Couverture pour Andromaque

Racine, Andromaque
Résumé-analyse
(Texte de la vidéo)



L'histoire d'Andromaque prend sa source dans la guerre de Troie. Elle est racontée dans l'Iliade par Homère. Ilion est un autre nom pour désigner Troie.

Tout commence avec Pâris, le prince de Troie, fils du roi Priam. Un jour, trois déesses viennent à lui : Héra, Athéna, et Aphrodite. Elles se disputent à propos d'une pomme qui doit revenir à la plus belle d'entre elles.

En toute naïveté, Pâris accorde ce prix à Aphrodite. Pour le récompenser, elle lui promet l'amour de la plus belle femme du monde.

Or la plus belle femme du monde est déjà mariée à un roi grec : Ménélas, avec qui elle a une petite fille qui s'appelle Hermione.

Mais le sort d'Aphrodite est très puissant, Hélène tombe amoureuse de Pâris dès qu'elle le voit. Il l'enlève et l'emmène avec lui à Troie.

Ménélas furieux demande aux autres rois grecs de l'aider à récupérer sa femme. Il fait venir notamment Agamemnon (le père d'Oreste) et Achille (le père de Pyrrhus). D'autres guerriers célèbres viennent aussi, comme Ulysse ou Ajax.

Le siège de Troie dure 10 ans. L'Iliade d'Homère en raconte les péripéties. Le tournant de la guerre est marqué par la mort du plus grand guerrier troyen, Hector.

C'est Achille qui parvient à le tuer. Sans pitié, il traîne le cadavre d'Hector derrière son char en faisant 3 fois le tour de la ville.
La mort d'Hector laisse inconsolables sa veuve Andromaque et son fils, Astyanax.

Très peu de temps plus tard, Achille est lui-même tué par Pâris d'une flèche au talon : le seul endroit de son corps qui était vulnérable.

Vous connaissez la fin de la guerre de Troie. Les Grecs font semblant de lever le camp, et laissent devant la ville un immense cheval de bois. Les Troyens croient que c'est un présent des dieux et font rentrer le cheval, qui était rempli de guerriers grecs.

Pyrrhus, le fils d'Achille, participe au sac de Troie. C'est lui qui tue le roi Priam (le père de Pâris).
La ville de Troie est mise Ă  feu et Ă  sang. Il n'en reste que des ruines.

Aujourd'hui même, des archéologues recherchent en Turquie les restes de la ville de Troie. Serait-ce la colline d'Hissarlik, entre les Dardanelles et la mer Égée ?

Quoi qu'il en soit, Andromaque et Astyanax sont faits prisonniers par Pyrrhus qui les emmène dans son royaume d'Épire. C'est maintenant que commence notre tragédie.

ACTE I



Après un long voyage, Oreste arrive en Épire. C'est là que règne Pyrrhus, devenu roi à la mort de son père. Dans la première scène, Oreste retrouve son ami Pylade. Par confidence, on apprend qu'Oreste est là pour deux raisons.

D'abord, il est chargé par les grecs de récupérer Astyanax pour le faire exécuter. En effet, les grecs craignent que l'enfant ne soit capable de fonder une nouvelle Ilion.

Mais en fait Oreste ne prend pas cette mission au sérieux : lui, il est surtout là pour retrouver la princesse Hermione, dont il est fou amoureux. Cependant, Hermione est promise depuis l'enfance à Pyrrhus, dont elle est amoureuse.

Mais ce n'est pas tout, Pyrrhus est lui-même tombé amoureux de sa captive Andromaque. Vous commencez à sentir venir les problèmes ?

Donc, sans grande conviction, Oreste demande Ă  Pyrrhus de livrer Astyanax.

ORESTE
Enfin de tous les Grecs satisfaites l’envie,
Assurez leur vengeance, assurez votre vie ;
Perdez un ennemi d’autant plus dangereux
Qu’il s’essaiera sur vous à combattre contre eux.


En fait, Oreste n'a qu'une idée : enlever Hermione.

