Couverture pour L'île des Esclaves

Marivaux, L’Île des Esclaves
Résumé-analyse



En ce début de XVIIIe siècle, montrer au théâtre des valets prendre la place des maîtres, c’est assez audacieux. Pour éviter de faire fuir son spectateur, et pour éviter la censure, Marivaux place son histoire dans l’antiquité : les personnages seraient des athéniens perdus en mer.

Mais on comprend bien qu'Athènes n’est qu’un lieu symbolique : elle représente la cité organisée en classes sociales. Vous allez voir que les esclaves de la pièce ressemblent surtout à des valets de l'Ancien Régime.

Et c’est pour ça que l'inversion des rôles permet une véritable satire de la société du XVIIIe siècle. La mise en abyme du théâtre dans le théâtre est utilisé pour faire une expérimentation sociale qui se déroule sous les yeux du spectateur. Selon les traditions de la grande comédie, l'imitation, la caricature et le rire servent à corriger les travers de la société.

Dans l'île des Esclaves, on assiste à l'aventure d'un langage : le langage manipulateur devient progressivement le langage de la sincérité. En effet, l'échange des rôles permet d'éprouver la place de l'autre, voilà pourquoi l'empathie vient souvent contrebalancer et atténuer la moquerie.

Marivaux nous propose avec cette pièce une réflexion morale, ce n'est pas tant une remise en cause des classes sociales qu'une invitation à traiter ses semblables avec respect et confiance.

Scène première



À l'ouverture des rideaux, nous découvrons Iphicrate et Arlequin qui viennent de faire naufrage sur l’île des esclaves.

Le thème du naufrage sur une île interpelle tout de suite le spectateur de l’époque, qui pense immédiatement à Robinson Crusoé. Il faut savoir que Daniel Defoe a publié son roman en 1719, c'est-à-dire tout juste 6 ans auparavant. C’est un roman d’aventures, certes, mais c’est aussi et avant tout un roman d’éducation. C'est donc l'indice d'une œuvre qui se veut édifiante.

Iphicrate explique Ă  Arlequin :
Iphicrate — Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s’établir dans une île, [...] et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu’ils rencontrent, ou de les jeter dans l’esclavage.
Arlequin — Eh ! Chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure ; je l’ai entendu dire aussi, mais on dit qu’ils ne font rien aux esclaves comme moi.


En ce début de pièce, Arlequin n'est pas capable d'empathie.

Iphicrate tente de lui donner des ordres, il veut retrouver la chaloupe et rembarquer à Athènes, mais Arlequin n'obéit plus :
Arlequin, riant. — Ah ! Ah ! vous parlez la langue d’Athènes ; mauvais jargon que je n’entends plus.
Iphicrate — Méconnais-tu ton maître, et n’es-tu plus mon esclave ?
Arlequin, se reculant d’un air sérieux. — [...] Dans le pays d’Athènes j’étais ton esclave, tu me traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort. Eh bien ! Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là [...]

Comment cette première scène met-elle en place l’inversion des rôles de manière à captiver l’attention du spectateur ? Je vous propose une explication linéaire de ce passage en vidéo et PDF sur mon site.

Scène II



Un personnage important, Trivelin, arrive avec un groupe d'habitants de l'île. Ils sont accompagnés par Euphrosine et sa servante Cléanthis, qui sont également échouées sur l’île.

Trivelin désarme Iphicrate, donne l'épée à Arlequin, et lui demande son nom :
Arlequin — Je n’en ai point, mon camarade. [...] Je n’ai que des sobriquets qu’il m’a donnés ; il m’appelle quelquefois Arlequin, quelquefois Hé [...]
Trivelin — Eh bien ! changez de nom à présent ; soyez le seigneur Iphicrate à votre tour ; et vous, Iphicrate, appelez-vous Arlequin, ou bien Hé [...]

Marivaux montre que la domination et la dévalorisation passent d’abord par le langage. Comment considère-t-on une personne à qui on ne donne même pas un nom ?

