Couverture pour Le Cid

Corneille, Le Cid
Résumé-analyse
(Texte de la vidéo)



Corneille n’a pas inventĂ© les personnages, qui ont rĂ©ellement existĂ© dans l’Espagne du 11e siĂšcle !

Le Cid Ă©tait un mercenaire chrĂ©tien, hĂ©ros de la Reconquista. RĂ©putĂ© invaincu, il devint rapidement une figure lĂ©gendaire. C’est dans la CathĂ©drale Santa MarĂ­a de Burgos, que vous pourrez voir son tombeau, et celui de son Ă©pouse ChimĂšne.

La piÚce de Corneille est aussitÎt attaquée. Jean Mairet accuse Corneille d'avoir plagié Les Enfances du Cid, une piÚce espagnole de Guillén de Castro.

Avec Georges de Scudéry, un autre dramaturge, ils reprochent à Corneille de ne pas avoir respecté les rÚgles du théùtre classique :
> L’unitĂ© de temps.
> L’unitĂ© de lieu.
> La vraisemblance.
> Les bienséances.

Guez de Balzac qui est un Ă©crivain de l’époque (et qui n’a rien Ă  voir avec le Balzac romancier du XIXe siĂšcle) rĂ©plique Ă  ScudĂ©ry dans une lettre en 1638 :
Il y a des beautĂ©s parfaites qui sont effacĂ©es par d’autres beautĂ©s qui ont plus d’agrĂ©ment et moins de perfection : [...] l’art de plaire ne vaut pas tant que savoir plaire sans art.

Tous ces débats qui suivirent la publication de la piÚce, c'est ce qu'on appellera la querelle du Cid.

L’AcadĂ©mie française, fondĂ©e en 1634 par Richelieu, c'est-Ă -dire tout juste 3 ans auparavant, va arbitrer le dĂ©bat. Elle rejette l'accusation de plagiat, mais elle reconnaĂźt que les 3 unitĂ©s ne sont pas respectĂ©es.

Cependant, les Sentiments de l'Académie française sur la tragi-comédie du Cid se terminent sur cette phrase :
La naĂŻvetĂ© et la vĂ©hĂ©mence de ses passions, la force et la dĂ©licatesse de plusieurs de ses pensĂ©es, et cet agrĂ©ment inexplicable qui se mĂȘle dans tous ses dĂ©fauts lui ont acquis un rang considĂ©rable [...].

Acte I



ScĂšne 1



Nous sommes Ă  SĂ©ville, dans la maison de ChimĂšne, qui Ă©change avec sa confidente Elvire. Elle apprend avec joie que son pĂšre accepte de la marier avec l'homme qu'elle aime, Don Rodrigue.

ELVIRE
Tous mes sens Ă  moi-mĂȘme en sont encor charmĂ©s :
Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez,
Et si je ne m’abuse à lire dans son ñme,
Il vous commandera de répondre à sa flamme.


ScĂšne 2



Nous sommes maintenant chez L'infante, c'est-Ă  dire la princesse d'Espagne, qui avoue Ă  sa confidente LĂ©onor qu'elle est amoureuse de Rodrigue. LĂ©onor s'insurge car c'est un amour interdit par son rang !

LÉONOR
Pardonnez-moi, Madame,
Si je sors du respect pour blĂąmer cette flamme.
Une grande princesse à ce point s’oublier
Que d’admettre en son cƓur un simple cavalier !


C'est pour mieux l'oublier que l'infante hĂąte le mariage de Rodrigue avec ChimĂšne :

L’INFANTE
Quand je vis que mon cƓur ne se pouvait dĂ©fendre,
Moi-mĂȘme je donnai ce que je n’osais prendre.
Je mis, au lieu de moi, ChimĂšne en ses liens,
Et j’allumai leurs feux pour Ă©teindre les miens.


ScĂšne 3



Maintenant, nous sommes sur la place publique, en dehors du Palais, Ă  SĂ©ville. Don GomĂšs, le pĂšre de ChimĂšne, est irritĂ© contre Don DiĂšgue le pĂšre de Rodrigue qui a Ă©tĂ© nommĂ© gouverneur du prince par le Roi lui-mĂȘme.

LE COMTE
Ce que je mĂ©ritais, vous l’avez emportĂ©.

DON DIÈGUE
Qui l’a gagnĂ© sur vous l’avait mieux mĂ©ritĂ©.

LE COMTE
Vous l’avez eu par brigue, Ă©tant vieux courtisan.