Comme prévu, Pyrrhus refuse de livrer Astyanax :

PYRRHUS
Ah ! si du fils d’Hector la perte était jurée,
Pourquoi d’un an entier l’avons-nous différée ?
Non, Seigneur : que les Grecs cherchent quelque autre proie ;
Qu’ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie :
De mes inimitiés le cours est achevé ;
L’Épire sauvera ce que Troie a sauvé.


Mais derrière la pitié que Pyrrhus montre pour Astyanax, on devine qu'il est en fait complètement soumis à son amour pour Andromaque.

Il est tellement indifférent à la pauvre Hermione qu'il souhaite secrètement qu'elle soit enlevée par Oreste.

PYRRHUS
Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui.
Qu’elle m’épargnerait de contrainte et d’ennui !


Bref, malgré leur confrontation diplomatique, on a deux personnages dont les volontés secrètes vont tout à fait dans le même sens.

La scène 4 de l'acte I est célèbre : Pyrrhus est tout fier d'annoncer à Andromaque qu'il a sauvé son fils Astyanax. Il se dit que c'est le moment ou jamais de lui fait une déclaration d'amour :

PYRRHUS
Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.
Tous les Grecs m’ont déjà menacé de leurs armes,
Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux,
Demander votre fils avec mille vaisseaux,
Je ne balance point, je vole Ă  son secours.
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours.
Mais parmi ces périls où je cours pour vous plaire,
Me refuserez-vous un regard moins sévère ?
Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore
Que vous accepterez un cœur qui vous adore ?


Mais Andromaque est d'une mélancolie intraitable. Elle repousse Pyrrhus gentiment mais avec conviction. Tout ce qu'elle veut, c'est partir en exil :

ANDROMAQUE
À de moindres faveurs des malheureux prétendent,
Seigneur : c’est un exil que mes pleurs vous demandent.
Souffrez que, loin des Grecs, et mĂŞme loin de vous,
J’aille cacher mon fils, et pleurer mon époux.
Votre amour contre nous allume trop de haine.
Retournez, retournez à la fille d’Hélène.


Le refus d'Andromaque, c'est un affront pour Pyrrhus, qui a tendance à s'emporter facilement. Alors il lui fait un horrible chantage : si elle refuse de l'épouser, il livrera Astyanax aux mains des grecs pour qu'il soit exécuté :

PYRRHUS
Je n’épargnerai rien dans ma juste colère :
Le fils me répondra des mépris de la mère ;
La Grèce le demande, et je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire Ă  sauver des ingrats.
[...]
Allez, Madame, allez voir votre fils.
Pour savoir nos destins j’irai vous retrouver.
Madame, en l’embrassant, songez à le sauver.


Histoire de mettre toutes les chances de son côté, il joue la patience et il lui laisse un délai pour réfléchir. C'est dans cette intervalle de temps où Andromaque peut décider du destin des autres personnages que s'inscrit notre pièce.

Le critique Roland Barthes écrit en 1963 une analyse du théâtre de Racine, où il met à jour des schémas récurrents :
A a tout pouvoir sur B or A aime B qui ne l’aime pas. Le théâtre de Racine n’est donc pas un théâtre d’amour : son sujet est l’usage d’une force au sein d’une situation généralement amoureuse. Son théâtre est un théâtre de la violence.

Cela correspond bien à cette scène où Pyrrhus a tout pouvoir sur Andromaque, mais il l'aime et elle ne l'aime pas. Pour bien comprendre toute la tension de cette scène, je réalise un commentaire linéaire en vidéo et PDF sur mon site www.mediaclasse.fr

ACTE II



Hermione parle avec sa confidente Cléone. Amoureuse de Pyrrhus, elle est furieuse qu'il préfère sa troyenne captive :

HERMIONE
Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le point haïr !
Dans ses retardements si Pyrrhus persévère,
À la mort du Troyen s’il ne veut consentir,
Mon père avec les Grecs m’ordonne de partir.


De dépit, elle envisage de partir avec Oreste.