Trivelin prend alors la parole pour raconter l’histoire de l’île où ils se trouvent.
Trivelin — Quand nos pères, irrités de la cruauté de leurs maîtres, quittèrent la Grèce et vinrent s’établir ici, dans le ressentiment des outrages qu’ils avaient reçus [...], la première loi qu’ils y firent fut d’ôter la vie à tous les maîtres [...] La vengeance avait dicté cette loi ; vingt ans après, la raison l’abolit, et en dicta une plus douce. Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons [...] vous êtes moins nos esclaves que nos malades, et nous ne prenons que trois ans pour vous rendre sains, c’est-à-dire humains, raisonnables et généreux pour toute votre vie.

L’Histoire de l’île suit exactement le même schéma que la pièce : d’abord le ressentiment, ensuite la raison et enfin la vertu. On retrouve ici un héritage typique des philosophes des Lumières, pour lesquels la connaissance et la raison sont intimement liées à la vertu.

Écoutez par exemple ce que Diderot écrit dans l'article Encyclopédie de son encyclopédie :
Le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses à la surface de la terre [...] afin que [...] que nos neveux, devenus plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux.

Ensuite, Trivelin fait échanger leurs habits entre les maîtres et les esclaves. L'inversion des rôles repose ainsi sur des schémas suffisamment connus pour être acceptés par le spectateur de l’époque.

Dans l'antiquité romaine, les saturnales étaient des fêtes en l'honneur du dieu Saturne, qui prenaient place lors du solstice d'hiver, et pendant lesquelles les différences sociales étaient abolies, momentanément.

Cette tradition a ensuite perduré à travers le carnaval. À cette occasion, le déguisement permet de mimer un monde à l'envers où les responsabilités sont renversées. Certains personnages de la commedia dell'arte comme Arlequin sont d'ailleurs issus de ces grandes fêtes.

Scène III



C’est alors que viennent se présenter les deux jeunes femmes qui se sont échouées sur l’île en même temps qu’Arlequin et Iphicrate :
Cléanthis, saluant. — Je m’appelle Cléanthis, et elle, Euphrosine. J’ai aussi des surnoms [...] : Sotte, Ridicule, Bête, Butorde, Imbécile, et caetera.
Euphrosine, en soupirant. — Impertinente que vous êtes !
Cléanthis — Tenez, tenez, en voilà encore un que j’oubliais.


Trivelin demande alors à Cléanthis de faire un portrait de son ancienne maîtresse.
Trivelin, à part, à Euphrosine. — Venons maintenant à l’examen de son caractère : il est nécessaire que vous m’en donniez un portrait, qui se doit faire devant la personne qu’on peint, afin qu’elle se connaisse, qu’elle rougisse de ses ridicules, si elle en a, et qu’elle se corrige.

Vous connaissez la célèbre phrase de Jean de Santeul pour définir le rôle de la comédie : Castigat ridendo mores, c'est-à-dire, corriger les mœurs par le rire… Marivaux adopte cette devise, et Cléanthis va imiter sa maîtresse pour faire ressortir ses plus gros défauts. Mais nous allons aussi découvrir un personnage écrasé par les contraintes de son rang.

Cléanthis — Madame se tait, Madame parle ; elle regarde, elle est triste, elle est gaie [...] il n’y a que la couleur de différente ; c’est vanité muette, contente ou fâchée ; c’est coquetterie babillarde, jalouse ou curieuse.

Dans cette scène, les procédés du théâtre dans le théâtre permettent de faire une véritable satire sociale, renforcée par les effets comiques. J’approfondis tout cela dans une explication linéaire en vidéo et PDF sur mon site.

Trivelin interrompt Cléanthis dans son discours, mais elle n’arrive plus à s’arrêter et continue d’énumérer les défauts de Madame pendant qu’il lui demande de sortir.
Cléanthis — Je sors, je sors et tantôt nous reprendrons le discours, qui sera fort divertissant ; car vous verrez aussi comme quoi Madame entre dans une loge au spectacle, avec quelle emphase, avec quel air imposant, quoique d’un air distrait et sans y penser.

Cléanthis est un personnage haut en couleur ! Il faut savoir qu'à l'origine, Marivaux a conçu ce personnage pour Silvia Balletti, une actrice italienne qu'il considérait comme une interprète parfaite pour ses rôles de premier plan. Elle était l'une des figures les plus célèbres du théâtre italien.