DON DIÈGUE
L’éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

LE COMTE
Parlons-en mieux, le roi fait honneur Ă  votre Ăąge.

DON DIÈGUE
Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.

LE COMTE
Et par lĂ  cet honneur n’était dĂ» qu’à mon bras.

DON DIÈGUE
Qui n’a pu l’obtenir ne le mĂ©ritait pas.

LE COMTE
Ne le méritait pas ! Moi ?
Ton impudence,
Téméraire vieillard, aura sa récompense.


Le Comte donne un soufflet à Don DiÚgue, et pour l'humilier complÚtement, il lui prend son épée.

ScĂšne 4



Don DiÚgue maudit sa vieillesse qui l'a laissé dans l'incapacité de se défendre, mais il songe que son fil Rodrigue peut le venger :

DON DIÈGUE
Ô rage ! ĂŽ dĂ©sespoir ! ĂŽ vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vĂ©cu que pour cette infamie ?
[...]
Fer, jadis tant Ă  craindre, et qui, dans cette offense,
M’as servi de parade, et non pas de dĂ©fense,
Va, quitte désormais le dernier des humains,
Passe, pour me venger, en de meilleures mains.


Pour en savoir plus sur ce passage, consultez mon analyse du monologue de Don DiĂšgue, Acte I, scĂšne 4.

ScĂšne 5



Don DiĂšgue va trouver son fils et lui raconte son altercation avec le Comte :

DON DIÈGUE
Va contre un arrogant Ă©prouver ton courage :
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ;
[...]
Ne réplique point, je connais ton amour ;
Mais qui peut vivre infĂąme est indigne du jour.
[...]
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi ;
Montre-toi digne fils d’un pùre tel que moi.
AccablĂ© des malheurs oĂč le destin me range,
Je vais les déplorer : va, cours, vole, et nous venge.


ScĂšne 6



Rodrigue se retrouve seul et fait le point sur la situation : il n'a pas le choix, il doit venger son pĂšre.

RODRIGUE
Je demeure immobile, et mon Ăąme abattue
CĂšde au coup qui me tue.
Si prÚs de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu, l’étrange peine !
En cet affront mon pĂšre est l’offensĂ©,
Et l’offenseur le pùre de Chimùne !
[...]
Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur,
Puisqu’aprùs tout il faut perdre Chimùne.


On parle souvent du dilemme cornĂ©lien pour une situation oĂč l'amour s'oppose au devoir. En rĂ©alitĂ©, Rodrigue n'a pas le choix, car ChimĂšne est dĂ©jĂ  perdue.
Pour en savoir plus, je vous invite Ă  voir mon analyse sur les stances du Cid, Acte I, scĂšne 6.

Acte II



ScĂšne 1



Don Arias demande Ă  Don GomĂšs de reconnaĂźtre le choix du roi, qui veut mettre fin Ă  ce conflit entre deux familles nobles de sa cour :

DON ARIAS
De trop d’emportement votre faute est suivie.
Le roi vous aime encore ; apaisez son courroux.
Il a dit : « Je le veux ; » désobéirez-vous ?


LE COMTE
Monsieur, pour conserver tout ce que j’ai d’estime,
DĂ©sobĂ©ir un peu n’est pas un si grand crime ;
Et quelque grand qu’il soit, mes services prĂ©sents
Pour le faire abolir sont plus que suffisants.


ScĂšne 2



Rodrigue vient provoquer le Comte en duel, bien résolu à venger son pÚre :

DON RODRIGUE
Sais-tu que ce vieillard fut la mĂȘme vertu,
La vaillance et l’honneur de son temps ? le sais-tu ?


LE COMTE
Peut-ĂȘtre.

DON RODRIGUE
Cette ardeur que dans les yeux je porte,
Sais-tu que c’est son sang ? le sais-tu ?


LE COMTE
Que m’importe ?

DON RODRIGUE
À quatre pas d’ici je te le fais savoir.

Ce duel est à la limite des rÚgles de bienséance, mais le combat n'a pas lieu sur scÚne. Pour en savoir plus, je vous invite à voir mon analyse sur la confrontation entre Rodrigue et le Comte, Acte II, scÚne 2.

ScĂšne 3 Ă  5



L'Infante essaye de rassurer ChimĂšne et lui promet de retenir le bras de Rodrigue, le temps que Don GomĂšs retire son offense.

