Couverture pour Le Dernier Jour d'un Condamné

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamnĂ©
Chapitres 1 Ă  12




Le 3 fĂ©vrier 1829, la premiĂšre Ă©dition, anonyme, du Dernier Jour d'un CondamnĂ© dĂ©route les critiques : comment ? On ne connaĂźt mĂȘme pas le crime du personnage principal !... MĂȘme pas un mois plus tard, Victor Hugo ajoute une prĂ©face sous forme de comĂ©die, oĂč il met en scĂšne ses dĂ©tracteurs :

LE POËTE ÉLÉGIAQUE — Ce criminel, [...] qu’a-t-il fait ? on n’en sait rien. [...] Moi, J’eusse contĂ© l’histoire de mon condamnĂ©. [...] Un crime qui n’en soit pas un. Et puis des remords, [...] beaucoup de remords. Mais [...] il faut qu’il meure. Et lĂ  j’aurais traitĂ© ma question de la peine de mort.
LE PHILOSOPHE — Pardon. Le livre, comme l’entend monsieur, ne prouverait rien. La particularitĂ© ne rĂ©git pas la gĂ©nĂ©ralitĂ©.

Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1829.

En 1832, Victor Hugo publie une nouvelle prĂ©face, oĂč il rĂ©vĂšle enfin, sans ambiguĂŻtĂ©, son projet littĂ©raire :
L'auteur [...] avoue hautement que Le Dernier Jour d'un Condamné n'est autre chose qu'un plaidoyer [...] pour l'abolition de la peine de mort. Ce qu'il a eu dessein de faire, [...] ce n'est pas la défense [...] toujours transitoire, [...] de tel ou tel accusé [...] c'est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir.
Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1832.

Vous connaissez les types de texte : ici, on va plutÎt trouver du narratif et du descriptif, mais, pour expliquer et argumenter de façon sous-jacente. On parle ainsi d'argumentation indirecte ou d'apologue quand la visée argumentative passe par le récit.

On dĂ©signe souvent Le Dernier Jour d’un CondamnĂ© comme un roman Ă  thĂšse : la rĂ©flexion philosophique et politique dirige l'intrigue. Mais on va voir que la question du genre littĂ©raire est plus complexe que cela. En tout cas, on va rester attentifs Ă  tous les arguments de Victor Hugo contre la peine de mort, cachĂ©s dans le rĂ©cit.

I — BicĂȘtre.



Condamné à mort !
VoilĂ  cinq semaines que j’habite avec cette pensĂ©e, toujours seul avec elle, toujours glacĂ© de sa prĂ©sence. Autrefois [...] j'Ă©tais un homme comme un autre homme. [...] Maintenant je suis captif [...] d'une idĂ©e [...] Elle est toujours lĂ , [...] comme un spectre de plomb Ă  mes cĂŽtĂ©s. [...] Je n’ai plus qu’une pensĂ©e, qu’une conviction, qu’une certitude : condamnĂ© Ă  mort !


DĂšs les premiers mots, le passĂ© s'oppose au prĂ©sent : Ă  partir du moment oĂč l'accusĂ© se sait condamnĂ©, il n'est plus un homme, en tout cas, il n'est plus un homme comme un autre homme. Symboliquement, il a quittĂ© le monde des vivants.

Victor Hugo joue sans cesse avec les registres littĂ©raires. D'abord le pathĂ©tique, pour inspirer la pitiĂ©, avec des exclamations, rĂ©pĂ©titions, souffrances concrĂštes, effets d'amplification. Mais on tend aussi vers le registre lyrique : l'expression poĂ©tique d'une douleur Ă  la premiĂšre personne. On peut mĂȘme parler d'un lyrisme Ă©lĂ©giaque : cette douleur est causĂ©e par une perte, un deuil, la fuite du temps, la mort.
D'ailleurs, tout le texte sera Ă  la premiĂšre personne.

Quel est ce genre littéraire ? Une autobiographie ? Des Mémoires ? Non : le narrateur n'est pas un auteur réel, il n'a pas de rÎle historique.
Ici, le déroulement des pensées rappelle le monologue intérieur et les entrées à intervalles réguliers évoquent le Journal, mais on ne trouve pas de dates.

Dans ses préfaces, Victor Hugo ne tranche pas, il semble surtout vouloir jouer avec l'effet de vraisemblance :
Ou il y a eu, en effet, une liasse de papiers [...] sur lesquels on a trouvĂ© [...] les derniĂšres pensĂ©es d’un misĂ©rable ; ou il s’est rencontrĂ© un homme, [...] un poĂšte, [...] [saisi par] cette idĂ©e, [et qui] n’a pu s’en dĂ©barrasser qu’en la jetant dans ce livre.
Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1829.

II



Retour en arriĂšre, le narrateur n’est pour l’instant qu’un simple accusĂ©, que le guichetier emmĂšne en salle d’audience :
C’était par une belle matinĂ©e d’aoĂ»t.
Il y avait trois jours que mon procĂšs Ă©tait entamĂ©, trois jours que mon nom et mon crime ralliaient chaque matin une nuĂ©e de spectateurs, qui venaient s’abattre sur les bancs de la salle d’audience comme des corbeaux autour d’un cadavre.