Oreste vient voir Hermione. Il lui annonce que Pyrrhus a refusé de livrer Astyanax. Sous-entendu, parce qu'il aime Andromaque.

ORESTE
Les refus de Pyrrhus m’ont assez dégagé,
Madame : il me renvoie ; et quelque autre puissance
Lui fait du fils d’Hector embrasser la défense.

HERMIONE
L’infidèle !

ORESTE
Ainsi donc, tout prĂŞt Ă  le quitter,
Sur mon propre destin je viens vous consulter.


Ainsi, Oreste presse Hermione de partir avec lui.

Mais Hermione ne peut pas renoncer si facilement Ă  son amour pour Pyrrhus. Elle charge Oreste de lui annoncer que s'il refuse de livrer Astyanax, c'est elle qui s'en ira, avec Oreste.

HERMIONE
De la part de mon père allez lui faire entendre
Que l’ennemi des Grecs ne peut être son gendre.
Du Troyen ou de moi faites-le décider :
Qu’il songe qui des deux il veut rendre ou garder ;
Enfin qu’il me renvoie, ou bien qu’il vous le livre.
Adieu. S’il y consent, je suis prête à vous suivre.


Resté seul, Oreste pense que la partie est gagnée.

ORESTE
Je ne crains pas enfin que Pyrrhus la retienne :
Il n’a devant les yeux que sa chère Troyenne ;
[...]
Nous n’avons qu’à parler : c’en est fait. Quelle joie
D’enlever à l’Épire une si belle proie !


Mais, coup de théâtre : Pyrrhus explique à Oreste qu'il a changé d'avis !

PYRRHUS
Je vous cherchais, Seigneur. Un peu de violence
M’a fait de vos raisons combattre la puissance,
Je l’avoue ; et depuis que je vous ai quitté,
J’en ai senti la force et connu l’équité.
Je ne condamne plus un courroux légitime,
Et l’on vous va, Seigneur, livrer votre victime.

ORESTE
Seigneur, par ce conseil prudent et rigoureux,
C’est acheter la paix du sang d’un malheureux.

PYRRHUS
Oui ; mais je veux, Seigneur, l’assurer davantage :
D’une éternelle paix Hermione est le gage ;
Je l’épouse.
[...]
Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain
J’attends avec la paix son cœur de votre main.


ACTE III



Dans sa déception, Oreste abandonne toute précaution, il veut tout de même enlever Hermione. Pylade accepte de l'aider, mais il lui conseille de bien cacher son plan d'enlèvement.

ORESTE
Pylade, tes conseils ne sont plus de saison,
Non ; je suis las d’écouter la raison.
C’est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice :
Il faut que je l’enlève, ou bien que je périsse.
Le dessein en est pris, je le veux achever.
Oui, je le veux.

PYLADE
Eh bien ! il la faut enlever,
J’y consens. Mais songez cependant où vous êtes.
Que croira-t-on de vous, Ă  voir ce que vous faites ?
Dissimulez : calmez ce transport inquiet ;
Commandez Ă  vos yeux de garder le secret.


Suivant les conseils de Pylade, Oreste confirme à Hermione qu'elle épousera Pyrrhus finalement, il fait semblant d'accepter la situation, et même d'y avoir contribué :

ORESTE
Eh bien ! mes soins vous ont rendu votre conquĂŞte.
J’ai vu Pyrrhus, Madame, et votre hymen s’apprête.

HERMIONE
On le dit ; et de plus on vient de m’assurer
Que vous ne me cherchiez que pour m’y préparer.
Qui l’eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle ?
Que sa flamme attendrait si tard pour Ă©clater ?
Qu’il reviendrait à moi, quand je l’allais quitter ?


Ayant appris que son fils allait être condamné, Andromaque vient demander à Hermione de faire fléchir Pyrrhus et de sauver Astyanax. Hermione répond sèchement qu'elle ne peut rien faire.

ANDROMAQUE
OĂą fuyez-vous, Madame ?
N’est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux ?
Que craint-on d’un enfant qui survit à sa perte ?
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte ;
Sur les soins de sa mère on peut s’en assurer,
Et mon fils avec moi n’apprendra qu’à pleurer.

