Explication linéaire
de la premiĂšre partie, chapitre 7
De Bel-Ami de Maupassant
Extrait étudié
Mais il aperçut au bout dâune clairiĂšre une autre voiture arrĂȘtĂ©e et quatre messieurs qui piĂ©tinaient pour sâĂ©chauffer les pieds ; et il fut obligĂ© dâouvrir la bouche, tant sa respiration devenait pĂ©nible.
Les tĂ©moins descendirent dâabord, puis le mĂ©decin et le combattant. Rival avait pris la boĂźte aux pistolets et il sâen alla avec Boisrenard, vers deux des Ă©trangers qui venaient Ă eux. Duroy les vit se saluer avec cĂ©rĂ©monie, puis marcher ensemble dans la clairiĂšre en regardant tantĂŽt par terre et tantĂŽt dans les arbres, comme sâils avaient cherchĂ© quelque chose qui aurait pu tomber ou sâenvoler. Puis ils comptĂšrent des pas et enfoncĂšrent avec grandâpeine deux cannes dans le sol gelĂ©. Ils se rĂ©unirent ensuite en groupe et ils firent les mouvements du jeu de pile ou face, comme des enfants qui sâamusent.
Le docteur Le Brument demandait Ă Duroy :
â Vous vous sentez bien ? Vous nâavez besoin de rien ?
â Non, de rien, merci.
Il lui semblait quâil Ă©tait fou, quâil dormait, quâil rĂȘvait, que quelque chose de surnaturel Ă©tait survenu qui lâenveloppait.
Avait-il peur ? Peut-ĂȘtre ? Mais il ne savait pas. Tout Ă©tait changĂ© autour de lui.
Jacques Rival revint et lui annonça tout bas avec satisfaction :
â Tout est prĂȘt. La chance nous a favorisĂ©s pour les pistolets.
Voilà une chose qui était indifférente à Duroy.
On lui ĂŽta son pardessus. Il se laissa faire. On tĂąta les poches de sa redingote pour sâassurer quâil ne portait point de papiers ni de portefeuille protecteur.
Il rĂ©pĂ©tait en lui-mĂȘme, comme une priĂšre : â Quand on commandera feu, jâĂ©lĂšverai le bras.
Puis on lâamena jusquâĂ une des cannes piquĂ©es en terre et on lui remit son pistolet. Alors il aperçut un homme debout, en face de lui, tout prĂšs, un petit homme ventru, chauve, qui portait des lunettes. CâĂ©tait son adversaire.
Il le vit trĂšs bien, mais il ne pensait Ă rien quâĂ ceci : « Quand on commandera feu, jâĂ©lĂšverai le bras et je tirerai. » Une voix rĂ©sonna dans le grand silence de lâespace, une voix qui semblait venir de trĂšs loin, et elle demanda : â Ătes-vous prĂȘts, messieurs ?
Georges cria : â Oui.
Alors la mĂȘme voix ordonna : â Feu !âŠ
Il nâĂ©couta rien de plus, il ne sâaperçut de rien, il ne se rendit compte de rien, il sentit seulement quâil levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gĂąchette.
Et il nâentendit rien.
Mais il vit aussitĂŽt un peu de fumĂ©e au bout du canon de son pistolet ; et comme lâhomme en face de lui demeurait toujours debout, dans la mĂȘme posture Ă©galement, il aperçut aussi un autre petit nuage blanc qui sâenvolait au-dessus de la tĂȘte de son adversaire.
Ils avaient tirĂ© tous les deux. CâĂ©tait fini.
Ses tĂ©moins et le mĂ©decin le touchaient, le palpaient, dĂ©boutonnaient ses vĂȘtements en demandant avec anxiĂ©tĂ© :
â Vous nâĂȘtes pas blessĂ© ? â Il rĂ©pondit au hasard. â Non, je ne crois pas.
Langremont dâailleurs demeurait aussi intact que son ennemi, et Jacques Rival murmura dâun ton mĂ©content :
â Avec ce sacrĂ© pistolet câest toujours comme ça, on se rate ou on se tue. Quel sale instrument !
Duroy ne bougeait point, paralysĂ© de surprise et de joie : « CâĂ©tait fini ! » Il fallut lui enlever son arme quâil tenait toujours serrĂ©e dans sa main. Il lui semblait maintenant quâil se serait battu contre lâunivers entier. CâĂ©tait fini. Quel bonheur ! il se sentait brave tout Ă coup Ă provoquer nâimporte qui.
Introduction
Vous savez que Maupassant Ă©tait le jeune protĂ©gĂ© de Flaubert. Tout aussi talentueux, mais davantage inclinĂ© aux sorties et aux mondanitĂ©s. Flaubert le rappela mĂȘme Ă lâordre : « il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que cela. [...] Vous ĂȘtes nĂ© pour faire des vers, faites-en ! âTout le reste est vainâ. Dans son Ă©criture, Maupassant est inspirĂ© par le style de son maĂźtre. On retrouve donc dans Bel-Ami une certaine ironie Ă la Flaubert, jouant avec les espoirs et les dĂ©ceptions du lecteur.
Dans notre passage, Georges Duroy est provoquĂ© en duel par un journaliste inconnu. La moment du coup de feu nous est racontĂ© du point de vue de Duroy, tourmentĂ© par la peur. Mais le regard ironique de Maupassant est perceptible. Tout se dĂ©roule selon un protocole vide de sens. Le coup de feu Ă©changĂ© nâa aucune consĂ©quence. Les deux protagonistes sâen sortent sans une Ă©gratignure. Ce duel est une Ă©tape de plus dans lâascension sociale dâun personnage qui pourtant ne se montre pas vraiment courageux dans cette circonstance...
Problématique
Comment Maupassant parvient-il Ă nous faire passer avec ironie lâabsurditĂ© de ce duel, Ă travers le regard dâun personnage sans volontĂ©, dont le regard est embrouillĂ© par la peur ?
Axes pour un commentaire composé
> Lâorganisation du duel se dĂ©roule selon des Ă©tapes bien prĂ©cises, Georges Duroy vit tout cela de façon passive, sans volontĂ©.
> La focalisation interne nous donne Ă voir cette scĂšne du point de vue dâun personnage dont les perceptions sont embrouillĂ©es par la peur.
> La peur est présente dans notre passage à travers certaines marques du registre fantastique.
> Par son style, lâironie du romancier est perceptible, il fait ressortir le comique de cette situation, par toute une sĂ©rie de dĂ©calages.
> Malgré le caractÚre dramatique de la situation, le coup de feu est passé sous silence, et le duel se termine rapidement.
> Le rĂ©alisme de Maupassant fait ressortir toute la banalitĂ© de ce duel, qui nâaura aucune consĂ©quence nĂ©gative, mais contribuera au prestige du personnage principal.
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âšÂ Maupassant, Bel-Ami đŒ Partie 1 chapitre 7 (extrait Ă©tudiĂ© PDF)
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