georges : âQuâest-ce que tu en sais ?â â âJâai vu des lettresâ. [...] il a fini par me les a montrer.
â Je nâapprouvais pas ce dĂ©part, et ce monsieur Passavant [...] ne me plaĂźt guĂšre. Mais, que voulez-vous ? [...] Oscar, lui, cĂšde toujours [...] Vincent lui-mĂȘme sâen est mĂȘlĂ©. [...] Câest avec vous que jâaurais souhaitĂ© quâil partĂźt.
â Depuis mon retour, je ne comprends pas ce quâil a. [...] On dirait quâil a peur de moi. Il a bien tort. Depuis longtemps je suis au courant de ses relationsâŠ
â Justement [...] il craint que vous nâayez pris des lettres quâil dit nâavoir plus retrouvĂ©es.
ImmĂ©diatement, ils devinent que c'est Georges qui les a. Ădouard promet Ă Pauline d'aller lui parler.
â Le Vase nocturne ; hein ! quel beau titre !⊠Jâallais le proposer [...] Ă ta glorieuse revue, mais, [...] je vois bien quâil nâa pas grand-chance de te plaire.
â Jâentends parler de vous depuis si longtemps quâil me semble dĂ©jĂ vous connaĂźtre.
â Et rĂ©ciproquement », dit Bernard, dâun tel ton que lâamĂ©nitĂ© de Passavant se glaça.
â Est-ce dans ce milieu que dĂ©sormais vous allez vivre ?
â Vous trouvez que jâai tort de frĂ©quenter ces gens-lĂ ?
â Non pas tous, peut-ĂȘtre ; mais certains dâentre eux, assurĂ©ment.
Son aveuglement, prĂšs de Passavant, nâavait-il pas Ă©tĂ© volontaire ? Sa gratitude pour tout ce que le comte avait fait pour lui, tournait Ă la rancĆur. Il le reniait Ă©perdument.
â Et maintenant, nous allons tuder le petit Bercail.
Il sortit de sa poche un gros pistolet [...] et mit en joue. [...] Bercail voulut montrer quâil nâavait pas peur et [...] prit une pose napolĂ©onienne. [...] Le coup partit. Le pistolet nâĂ©tait chargĂ© quâĂ blanc. [...] Quand on redonna de la lumiĂšre, on admira Bercail, qui gardait la pose, immobile, Ă peine un peu plus pĂąle.
â Viens te passer un peu dâeau sur le visage. Tu as lâair dâun fou.
â EmmĂšne-moi.
Bernard [...] a goĂ»tĂ©, cette nuit, dâun oubli plus reposant que le sommeil ; exaltation et anĂ©antissement [...] Il a laissĂ© Sarah dormant encore. [...] Est-ce par insensibilitĂ© quâil la quitte ainsi ? Je ne sais pas. Il ne sait lui-mĂȘme.
Une affreuse odeur de gaz lâavertit. [Dans la salle de bains] il trouva [...] le corps dâOlivier effondrĂ© contre la baignoire, dĂ©vĂȘtu, glacĂ©, livide [...]
â Câest moi qui lui parlais de suicide, [...] je me rappelle Ă prĂ©sent ce quâil mâa rĂ©pondu. [...] il comprenait quâon se tuĂąt, mais seulement aprĂšs avoir atteint un tel sommet de joie, que lâon ne puisse, aprĂšs, que redescendre.
Mon cher ami,
FĂ©lix vient de partir pour Paris, dans lâintention dâaller vous voir. Il prĂ©tend obtenir de vous [...] le nom de celui quâil voudrait provoquer en duel. [...] Je crois que câest le dĂ©sir de forcer mon estime, [...] qui le pousse Ă cette dĂ©marche. [...] Vous seul parviendrez Ă le dissuader. [...]
Votre amie toujours inquiĂšte et toujours confiante,
Laura.
â Je suis dĂ©jĂ rassurĂ©e de savoir Olivier chez vous [...] Je ne le soignerais pas mieux que vous, car je sens bien que vous lâaimez autant que moi.
En disant ces derniers mots, elle mâa regardĂ© avec une bizarre insistance.
â Votre rougeur est Ă©loquente⊠Mon pauvre ami, nâattendez pas de moi des reproches. [...] Je ne crois pas que les plus chastes adolescents fassent plus tard les maris les meilleurs [...] lâexemple de leur pĂšre mâa fait souhaiter dâautres vertus pour mes fils. Mais jâai peur pour eux [...] des liaisons dĂ©gradantes [...] Vous aurez Ă cĆur de le retenir.