L’INFANTE
Le saint nƓud qui joindra don Rodrigue et Chimùne
Des pĂšres ennemis dissipera la haine ;
Et nous verrons bientĂŽt votre amour le plus fort
Par un heureux hymen Ă©touffer ce discord.


Mais un page arrive alors et leur annonce que Rodrigue est déjà sorti du palais avec le Comte.

ScĂšne 6



Pendant ce temps, le roi discute avec deux nobles, Don Arias et Don Sanche, de l'attitude de Don GomĂšs :

DON ARIAS
Je l’ai de votre part longtemps entretenu ;
J’ai fait mon pouvoir, Sire, et n’ai rien obtenu.


DON SANCHE
Peut-ĂȘtre un peu de temps le rendrait moins rebelle :
On l’a pris tout bouillant encor de sa querelle ;
Sire, dans la chaleur d’un premier mouvement,
Un cƓur si gĂ©nĂ©reux se rend malaisĂ©ment.


DON FERNAND
S’attaquer Ă  mon choix, c’est se prendre Ă  moi-mĂȘme,
Et faire un attentat sur le pouvoir suprĂȘme.


ScĂšne 7



Alors qu'ils discutent d'une attaque probable des Maures, ils sont interrompus par Don Alonse :

DON ALONSE
Sire, le comte est mort :
Don DiÚgue, par son fils, a vengé son offense.
ChimĂšne Ă  vos genoux apporte sa douleur ;
Elle vient toute en pleurs vous demander justice.


DON FERNAND
Bien qu’à ses dĂ©plaisirs mon Ăąme compatisse,
Ce que le comte a fait semble avoir mérité
Ce digne chùtiment de sa témérité.
Quelque juste pourtant que puisse ĂȘtre sa peine,
Je ne puis sans regret perdre un tel capitaine.


ScĂšne 8


Arrivent alors Don DiÚgue et ChimÚne qui demande que soit vengée la mort de son pÚre :

CHIMÈNE
Sire, mon pùre est mort [...] j’en demande vengeance,
Plus pour votre intĂ©rĂȘt que pour mon allĂ©geance.
Vous perdez en la mort d’un homme de son rang :
Vengez-la par une autre, et le sang par le sang.


DON DIÈGUE
Si venger un soufflet mérite un chùtiment,
Sur moi seul doit tomber l’éclat de la tempĂȘte :
Quand le bras a failli, l’on en punit la tĂȘte.
[...]
Immolez donc ce chef que les ans vont ravir,
Et conservez pour vous le bras qui peut servir.


Acte III



ScĂšne 1



Rodrigue se rend chez ChimÚne, il est reçu par sa suivante Elvire :

ELVIRE
OĂč prends-tu cette audace et ce nouvel orgueil,
De paraĂźtre en des lieux que tu remplis de deuil ?


DON RODRIGUE
Ne me regarde plus d’un visage Ă©tonnĂ© ;
Je cherche le trĂ©pas aprĂšs l’avoir donnĂ©.
Mon juge est mon amour, mon juge est ma ChimĂšne :
Je mérite la mort de mériter sa haine,
Et j’en viens recevoir, comme un bien souverain,
Et l’arrĂȘt de sa bouche, et le coup de sa main.


Mais Elvire lui fait comprendre que sa prĂ©sence pourrait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme une faiblesse de ChimĂšne, et elle parvient Ă  le cacher.

ScĂšne 2



ChimĂšne arrive avec Don Sanche qui lui propose de la venger lui-mĂȘme, mais ChimĂšne s'en remet d'abord Ă  la justice du roi.

DON SANCHE
Employez mon épée à punir le coupable ;
Employez mon amour Ă  venger cette mort :
Sous vos commandements mon bras sera trop fort.


CHIMÈNE
C’est le dernier remùde ; et s’il y faut venir,
Et que de mes malheurs cette pitié vous dure,
Vous serez libre alors de venger mon injure.


ScĂšne 3



ChimÚne est partagée entre son amour et son désir de vengeance :

CHIMÈNE
Et que dois-je espĂ©rer qu’un tourment Ă©ternel,
Si je poursuis un crime, aimant le criminel ?
[...]
Ma passion s’oppose à mon ressentiment ;
Dedans mon ennemi je trouve mon amant ;
Je demande sa tĂȘte, et crains de l’obtenir :
Ma mort suivra la sienne, et je le veux punir !


