Couverture pour XVIIIe siècle

Voltaire, Candide
Chapitre XXX
(explication linéaire)



Je vous propose de découvrir avec moi le dernier chapitre de Candide de Voltaire. Nous allons en faire une explication linéaire qui nous aidera à révéler les enjeux les plus profonds de ce conte philosophique...

Introduction



Voltaire termine sa vie à Ferney, un village qui se trouve sur la frontière de la France avec la Suisse. Il fait construire des maisons, une église, une école, un hôpital, et finit par transformer ce hameau en véritable petite ville.
Voltaire semble ainsi appliquer la morale contenue à la fin de Candide : s'éloigner de la société mondaine pour travailler, cultiver son jardin, et reconstruire une petite société rurale.
Au cours de ses aventures, Candide rencontre toute une galerie de personnages : le nègre de Surinam, Pococurante, 6 rois, et finalement, un vieux Turc qui cultive sa terre avec ses enfants.
Chaque rencontre est une étape dans le parcours initiatique de Candide, qui évolue et construit petit à petit sa propre philosophie de vie.
Voltaire nous montre en même temps le personnage de Pangloss, qui reste figé dans les préceptes de la philosophie optimiste. Incapable de remettre en cause le monde qui l'entoure, il n'évolue pas.

Ma problématique


Comment la fin de ce conte philosophique révèle-t-elle, à travers l'évolution profonde de Candide, des valeurs éloignées des utopies et de la philosophie optimiste ?

Axes de lecture utiles pour un commentaire composé


> Un conte philosophique qui se termine sur l'aboutissement d'un parcours initiatique.
> Des réflexions philosophiques qui prennent en compte les différentes rencontres précédentes.
> Un personnage qui a évolué et qui est devenu autonome.
> Une petite société où le travail révèle le meilleur de chacun.
> En répétant les mêmes discours figés, Pangloss incarne l'incapacité de la philosophie optimiste à évoluer.

Premier mouvement : l’expérience de la sagesse



Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ?
— Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice, et le besoin. »
Au vu du raffinement décrit dans le passage qui précède, Candide croit que le Turc est riche « vous devez avoir une vaste et magnifique terre » mais le Turc le détrompe, avec cette tournure restrictive : « je n'ai que 20 arpents ».


À travers l'observation de Candide, Voltaire apporte une nouvelle idée ici : c'est le travail qui valorise le peu qu'on possède.

C'est d'ailleurs le mot « travail » qui est le sujet du verbe « éloigner ». Les trois vices dont il parle font justement écho aux trois défauts rencontrés par Candide dans son parcours. L'ennui, c'est l'erreur de Pococurante qui n'arrive pas à profiter de la vie. Le vice fait référence par exemple à Parolignac et l'abbé périgourdin. Le besoin représente notamment le nègre de Surinam.

Mais le travail n'est pas présenté comme un idéal, seulement, il « éloigne trois grands maux ». Cela ne signifie pas qu'il éloigne tous les maux. On est donc dans une solution modérée, loin d'une utopie comme le monde d'Eldorado par exemple.

Autre élément important de ce passage : le Turc dit qu'il vit avec ses enfants. Dans sa définition du bonheur, il y a la vie en société. Vous allez voir que tous ces éléments vont faire partie des réflexions de Candide dans la suite du passage.

Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s'être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l'honneur de souper.

Après cette discussion, Candide fait de profondes réflexions sur le discours du Turc. C'est ce qui se passe depuis le début du conte : dès que Candide rencontre un nouveau personnage, il remet en cause ses propres idées philosophiques et les améliore.

Voltaire incite son lecteur à faire de même. Candide apprend des autres et nous, lecteurs, nous apprenons de lui. Ainsi, le genre du conte philosophique est comme une expérience qui nous est proposée. Nous vivons par procuration le parcours initiatique du personnage.

En cette fin de conte philosophique, Candide retourne dans la métairie. C'est donc en même temps la fin d'un parcours. Le verbe retourner n'est pas choisi par hasard : Candide cesse d'être chassé et de fuir d'un endroit à l'autre.

En plus, le point d'équilibre est trouvé à la campagne : une métairie, c'est une exploitation agricole. On est loin du château de Thunder-ten-Tronck du début.

En s'adressant à ses deux amis philosophes, Candide donne tout de suite « ce bon vieillard » en exemple, opposé aux « six rois ». L'article démonstratif « ce bon vieillard » le met en valeur, le rend unique ; tandis que le nombre des « six rois » les rend au contraire anodins et quelconques.