Cléanthis, c'est aussi un personnage que Molière invente pour son Amphitryon : elle est la femme du valet, Sosie. C'est un personnage de caractère, qui perçoit instinctivement sous le masque des apparences, notamment lorsque Mercure se fait passer pour son mari.

Scène IV



Trivelin se tourne alors vers Euphrosine. Pour que le stratagème fonctionne, il faut qu’elle reconnaisse l’imitation de Cléanthis :
Trivelin — Convenez-vous de tous les sentiments coquets, de toutes les singeries d’amour-propre qu’elle vient de vous attribuer ?

Elle commence par tout nier en bloc, mais Trivelin lui fait savoir que c’est une étape obligée pour mériter sa délivrance. Elle admet alors progressivement :
Euphrosine — Je suis jeune… [...] On est d’un certain rang, on aime à plaire.
Trivelin — Et c’est ce qui fait que le portrait vous ressemble.
Euphrosine — Je crois qu’oui.
Trivelin — Eh ! voilà ce qu’il nous fallait. Vous trouvez aussi le portrait un peu risible, n’est-ce pas ?
Euphrosine — Il faut bien l’avouer.


L'île des esclaves permet de développer une véritable expérimentation sociale, où l'on va observer l'évolution psychologique des personnages.

L'île est donc le cadre d'une expérience, ce n’est pas un lieu réel, c’est ce qu’on appelle une utopie, étymologiquement : un lieu qui n’existe pas. C’est le philosophe humaniste Thomas More qui invente ce mot en 1516 pour son ouvrage Utopia, où il décrit les conditions d’existence d’une cité idéale. À travers tous ces indices, on devine déjà la volonté de Marivaux de faire une œuvre édifiante.

Scène V



Trivelin retrouve alors Arlequin qui est de très bonne humeur.
Trivelin — Je vous aime de ce caractère, et vous me touchez. C’est-à-dire que vous jouirez modestement de votre bonne fortune, et que vous ne lui ferez point de peine ?
Arlequin — De la peine ! Ah ! le pauvre homme ! Peut-être que je serai un petit brin insolent, à cause que je suis le maître : voilà tout.


Comme pour Cléanthis, Trivelin demande à Arlequin de faire un portrait de son maître.
Arlequin — Eh bien [...] Étourdi par nature, étourdi par singerie, parce que les femmes les aiment comme cela, un dissipe-tout ; vilain quand il faut être libéral, libéral quand il faut être vilain ; bon emprunteur, mauvais payeur ; honteux d’être sage, glorieux d’être fou ; un petit brin moqueur des bonnes gens ; un petit brin hâbleur ; avec tout plein de maîtresses qu’il ne connaît pas ; voilà mon homme.

De mĂŞme, Iphicrate finit par accepter le portrait :
Trivelin — Vous n’avez plus maintenant qu’à certifier pour véritable ce qu’il vient de dire. [...] Croyez-moi, il y va du plus grand bien que vous puissiez souhaiter.
Iphicrate — Va donc pour la moitié, pour me tirer d'affaires.
Trivelin — Va du tout.
Iphicrate — Soit.


Scène VI



Trivelin s’éloigne et observe les deux anciens esclaves profiter de leur nouvelle liberté. Cléanthis propose alors un nouveau jeu théâtral à Arlequin :
Cléanthis — Tenez, tenez, promenons-nous plutôt de cette manière-là, et tout en conversant vous ferez adroitement tomber l’entretien sur le penchant que mes yeux vous ont inspiré pour moi. Car encore une fois nous sommes d’honnêtes gens à cette heure, il [...] n’est plus question de familiarité domestique.

Arlequin et Cléanthis se mettent alors à parodier une scène d'amour galant, avec tous les clichés de la préciosité et la frivolité des jeux de langage.

On perçoit à quel point chacun des deux personnages prennent un plaisir à jouer leur rôle, Arlequin, improvise et rit de son propre rôle, il est plus proche des traditions de la commedia dell'arte. Cléanthis élabore ses répliques avec soin, elle prend son rôle très au sérieux : son jeu d'actrice fait plutôt référence à la grande comédie classique héritée de Molière.