ScĂšne 4



Rodrigue apparaßt alors, décidé à mourir :

DON RODRIGUE
Je t’ai fait une offense, et j’ai dĂ» m’y porter
Pour effacer ma honte, et pour te mériter ;
Mais quitte envers l’honneur, et quitte envers mon pùre,
C’est maintenant à toi que je viens satisfaire :
C’est pour t’offrir mon sang qu’en ce lieu tu me vois.
J’ai fait ce que j’ai dĂ», je fais ce que je dois.


CHIMÈNE
Si tu m’offres ta tĂȘte, est-ce Ă  moi de la prendre ?
Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre ;
C’est d’un autre que toi qu’il me faut l’obtenir,
Et je dois te poursuivre, et non pas te punir.


DON RODRIGUE
Au nom d’un pĂšre mort, ou de notre amitiĂ©,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.


CHIMÈNE
Va, je ne te hais point.

ScĂšne 5 et 6



Don DiÚgue retrouve son fils avec beaucoup de joie et beaucoup de fierté, mais Rodrigue lui annonce son intention de mourir :

DON RODRIGUE
[...] Mon Ăąme est ravie
Que mon coup d’essai plaise à qui je dois la vie ;
Mais parmi vos plaisirs ne soyez point jaloux
Si je m’ose à mon tour satisfaire aprùs vous.
[...]
Mon bras pour vous venger, armé contre ma flamme,
Par ce coup glorieux m’a privĂ© de mon Ăąme ;
[...]
Et, ne pouvant quitter ni posséder ChimÚne,
Le trépas que je cherche est ma plus douce peine.


DON DIÈGUE
Il n’est pas temps encor de chercher le trĂ©pas :
Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras.
[...]
Les Maures vont descendre, et le flux et la nuit
Dans une heure Ă  nos murs les amĂšne sans bruit.
[...]
De ces vieux ennemis va soutenir l’abord :
LĂ , si tu veux mourir, trouve une belle mort ;
[...]
Mais reviens-en plutĂŽt les palmes sur le front.
Ne borne pas ta gloire Ă  venger un affront ;
Porte-la plus avant : force par ta vaillance
Ce monarque au pardon, et ChimĂšne au silence ;
Si tu l’aimes, apprends que revenir vainqueur
C’est l’unique moyen de regagner son cƓur.


Acte IV



ScĂšne 1



Elvire rapporte à ChimÚne les exploits de Rodrigue dont tout le monde parle. ChimÚne essaye de raffermir sa volonté de vengeance :

CHIMÈNE
Silence, mon amour, laisse agir ma colĂšre :
S’il a vaincu deux rois, il a tuĂ© mon pĂšre ;
Et quoi qu’on die ailleurs d’un cƓur si magnanime,
Ici tous les objets me parlent de son crime.


ScĂšne 2



L'infante vient consoler ChimĂšne et essaye de la dissuader de se venger de Rodrigue :

L’INFANTE
Ce qui fut juste alors ne l’est plus aujourd’hui.
Rodrigue maintenant est notre unique appui,
[...]
Quoi ! pour venger un pĂšre est-il jamais permis
De livrer sa patrie aux mains des ennemis ?
[...]
Ce n’est pas qu’aprĂšs tout tu doives Ă©pouser
Celui qu’un pùre mort t’obligeait d’accuser :
[...]
Ôte-lui ton amour, mais laisse-nous sa vie.


ScĂšne 3



Don Rodrigue vient de rentrer du combat avec deux rois prisonniers, Le roi lui enjoint alors de raconter la bataille. C'est une tirade célÚbre :

DON RODRIGUE
Nous partĂźmes cinq cents ; mais par un prompt renfort
Nous nous vĂźmes trois mille en arrivant au port,
Tant, Ă  nous voir marcher avec un tel visage,
Les plus épouvantés reprenaient de courage !
[...]
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles ;
L’onde s’enfle dessous, et d’un commun effort
Les Mores et la mer montent jusques au port.
[...]
Nous nous levons alors, et tous en mĂȘme temps
Poussons jusques au ciel mille cris Ă©clatants.
[...]
Nous les pressons sur l’eau, nous les pressons sur terre,
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,
[...]
Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
À se rendre moi-mĂȘme en vain je les convie :
Le cimeterre au poing ils ne m’écoutent pas ;
Mais voyant Ă  leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef : je me nomme, ils se rendent.
Je vous les envoyai tous deux en mĂȘme temps ;
Et le combat cessa faute de combattants.


Pour bien comprendre tous les enjeux de cette tirade, et tous ses effets dramatiques, j’en ai rĂ©alisĂ© une explication linĂ©aire en vidĂ©o et PDF sur mon site.