HERMIONE
S’il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme ;
Faites-le prononcer : j’y souscrirai. Madame.


Andromaque prĂŞte Ă  se sacrifier, va demander elle-mĂŞme Ă  Pyrrhus de gracier son fils :

ANDROMAQUE
Ah ! Seigneur, arrêtez ! Que prétendez-vous faire ?
Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère !
Vos serments m’ont tantôt juré tant d’amitié !
Dieux ! ne pourrai-je au moins toucher votre pitié ?
Sans espoir de pardon m’avez-vous condamnée ?

PYRRHUS
Pourquoi me forcez-vous vous-mĂŞme Ă  vous trahir ?
Au nom de votre fils, cessons de nous haĂŻr.
À le sauver enfin c’est moi qui vous convie.
Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ?
Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ?
Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.
Songez-y : je vous laisse, et je viendrai vous prendre
Pour vous mener au temple où ce fils doit m’attendre.
Et lĂ  vous me verrez, soumis ou furieux,
Vous couronner, Madame, ou le perdre Ă  vos yeux.


Pyrrhus met Ă  nouveau dans les mains d'Andromaque son destin et celui des autres personnages.

Dans sa préface à Andromaque, Racine explique qu'il a voulu adoucir la férocité de Pyrrhus :
« Comme le demande Aristote, un héros de tragédie ne doit être ni bon ni méchant pour provoquer la terreur et la pitié. »
Dans son chantage, Pyrrhus est Ă  la fois odieux avec Andromaque, et victime de son amour pour elle.

Andromaque se demande donc si elle doit épouser Pyrrhus pour sauver Astyanax… Céphise lui conseille vivement d'accepter : Pyrrhus n'est pas un si mauvais parti après tout.

Mais Andromaque ne peut s'y résoudre aussi facilement. Dans une longue description en forme d'hypotypose, elle rappelle le pillage de la ville de Troie.

ANDROMAQUE
Songe, songe, CĂ©phise, Ă  cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit Ă©ternelle ;
Figure-toi Pyrrhus, les yeux Ă©tincelants,
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,
Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
Et de sang tout couvert Ă©chauffant le carnage ;
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants ;
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque Ă©perdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
VoilĂ  par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner.


Face à Corneille, qui valorise l'héroïsme et les exploits guerriers, Racine donne ici la parole aux victimes. Malgré l'aspect épique de l'hypotypose, Pyrrhus parmi les ruines de Troie est loin de ressembler à Rodrigue, Le Cid, le Héros de la reconquista.

Cependant, un argument semble la faire fléchir : elle se souvient que la dernière volonté d'Hector était de prendre soin de leur fils :

ANDROMAQUE
Hélas ! je m’en souviens, le jour que son courage
Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas,
Il demanda son fils, et le prit dans ses bras :
« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes,
J’ignore quel succès le sort garde à mes armes ;
Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :
S’il me perd, je prétends qu’il me retrouve en toi.
Si d’un heureux hymen la mémoire t’est chère,
Montre au fils à quel point tu chérissais le père ».
Et je puis voir répandre un sang si précieux ?
Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ?
[...]
Mais cependant, mon fils, tu meurs si je n’arrête
Le fer que le cruel tient levé sur ta tête.
Je l’en puis détourner, et je t’y vais offrir ?...
Non, tu ne mourras point, je ne le puis souffrir.


Comment ce dialogue met-il en scène l'évolution d'Andromaque, lui permettant de prendre la seule décision possible pour sauver à la fois son fils et son honneur ?

c’est ce que je vous propose de voir dans mon analyse linéaire en vidéo et PDF sur mon site www.mediaclasse.fr

Acte IV



Nouveau retournement de situation : Désirant avant tout sauver son fils, Andromaque accepte d'épouser Pyrrhus. Mais bon, ne croyez pas non plus que Pyrrhus a gagné la partie : Andromaque explique à Céphise qu'elle compte se suicider ensuite pour ne pas être infidèle à son défunt mari :

ANDROMAQUE
Ô ma chère Céphise,
Ce n’est point avec toi que mon cœur se déguise.
Je vais donc, puisqu’il faut que je me sacrifie,
Assurer Ă  Pyrrhus le reste de ma vie ;
[...]
Je vais, en recevant sa foi sur les autels,
L’engager à mon fils par des nœuds immortels.
Mais aussitĂ´t ma main, Ă  moi seule funeste,
D’une infidèle vie abrégera le reste,
[...]
Je confie à tes soins mon unique trésor.
Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d’Hector.
Parle-lui tous les jours des vertus de son père ;
Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.