C’est une véritable mise en abyme du théâtre, où Marivaux fait ressortir à la fois la maladresse des esclaves et la vanité des maîtres : je vous propose d’étudier cela dans une explication linéaire en vidéo et PDF sur mon site.

Après quoi, Arlequin explique à Cléanthis une idée qui est une nouvelle expérience, à la fois sociale et amoureuse, typique chez Marivaux :
Arlequin — Voilà ce que c’est, tombez amoureuse d’Iphicrate, et moi de votre suivante. Nous sommes assez forts pour soutenir cela.
Cléanthis — Cette imagination-là me rit assez. Ils ne sauraient mieux faire que de nous aimer, dans le fond.


Scène VII



Cléanthis va donc voir son ancienne maîtresse Euphrosine pour lui montrer toutes les qualités morales d'Arlequin et lui conseiller de l'épouser.
Cléanthis — Ce n’est point une tête légère, un petit badin, un petit perfide, un joli volage, [...] ce n’est qu’un homme franc, qu’un homme simple dans ses manières, [...] qui vous dira qu’il vous aime, seulement parce que cela sera vrai ; [...] vous avez l’esprit raisonnable ; je vous destine à lui, [...] et vous aurez la bonté d’estimer son amour.

Scène VIII



Arlequin arrive alors, et déclare son amour à Euphrosine :
Arlequin — Reine, je suis bien tendre, mais vous ne voyez rien. Si vous aviez la charité d’être tendre aussi, oh ! je deviendrais fou tout à fait.
Euphrosine — Tu ne l’es déjà que trop.
Arlequin — Je ne le serai jamais tant que vous en êtes digne.
Euphrosine — Je ne suis digne que de pitié, mon enfant.
Arlequin — Vous êtes digne de toutes les dignités imaginables ; un empereur ne vous vaut pas, ni moi non plus ; mais me voilà, moi, et un empereur n’y est pas ; et un rien qu’on voit / vaut mieux que quelque chose qu’on ne voit pas. Qu’en dites-vous ?


Marivaux fait alors dire à Euphrosine une tirade particulièrement émouvante. Elle est une femme, et une femme déchue de son rang : il ne doit pas abuser de sa position de force. On touche presque au registre tragique ici, et on peut penser Andromaque, qui se trouve elle aussi soumise aux désirs du terrible Pyrrhus.
Euphrosine — Arlequin, il me semble que tu n’as point le cœur mauvais. [...] Ne persécute point une infortunée, parce que tu peux la persécuter impunément. Vois l'extrémité où je suis réduite [...] Je suis sans asile et sans défense, je n'ai que mon désespoir pour tout secours [...] Tu es devenu libre et heureux, cela doit-il te rendre méchant ?
Arlequin, abattu et les bras abaissés, et comme immobile. — J’ai perdu la parole.


Ce silence d'Arlequin qui a perdu la parole marque un moment de basculement dans l'aventure du langage vers l'empathie et la sincérité.

Scène IX



Arlequin, encore sous le coup de l'émotion, vient retrouver Iphicrate pour lui conseiller de tomber amoureux de Cléanthis, mais ce projet ne lui tient plus trop à cœur, et il trouve son ancien maître très en colère :
Iphicrate — On m’avait promis que mon esclavage finirait bientôt, mais on me trompe, et c’en est fait, je succombe ; je me meurs, Arlequin, et tu perdras bientôt ce malheureux maître qui ne te croyait pas capable des indignités qu’il a souffertes de toi.

Iphicrate rappelle à Arlequin ses devoirs envers lui, leur enfance dans la même maison, leur amitié qui l'a fait choisir comme compagnon de voyage. Tout cela émeut Arlequin.
Arlequin — Tu veux que je partage ton affliction, et jamais tu n’as partagé la mienne. Eh bien va, je dois avoir le cœur meilleur que toi ; car il y a plus longtemps que je souffre, et que je sais ce que c’est que de la peine. [...]
Iphicrate, s’approchant d’Arlequin. — Mon cher Arlequin, fasse le ciel [...] que j’aie la joie de te montrer un jour les sentiments que tu me donnes pour toi ! Va, mon cher enfant, oublie que tu fus mon esclave, et je me ressouviendrai toujours que je ne méritais pas d’être ton maître.