ScĂšnes 4 et 5



Le roi fait d'abord croire à ChimÚne que Rodrigue est mort, puis, voyant qu'elle manque de s'évanouir, il la détrompe. ChimÚne se reprend alors :

CHIMÈNE
Eh bien ! Sire, ajoutez ce comble Ă  mon malheur,
Nommez ma pñmoison l’effet de ma douleur :
Une si belle fin m’est trop injurieuse.
Je demande sa mort, mais non pas glorieuse,
Qu’il meure pour mon pùre, et non pour la patrie ;
Que son nom soit taché, sa mémoire flétrie.


Comme le roi refuse d'exécuter Don Rodrigue, ChimÚne lui demande d'organiser un duel : elle épousera celui qui parviendra à tuer Don Rodrigue.

CHIMÈNE
Puisque vous refusez la justice Ă  mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir aux armes ;
À tous vos cavaliers je demande sa tĂȘte :
Oui, qu’un d’eux me l’apporte, et je suis sa conquĂȘte ;
Qu’ils le combattent, Sire ; et le combat fini,
J’épouse le vainqueur, si Rodrigue est puni.


Don Sanche, qui est amoureux de ChimÚne, se propose immédiatement :

DON SANCHE
Faites ouvrir le champ : vous voyez l’assaillant ;
Je suis ce téméraire , ou plutÎt ce vaillant.
Accordez cette grñce à l’ardeur qui me presse.
Madame : vous savez quelle est votre promesse.


Le roi n'aime pas les duels, car ils affaiblissent l'Ă©tat, (C'est l'avis de Richelieu que Corneille fait transparaĂźtre ici).
Mais il y consent Ă  condition que le vainqueur Ă©pouse ChimĂšne, mĂȘme si c'est Rodrigue : c'est une maniĂšre, par l'exercice de son autoritĂ©, de mettre fin Ă  ce cycle meurtrier.

À travers les paroles de ce roi, toujours trĂšs sage et trĂšs respectĂ©, Corneille donne une conception de l'exercice du pouvoir, bienveillante et modĂ©rĂ©e.

Acte V



ScĂšne 1



Rodrigue retourne en secret voir ChimĂšne pour lui annoncer qu'il a l'intention de se laisser tuer dans ce duel contre Don Sanche :

DON RODRIGUE
Je vais mourir, Madame, et vous viens en ce lieu,
Avant le coup mortel, dire un dernier adieu :
[...]
J’ai toujours mĂȘme cƓur ; mais je n’ai point de bras
Quand il faut conserver ce qui ne vous plaĂźt pas ;
[...]
Vous demandez ma mort, j’en accepte l’arrĂȘt.


ChimÚne essaye par tous les arguments de le dissuader de mourir, mais comme rien n'y fait, elle est finalement obligée de lui avouer, à demi-mot, son amour :

CHIMÈNE
Puisque, pour t’empĂȘcher de courir au trĂ©pas,
Ta vie et ton honneur sont de faibles appas,
Si jamais je t’aimai, cher Rodrigue, en revanche,
DĂ©fends-toi maintenant pour m’îter Ă  don Sanche ;
[...]
Et si tu sens pour moi ton cƓur encore Ă©pris,
Sors vainqueur d’un combat dont Chimùne est le prix.


ScĂšnes 2 et 3



L'infante réalise qu'elle ne peut plus espérer l'amour de Rodrigue :

L’INFANTE
Il est digne de moi, mais il est Ă  ChimĂšne ;
Le don que j’en ai fait me nuit.
Entre eux la mort d’un pùre a si peu mis de haine,
Que le devoir du sang Ă  regret le poursuit :
Ainsi n’espĂ©rons aucun fruit
De son crime, ni de ma peine,
Puisque pour me punir le destin a permis
Que l’amour dure mĂȘme entre deux ennemis.


C'est un trĂšs beau monologue sous forme de stances, qui est suivi dans la scĂšne 3 par un Ă©change avec sa confidente LĂ©onor.

Dans notre piÚce, l'amour de l'infante est comme une intrigue secondaire bloquée. Pour cette raison, on a reproché à Racine de ne pas avoir respecté l'unité d'action. Pourtant, les malheurs de l'infante créent pour ainsi dire un contrepoint musical avec la partition de ChimÚne.