Apprenant que Pyrrhus accepte le mariage avec Andromaque, Hermione est furieuse. Elle se tourne alors vers Oreste et lui demande d'aller assassiner le traître. Oreste est d'abord déconcerté mais il se laisse convaincre :

ORESTE
À peine suis-je encore arrivé dans l’Épire,
Vous voulez par mes mains renverser un empire ;
Vous voulez qu’un roi meure, et pour son châtiment
Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment !
Cette nuit je vous sers, cette nuit je l’attaque.

HERMIONE
Mais cependant, ce jour, il Ă©pouse Andromaque !
Enfin qu’attendez-vous ? Il vous offre sa tête :
Sans gardes, sans défense, il marche à cette fête ;
Soulevez vos amis, tous les miens sont Ă  vous :
Il me trahit, vous trompe, et nous méprise tous.
Conduisez ou suivez une fureur si belle ;
Revenez tout couvert du sang de l’infidèle ;
Allez : en cet état soyez sûr de mon cœur.


Un peu tard, mais plein de bonne volonté, Pyrrhus décide d'annoncer lui-même à Hermione qu'il rompt tous ses engagements envers elle :

PYRRHUS
Je ne viens point, armé d’un indigne artifice,
D’un voile d’équité couvrir mon injustice :
J’épouse une Troyenne. Oui, Madame, et j’avoue
Que je vous ai promis la foi que je lui voue.

HERMIONE
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux,
Va lui jurer la foi que tu m’avais jurée,
Va profaner des dieux la majesté sacrée.
Ces dieux, ces justes dieux n’auront pas oublié
Que les mêmes serments avec moi t’ont lié.
Porte au pied des autels ce cœur qui m’abandonne,
Va, cours ; mais crains encor d’y trouver Hermione.


Les menaces d'Hermione sont à peine voilées, mais Pyrrhus est trop préoccupé à l'idée d'épouser Andromaque pour s'en rendre compte.

Pour une analyse détaillée de cette scène, je vous invite à regarder mon commentaire en vidéo.

ACTE V



Hermione restée seule ressasse les paroles de Pyrrhus :

HERMIONE
Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ?
Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ?
Errante et sans dessein je cours dans ce palais.
Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?
Le cruel ! de quel oeil il m’a congédiée !
Sans pitié, sans douleur au moins étudiée !
L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment ?
En ai-je pu tirer un seul gémissement ?
Muet Ă  mes soupirs, tranquille Ă  mes alarmes,
Semblait-il seulement qu’il eût part à mes larmes ?
Qu’il meure, puisque enfin il a dû le prévoir,
Et puisqu’il m’a forcée enfin à le vouloir.


Oreste arrive alors :

ORESTE
Madame, c’en est fait, et vous êtes servie :
Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie.
Il expire ; et nos Grecs irrités
Ont lavé dans son sang ses infidélités.


Il raconte alors le mariage de Pyrrhus avec Andromaque :

ORESTE
Pyrrhus m’a reconnu, mais sans changer de face :
Il semblait que ma vue excitât son audace,
[...]
avec transport prenant son diadème,
Sur le front d’Andromaque il l’a posé lui-même :
« Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi !
Andromaque, régnez sur l’Épire et sur moi,
Je voue à votre fils une amitié de père ;
J’en atteste les dieux, je le jure à sa mère :
Pour tous mes ennemis je déclare les siens,
Et je le reconnais pour le roi des Troyens. »
Ă€ ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage,
Nos Grecs n’ont répondu que par un cri de rage ;
L’infidèle s’est vu partout envelopper,
Et je n’ai pu trouver de place pour frapper.
Chacun se disputait la gloire de l’abattre,
Je l’ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre,
Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober,
Mais enfin à l’autel il est allé tomber.