â Il faut que tu me promettes [...] de ne jamais chercher Ă savoir pourquoi jâai voulu me tuer [...] il ne faut pas que tu penses que câest Ă cause de quelque chose de mystĂ©rieux dans ma vie, quelque chose que tu ne connaĂźtrais pas. [...]
Qui sait oĂč nous serons quand cette lettre quâil emporte vous atteindra ? Peut-ĂȘtre sur les bords de la Casamance ? [...]
Ah ! dear, il faut vivre sur un yacht pour apprendre Ă connaĂźtre lâennui. [...] Savez-vous Ă quoi je me suis occupĂ©e depuis lors ? Ă haĂŻr Vincent. Oui, mon cher, lâamour nous paraissant trop fade, nous avons pris le parti de nous haĂŻr. [...]
â Vous savez que jâavais pensĂ© Ă Olivier pour la direction dâune revue ? Naturellement, il nâen est plus question.
â Cela va sans dire !
Passavant [...] comprit au ton dâĂdouard quâil venait de faire son jeu [...] Tous deux se quittĂšrent sur un salut des plus froids.
â Je dois vous avouer que, de toutes les nausĂ©abondes Ă©manations humaines, la littĂ©rature est une de celles qui me dĂ©goĂ»tent le plus. [...] Nous vivons sur des sentiments admis et que le lecteur sâimagine Ă©prouver, parce quâil croit tout ce quâon imprime [...] Ces sentiments sonnent faux comme des jetons. [...] Je vous en avertis si je dirige une revue, ce sera pour [...] y dĂ©monĂ©tiser tous les beaux sentiments, et ces billets Ă ordre : les mots.
Ăcrit trente pages des Faux-Monnayeurs, sans hĂ©sitation, sans ratures. [...] Tout le drame surgit de lâombre, trĂšs diffĂ©rent de ce que je mâefforçais en vain dâinventer.
JâĂ©tais fermement rĂ©solu Ă ne point lui livrer le nom du sĂ©ducteur ; mais, Ă ma surprise, il ne me lâa pas demandĂ©. Je crois que sa jalousie retombe dĂšs quâil ne se sent plus contemplĂ© par Laura. [...] Il se promet dâaimer lâenfant comme il aimerait le sien propre.
â Depuis quelque temps, des piĂšces de fausse monnaie circulent. [...] Je sais que le jeune Georges [...] est un de ceux qui sâen servent et les mettent en circulation. [...] Vous ne feriez [...] pas mal de lâeffrayer un peu [...]
â Ce que vous seul pouvez lui dire, câest que je ne lui en veux pas, [...] que je nâai jamais cessĂ© de lâaimer⊠comme un fils. [...] et sa mĂšre mâa quitté⊠oui, dĂ©finitivement [...]
Profitendieu est à redessiner complÚtement. Je ne le connaissais pas suffisamment, quand il s'est lancé dans mon livre. Il est beaucoup plus intéressant que je ne le savais.
Lâorateur [...] enseignait un moyen certain de ne jamais se tromper, qui Ă©tait de renoncer Ă jamais juger par soi-mĂȘme, mais bien de sâen remettre toujours aux jugements de ses supĂ©rieurs.
â Ces supĂ©rieurs, qui sont-ils ? demanda Bernard ; et soudain une grande indignation sâempara de lui.
Bernard et l'ange luttĂšrent jusquâĂ lâaube. Lâange se retira sans quâaucun des deux fĂ»t vainqueur.
â Ce nâest pas chez moi que vous devriez coucher ce soir, mais chez lui. Il vous attend.
Bernard cependant se taisait.
â Je vais y rĂ©flĂ©chir, dit-il enfin.
â Eudolfe est un nom ridicule. [...] quâest-ce quâil devient ensuite ?
â Je ne sais pas encore. Cela dĂ©pend de toi.
â Alors, si je vous comprends bien, câest moi qui dois vous aider Ă continuer votre livre.
Je compris alors seulement mon erreur. [...] Georges se trouvait flattĂ© dâavoir occupĂ© si longtemps ma pensĂ©e. Il se sentait intĂ©ressant.