C'est un sort « préférable » : on reste dans un exemple modéré, qui s'oppose à la notion d'utopie.

Deuxième mouvement : évolution de Candide



— Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin Églon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; [...] Vous savez comment périrent Crésus, [...] Pyrrhus, Persée, [...] César, Pompée, Néron, [...] Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l'empereur Henri IV ? Vous savez…

Cette réplique de Pangloss a une double fonction, elle lui fait perdre toute crédibilité, et par effet de miroir, elle renforce le raisonnement de Candide.

En effet, Pangloss ne se base que sur des arguments d'autorité : « selon le rapport de tous les philosophes ». Ce n'est pas une réflexion personnelle. Il ne fait que citer des exemples, avec des précisions inutiles « pendu par les cheveux et percé de trois dards » ces détails ne servent pas son discours. Comme d'habitude, Pangloss se montre pédant : il s'écoute parler et montre sa science mais il ne prouve rien.

Je ne vais pas entrer dans le détail des exemples donnés par Pangloss, mais ce qu'on peut observer, c'est que le rythme s'accélère, avec des propositions de plus en plus courtes, qui se terminent avec une accumulation de noms propres. C'est d'ailleurs une figure de style connue sous un nom anglophone, le name-dropping : c'est à dire en français littéralement un lâcher de noms, une accumulation de noms propres.

— Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin.
— Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l'homme fut mis dans le jardin d'Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu'il travaillât, ce qui prouve que l'homme n'est pas né pour le repos.
— Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c'est le seul moyen de rendre la vie supportable.


Désormais, Candide a beaucoup évolué, il est devenu autonome, c'est à dire qu'il n'a plus besoin de Pangloss pour réfléchir : « Je sais aussi qu'il faut cultiver notre jardin » Il interrompt Pangloss, pour lui dire quelques chose de nouveau « aussi ». En plus, c'est une phrase courte, qui contraste avec la longue tirade de Pangloss.

Candide utilise un présent de vérité générale « il faut » la tournure impersonnelle s'oppose aux arguments d'autorité de Pangloss qui fait sans cesse référence à d'autres auteurs. Là, dans les paroles de Candide, c'est la nécessité qui s'impose. La nécessité a plus de force que l'autorité d'auteurs anciens.

Il est significatif que Pangloss tombe d'accord avec son disciple : Candide a évolué, il est maintenant capable de voir plus loin que son ancien maître. Et d'ailleurs, la réponse de Pangloss montre qu'il n'a pas compris le raisonnement de Candide.

Regardez : « ut operatur eum » se traduit par « pour qu'il y travaillât », Pangloss utilise une citation de la bible comme seul argument. On en revient aux arguments d'autorité : Pangloss s'en réfère toujours à des citations au lieu de réfléchir par lui même. Le connecteur logique de cause « car » rend bien visible cette absence d'esprit critique.

De même, Martin interprète à sa manière le conseil de Candide « travaillons sans raisonner » prouvant qu'il n'a pas compris le message essentiel de Candide : c'est au contraire en raisonnant qu'il est parvenu aux bonnes conclusions.

Troisième mouvement : Presque tous les personnages évoluent



Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ;

Regardez la progression de notre texte : on part du vieux Turc, puis Candide réfléchit seul, et enfin, le dessein est suivi par toute la petite société. Au terme de son évolution, et par sa réflexion, Candide est celui qui parvient à transmettre et à appliquer sa philosophie de vie, et à fédérer les différents personnages autour de lui.
Voltaire insiste sur le fait qu'ils sont tous concernés : Toute la petite société, chacun se mit à exercer, il n'y eut pas jusqu'à frère Giroflée.

D'ailleurs c'est bien une société en petit qu'il recrée, avec des talents qui sont complémentaires : Cunégonde est pâtissière, Paquette brode, Giroflée devient menuisier. Chacun étant différent, ils sont tous utiles. Voltaire intervient lui-même avec des termes élogieux : ce louable dessein, exercer ses talents, un très bon menuisier.

Une idée revient beaucoup dans ce passage, c'est que, par le travail, les défauts deviennent des qualités. D'ailleurs, ce verbe devenir se trouve au début et à la fin de l'énumération. Le travail transforme les gens et révèle le meilleur de chacun.

Ainsi le travail de Cunégonde lui permet de dépasser sa laideur, Giroflée devient honnête. D'une manière générale, la terre, qui est petite, rapporte beaucoup. Cela fait surgir de façon implicite une métaphore où les personnages sont comparés à une terre cultivable. Le point commun, c'est qu'ils sont tous valorisés par leur travail.