Mais à la grande surprise d'Oreste, au lieu de le féliciter, Hermione l'accuse d'avoir tué celui qu'elle aime. Elle désavoue sa vengeance et n'assume plus le meurtre de Pyrrhus :

HERMIONE
Tais-toi, perfide,
Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide.
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
Va ; je la désavoue, et tu me fais horreur.

ORESTE
Ô dieux ! Quoi ? ne m’avez-vous pas
Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?

HERMIONE
Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ?
Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ?
Et ne voyais-tu pas, dans mes emportements,
Que mon cœur démentait ma bouche à tous moments ?
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Épire :
Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,
À toute ma famille ; et c’est assez pour moi,
Traître, qu’elle ait produit un monstre comme toi.


Resté seul, Oreste est indigné par l'ingratitude d'Hermione :

ORESTE
Que vois-je ? Est-ce Hermione ? Et que viens-je d’entendre ?
Pour qui coule le sang que je viens de répandre ?
Je suis, si je l’en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt ? et suis-je Oreste enfin ?
Quoi ? j’étouffe en mon cœur la raison qui m’éclaire,
J’assassine à regret un roi que je révère,
Je viole en un jour les droits des souverains,
Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains,
Ceux même des autels où ma fureur l’assiège :
Je deviens parricide, assassin, sacrilège.
Pour qui ? pour une ingrate Ă  qui je le promets,
Qui même, s’il ne meurt, ne me verra jamais,
Dont j’épouse la rage ! Et quand je l’ai servie,
Elle me redemande et son sang et sa vie !
Elle l’aime ! et je suis un monstre furieux !
Je la vois pour jamais s’éloigner de mes yeux !
Et l’ingrate en fuyant me laisse pour salaire
Tous les noms odieux que j’ai pris pour lui plaire !


Pylade arrive alors et annonce qu'Hermione s'est suicidée. Oreste, au comble du désespoir, sombre dans la folie. Dans son délire, il voit Hermione accompagnée des Furies, les divinités du remords :

ORESTE
Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi !
Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?
Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos tĂŞtes ?
À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ?
Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ?
Venez, à vos fureurs Oreste s’abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione :
L’ingrate mieux que vous saura me déchirer ;
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.


La folie d'Oreste est en quelque sorte la conséquence fatale de son aveuglement, c’est ce que je vous propose d’étudier dans une explication linéaire en vidéo et PDF sur mon site.

Ce qui nous frappe déjà , c’est que cette fin de pièce est particulièrement violente. Les trois personnages soumis à leur passion sont détruits : Pyrrhus assassiné, Hermione suicidée, Oreste a sombré dans la folie.

Le mélange de terreur et de pitié qui saisit le spectateur permet selon Aristote la purgation des passions, ce qu'il appelle la catharsis.

Le personnage d'Andromaque, fidèle jusque dans la mort, est une grande figure du deuil impossible à faire. Je vois ce personnage comme une métaphore de l'Histoire avec un grand H.

Elle choisit le destin des autres personnages, car elle est dépositaire d'événements qui sont passés, mais qu'on ne peut ignorer, parce que leurs effets sont bien présents.

L'obstination d'Andromaque, c'est la métaphore du devoir de mémoire, c'est la voix des victimes qui se fait entendre à travers les bouleversements de l'Histoire.

Je trouve fascinant que cette figure féminine ait traversé les siècles et continue de rencontrer notre compassion et de nous émouvoir.

Au XVIIe siècle, Henriette d'Angleterre, la belle-sœur de Louis XIV, accepta d'être la dédicataire de cette tragédie. Comme de nombreux spectateurs, elle versa des larmes lors de la première représentation.

Je crois qu'aujourd'hui notre émotion est intacte quand nous assistons à un drame aussi atemporel et aussi profondément humain.


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