ScĂšne 4



Tout semble s'arranger pour ChimĂšne, et pourtant elle continue de se plaindre auprĂšs de sa confidente :

CHIMÈNE
Elvire, que je souffre, et que je suis Ă  plaindre !
Je ne sais qu’espĂ©rer, et je vois tout Ă  craindre ;
Et quoi qu’en ma faveur en ordonne le sort,
Mon pĂšre est sans vengeance, ou mon amant est mort.
[...]
Quand il sera vainqueur, crois-tu que je me rende ?
Mon devoir est trop fort, et ma perte trop grande ;
Et ce n’est pas assez pour leur faire la loi,
Que celle du combat et le vouloir du roi.


ELVIRE
Quoi ! vous voulez encor refuser le bonheur
De pouvoir maintenant vous taire avec honneur ?
Que prĂ©tend ce devoir, et qu’est-ce qu’il espĂšre ?
La mort de votre amant vous rendra-t-elle un pĂšre ?
[...]
Allez, dans le caprice oĂč votre humeur s’obstine,
Vous ne mĂ©ritez pas l’amant qu’on vous destine ;
Et nous verrons du ciel l’équitable courroux
Vous laisser, par sa mort, don Sanche pour Ă©poux.


La confidente Elvire incarne le regard du spectateur sur scĂšne, et relance tout l'intĂ©rĂȘt de la piĂšce ! En effet, on rĂ©alise avec cette scĂšne que rien n'est gagnĂ© : ni le duel, ni la rĂ©action finale de ChimĂšne.

ScĂšne 5



Don Sanche vient rendre son épée à ChimÚne, celle-ci croit que Rodrigue est mort et laisse alors éclater ses émotions :

CHIMÈNE
Perfide, oses-tu bien te montrer Ă  mes yeux,
AprĂšs m’avoir ĂŽtĂ© ce que j’aimais le mieux ?
Éclate, mon amour, tu n’as plus rien à craindre :
Mon pĂšre est satisfait, cesse de te contraindre.
Un mĂȘme coup a mis ma gloire en sĂ»retĂ©,
Mon ùme au désespoir, ma flamme en liberté.


ScĂšne 6



Arrive alors le roi, ChimĂšne avoue son amour pour Rodrigue, mais Don Fernand lui annonce qu'il n'est pas mort :

DON FERNAND
Chimùne, sors d’erreur, ton amant n’est pas mort,
Et don Sanche vaincu t’a fait un faux rapport. [...]
Ton pĂšre est satisfait, et c’était le venger
Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger. [...]
Et ne sois point rebelle Ă  mon commandement,
Qui te donne un époux aimé si chÚrement.


ScĂšne 7



Rodrigue apparaĂźt alors, prĂȘt Ă  se sacrifier Ă  nouveau pour ChimĂšne :

DON RODRIGUE
Madame ; mon amour n’emploiera point pour moi
Ni la loi du combat, ni le vouloir du roi.
Si tout ce qui s’est fait est trop peu pour un pùre,
Dites par quels moyens il vous faut satisfaire.
Faut-il combattre encor mille et mille rivaux ?
Aux deux bouts de la terre Ă©tendre mes travaux ?
[...]
Si mon crime par lĂ  se peut enfin laver,
J’ose tout entreprendre, et puis tout achever ;
Mais si ce fier honneur, toujours inexorable,
Ne se peut apaiser sans la mort du coupable,
N’armez plus contre moi le pouvoir des humains :
Ma tĂȘte est Ă  vos pieds, vengez-vous par vos mains ;


CHIMÈNE
Relùve-toi, Rodrigue. Il faut l’avouer, Sire,
Je vous en ai trop dit pour m’en pouvoir dĂ©dire.
Rodrigue a des vertus que je ne puis haĂŻr ;
Et quand un roi commande, on lui doit obéir.


DON FERNAND
Le temps assez souvent a rendu légitime
Ce qui semblait d’abord ne se pouvoir sans crime : [...]
Prends un an, si tu veux, pour essuyer tes larmes.
Rodrigue, cependant il faut prendre les armes. [...]
Et par tes grands exploits fais-toi si bien priser,
Qu’il lui soit glorieux alors de t’épouser. [...]
Pour vaincre un point d’honneur qui combat contre toi,
Laisse faire le temps, ta vaillance et ton roi.


Au regard des rÚgles de vraisemblance et de bienséance, à partir de quand Rodrigue devient-il à nouveau acceptable par ChimÚne ? Avec intelligence, Corneille donne au roi le dernier mot sur cette question.

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