Scène X



Cléanthis arrive alors et s’étonne de trouver Arlequin et Iphicrate en pleine réconciliation.
Cléanthis — Mais enfin, notre projet ?
Arlequin — Mais enfin, je veux être un homme de bien ; n’est-ce pas là un beau projet ? Je me repens de mes sottises, lui des siennes ; repentez-vous des vôtres, Madame Euphrosine se repentira aussi [...]
Iphicrate — [...] Quel exemple pour nous, Madame, vous m’en voyez pénétré.
Cléanthis — Ah ! vraiment, nous y voilà, avec vos beaux exemples. [...] Il s’agit de vous pardonner, et pour avoir cette bonté-là, que faut-il être, s’il vous plaît ? Riche ? non ; noble ? non ; grand seigneur ? point du tout. [...] Il faut avoir le cœur bon, de la vertu et de la raison ; voilà ce qu’il faut.


Cette réplique est un moment crucial dans la comédie, c'est le moment où le ressentiment va être exprimé pour être mieux évacué. On est typiquement dans un procédé de purgation des passions comme le recommande Aristote dans sa Poétique. La colère va faire place à la sincérité.

Cette réplique indignée de Cléanthis annonce déjà la morale de la pièce : je vous propose sur mon site une explication linéaire pour mieux comprendre comment cela prépare un dénouement qui donne tout son sens à la pièce.

Arlequin est le personnage qui va véritablement amener au dénouement.
Arlequin — Allons, ma mie, soyons bonnes gens sans le reprocher, faisons du bien sans dire d’injures. [...] Approchez, Madame Euphrosine ; elle vous pardonne ; voici qu’elle pleure ; la rancune s’en va [...]
Cléanthis — Je veux bien oublier tout ; faites comme vous voudrez. Si vous m’avez fait souffrir, tant pis pour vous ; je ne veux pas avoir à me reprocher la même chose, je vous rends la liberté. [...]
Euphrosine — La reconnaissance me laisse à peine la force de te répondre. Ne parle plus de ton esclavage, et ne songe plus désormais qu’à partager avec moi tous les biens que les dieux m’ont donné, si nous retournons à Athènes.


Scène XI



Le mot de la fin revient Ă  Trivelin, qui fait presque une morale, comme dans une fable :
Trivelin — C’est là ce que j’attendais. Si cela n’était pas arrivé, nous aurions puni vos vengeances, comme nous avons puni leurs duretés. [] Je n’ai rien à ajouter aux leçons que vous donne cette aventure. Vous avez été leurs maîtres, et vous en avez mal agi ; ils sont devenus les vôtres, et ils vous pardonnent ; faites vos réflexions là-dessus. La différence des conditions n’est qu’une épreuve que les dieux font sur nous : je ne vous en dis pas davantage. Vous partirez dans deux jours, et vous reverrez Athènes. Que la joie à présent, et que les plaisirs succèdent aux chagrins que vous avez sentis, et célèbrent le jour de votre vie le plus profitable.

Dans les traditions de la comédie, la pièce doit se terminer comme elle a commencé, selon un schéma circulaire. Et en effet, l’inversion des rôles prend fin avec la fin de la pièce. Pourtant, beaucoup de choses ont changé.

Arlequin, indifférent au début de la pièce, est devenu sensible, il a gagné en maturité. Cléanthis a réussi à surmonter son ressentiment pour pardonner sa maîtresse. Iphicrate fait une véritable déclaration d’amitié à Arlequin, et Euphrosine considère finalement Cléanthis comme une égale.

D’une manière générale, le langage manipulateur a fait place au langage de la sincérité et de la confiance.

Marivaux ne tient pas un discours révolutionnaire, il ne remet pas en cause l'ordre établi de la société. Par contre, il prend le rôle d’un moraliste : il demande aux maîtres d’avoir un peu plus d’humanité et de ne pas abuser de leur pouvoir.


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