D'ailleurs, le mot cultiver apparaît à des moments particulièrement stratégiques du passage : quand Candide discute avec le vieux Turc, quand il transmet ensuite son idée aux deux philosophes, et tout à la fin, dans la dernière phrase du conte philosophique.

Quatrième mouvement : Une conclusion philosophique



et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'Inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. — Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

En fait, Voltaire fait une exception : seul Pangloss ne change pas et ne comprend pas l'intérêt de travailler. Au lieu d'avoir un verbe d'action comme les autres : entrer, exercer, rapporter, devenir, broder, prendre soin, rendre service, etc. lui se contente de « dire » c'est le seul qui n'agit pas.

On peut aussi se poser la question pour Martin, qui ne fait même pas partie de la liste, il ne fait rien et ne dit rien non plus. Finalement les deux philosophes deviennent les personnages les plus inutiles, tandis que Candide, avec sa volonté et son jugement, arrive à mettre en place une petite société.

Le discours de Pangloss n'a absolument pas changé, c'est toujours l'enchaînement des causes et des effets dans le meilleur des mondes. Il répète cela comme une ritournelle. L'aspect mécanique de son raisonnement est visible dans la répétition des tournures de phrase : « si vous n'aviez pas … » etc.

Grâce à cette formule, Pangloss peut utiliser n'importe quel fait comme exemple, de façon interchangeable. On voit bien que c'est un procédé trop facile qui n'apporte aucune espèce d'évolution.

D'ailleurs, le choix des exemples de Pangloss montre bien qu'il n'a rien compris. Il prend l'exemple de l'inquisition : c'est justement l'épisode le plus absurde et le plus inutile. Lui-même été pendu dans le but d'arrêter un tremblement de terre. Pour bien comprendre toute l'absurdité du passage, consultez mon commentaire sur le chapitre 6.

Autre épisode cité par Pangloss : « si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pieds » C'est l'anecdote du nègre de Surinam, que j'ai traité aussi, c'est le chapitre 19. Ce n'est pas le fait d'avoir couru, mais au contraire, de s'être arrêté et d'avoir parlé avec l'esclave, qui a permis à Candide de faire évoluer son raisonnement.

D'ailleurs, certains événements fondateurs dans le raisonnement de Candide ne sont pas présents dans l'énumération faite par Pangloss : la rencontre avec Pococurante, les 6 rois, le Turc… Ce sont ces personnages qui lui ont permis de comprendre la véritable valeur des choses, le fait que le bonheur est plus important que la richesse par exemple.

De même, le bon coup d'épée au baron est un exemple très mal choisi, on voit bien que Pangloss s'attache trop aux actions, et pas assez aux échanges. D'ailleurs, sa conclusion est en complet décalage : quel rapport entre le coup d'épée et le fait de manger des cédrats confits ? Les causes et les conséquences sont manifestement déconnectées.

Seul élément intéressant : les moutons du pays d'Eldorado. On peut lire cette remarque de Pangloss d'un point de vue métaphorique : les moutons symbolisent la naïveté et l'utopie. Ce sont toutes les choses que Candide a dû abandonner. Mais on devine que c'est là un message que Voltaire fait passer à l'insu de Pangloss !

La dernière réplique de Candide en dit long sur son évolution : « Cela est bien dit » il fait ainsi une concession à son maître, il ne voit plus l'intérêt de le contredire, car, nous l'avons vu, Pangloss ne pourra jamais changer. Et c'est peut-être là le message principal de Voltaire : le philosophe optimiste, incapable de remettre en question le monde qui l'entoure, est alors aussi incapable d'évoluer.

Conclusion



À chacune de ses rencontres, Candide a su remettre en cause ses façons de voir. On peut ainsi retrouver dans les réflexions finales de Candide l'aboutissement de tout un parcours initiatique. Il est devenu autonome et n'a plus besoin de se référer à son ancien maître.

En effet, Candide est parvenu à fédérer les différents personnages autour de lui, dans une petite société où chacun a un rôle complémentaire. Ainsi, les différents personnages s'améliorent et révèlent le meilleur d'eux-mêmes à travers leur travail. En affirmant qu'il faut cultiver notre jardin, Candide propose ainsi une philosophie de vie modérée, qui éloigne les principaux maux.

Pangloss est le seul personnage qui reste inactif et figé dans ses habitudes : il continue à tenir les mêmes discours mécaniques, avec les mêmes procédés. Voltaire nous montre de cette manière l'incapacité de la philosophie optimiste à se remettre en question et à évoluer.

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