â Le juge d'instruction Profitendieu mâa chargĂ© de tâavertir quâil savait que tu faisais circuler des fausses piĂšcesâŠ[...] si vous ne cessez pas aussitĂŽt ce trafic, toi et tes copains, il se verrait forcĂ© de vous coffrer.
â Veux-tu savoir la composition de notre premier numĂ©ro ? [...] Mon Vase nocturne ; [...] un dialogue de Jarry ; des poĂšmes en prose du petit GhĂ©ridanisol [...] et puis le "Fer Ă repasser", un essai [...] qui s'occupe de tirer au clair ce qu'on entend par "chef-d'oeuvre". Par exemple, [...] nous allons donner une reproduction de La Joconde, Ă laquelle on a collĂ© une paire de moustaches. Tu verras, mon vieux : câest dâun effet foudroyant.
La ConfrĂ©rie des Hommes forts nâeut pour raison dâĂȘtre dâabord que le plaisir de nây point admettre Boris. Mais il apparut Ă GhĂ©ridanisol bientĂŽt quâil serait au contraire bien plus pervers de lây admettre ; ce serait le moyen de lâamener [...] Ă quelque acte monstrueux. Il sâagissait dâinventer une « Ă©preuve » Ă laquelle serait tenu de se soumettre celui des affiliĂ©s qui serait dĂ©signĂ© par le sort.
LâĂ©tude avait commencĂ© Ă cinq heures et devait durer jusquâĂ six. Câest Ă six heures moins cinq, [...] que Boris devait en finir.
â Encore cinq minutes.
Presque aussitĂŽt [...], Boris [...] sâavança jusquâĂ la place marquĂ©e. [...] La PĂ©rouse [...] ne comprit pas ce que faisait son petit-fils [...] Mais soudain il reconnut le pistolet ; Boris venait de le porter Ă sa tempe. [...] Le coup partit. [...] Un instant le corps se maintint, comme accrochĂ© dans lâencoignure ; puis la tĂȘte, retombĂ©e sur lâĂ©paule, lâemporta ; tout sâeffondra.
L'affaire des faux-monnayeurs anarchistes du 7 et 8 aoĂ»t 1907 â et la sinistre histoire des suicides d'Ă©coliers de Clermont-Ferrand (5 juin 1909). Fondre cela dans une seule et mĂȘme intrigue.
Rachel craint la ruine. Quatre familles ont dĂ©jĂ retirĂ© leurs enfants. Je nâai pu dissuader Pauline de reprendre Georges auprĂšs dâelle ; dâautant que ce petit, profondĂ©ment bouleversĂ© par la mort de son camarade, semble dispos Ă sâamender. [...] Armand, soucieux malgrĂ© ses airs cyniques, [...] offre Ă la pension le temps que veut bien lui laisser Passavant [...]
â Nous nous efforçons de croire que tout ce quâil y a de mauvais sur la terre vient du diable ; mais câest parce quâautrement nous ne trouverions pas en nous la force de pardonner Ă Dieu. [...]
Jâapprends par Olivier que Bernard est retournĂ© chez son pĂšre ; et, ma foi, câest ce quâil avait de mieux Ă faire. En apprenant par le petit Caloub, fortuitement rencontrĂ©, que le vieux juge nâallait pas bien, Bernard nâa plus Ă©coutĂ© que son cĆur. Nous devons nous revoir demain soir, car Profitendieu mâa invitĂ© Ă dĂźner avec Molinier, Pauline et les deux enfants. Je suis bien curieux de connaĂźtre Caloub.
[Ce roman] s'achĂšvera brusquement, non point par l'Ă©puisement du sujet, qui doit donner l'impression de l'inĂ©puisable, mais au contraire, par son Ă©largissement et par une sorte d'Ă©vasion de son contour. Il ne doit pas se boucler, mais s'Ă©parpiller, se dĂ©faireâŠ
âšÂ * Gide, Les Faux Monnayeurs đ Axes de lecture *
âšÂ * Gide, Les Faux Monnayeurs đš Les personnages *
âšÂ Gide, Les Faux-Monnayeurs đ Texte intĂ©gral du roman au format PDF
âšÂ * Gide, Les Faux-Monnayeurs đ RĂ©sumĂ©-analyse (texte PDF) *
âšÂ * Gide, Les Faux-Monnayeurs đ§ RĂ©sumĂ©-analyse (podcast) *
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