C'est ici une premiÚre référence au théùtre : la peine de mort attise la curiosité et devient un spectacle, on parlerait aujourd'hui d'un théùtre médiatique. Mais cela va plus loin... Les corbeaux représentent les gens de la cour de justice comme des charognards qui se nourrissent des morts. C'est un premier argument contre la peine de mort : elle déshumanise la société.

Vous allez voir que Victor Hugo utilise souvent des images impressionnantes, car il souhaite convaincre, et persuader. Convaincre, c'est faire appel Ă  des arguments rationnels. Persuader, sollicite en plus des Ă©motions, et donc, des images.

Or justement, la comparaison va relier les deux dimensions, regardez : derriĂšre l'argument rationnel (les hommes ont une fascination pour la mort), on trouve une image Ă©motive (les corbeaux se nourrissent d'un cadavre). Le point commun, c'est l'horreur instinctive que nous inspirent les charognards.

À ce moment du rĂ©cit, l’accusĂ© n’est pas encore condamnĂ© Ă  mort, mais son destin est dĂ©jĂ  annoncĂ© par cette image de cadavre. Victor Hugo joue avec le registre tragique : le hĂ©ros est Ă©crasĂ© par un destin, une fatalitĂ© qui le dĂ©passe.

Quand l’accusĂ© arrive Ă  sa place, il se fait un grand silence :
Au moment oĂč le tumulte cessa dans la foule, il cessa aussi dans mes idĂ©es. Je compris tout Ă  coup clairement [...] que le moment dĂ©cisif Ă©tait venu, et que j’étais lĂ  pour entendre ma sentence.

Pour mettre en valeur une idée, Victor Hugo utilise souvent des effets de contraste violents. L'accusé n'éprouve pas de terreur à ce moment là, parce qu'il regarde une fleur :
Au bord de la croisĂ©e, une jolie petite plante jaune, toute pĂ©nĂ©trĂ©e d’un rayon de soleil, jouait avec le vent dans une fente de la pierre.

C'est ce qu'on appelle la focalisation interne : toutes les marques de subjectivitĂ© se rapportent au mĂȘme personnage principal (perceptions, pensĂ©es, souvenirs, opinions, sentiments)... Le lecteur va vivre l'expĂ©rience du point de vue du personnage principal, qui assiste Ă  son procĂšs sans tout comprendre. Par exemple, il est obligĂ© d’interprĂ©ter les attitudes des personnes prĂ©sentes :
Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait, probablement de la joie d’avoir bientĂŽt fini. [...] Les jurĂ©s seuls paraissaient blĂȘmes et abattus, mais c’était apparemment de fatigue d’avoir veillĂ© toute la nuit.

Cette fatigue des jurés introduit un nouvel argument : ils portent une responsabilité écrasante, d'autant que la mort d'un innocent serait irréparable. Lors de l'abolition de la peine de mort en France en 1981, Robert Badinter développe cet argument dans son discours :
Douze personnes, dans une dĂ©mocratie, qui ont le droit de dire : celui-lĂ  doit vivre, celui-lĂ  doit mourir ! Je le dis : cette conception de la justice ne peut ĂȘtre celle des pays de libertĂ©.
Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981.

Arrive alors l'avocat qui se veut rassurant :
— Ils auront sans doute Ă©cartĂ© la prĂ©mĂ©ditation, et alors ce ne sera que les travaux forcĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ©.
— Que dites-vous là, monsieur ? [...] Plutît cent fois la mort !


Avec cette rĂ©action, Victor Hugo veut montrer que la peine de mort n’est pas dissuasive. En fait, la mort est mĂȘme souvent prĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la perpĂ©tuitĂ© car elle semble abrĂ©ger la punition, le condamnĂ© ne parvient pas Ă  imaginer sa propre mort :
Qu’est-ce que je risque Ă  dire cela ? A-t-on jamais prononcĂ© sentence de mort autrement qu’à minuit, [...] par une froide nuit [...] d’hiver ? Mais au mois d’aoĂ»t, [...] un si beau jour, [...] c’est impossible !

Tout à coup, le président invite tout le monde à se lever :
Une figure insignifiante et nulle, [...] c’était, je pense, le greffier, [...] lut le verdict. [...] Une sueur froide sortit de tous mes membres ; je m’appuyai au mur pour ne pas tomber.

Le narrateur ne rapporte pas la sentence, seulement sa propre rĂ©action physique (comme assourdi et hors de lui-mĂȘme). Victor Hugo joue ici avec les limites de la focalisation interne.

Une révolution venait de se faire en moi. [...] Je distinguais clairement comme une clÎture entre le monde et moi. [...] Ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se pressaient sur mon passage, je leur trouvais des airs de fantÎmes.

DÚs que la sentence tombe, le condamné est irrémédiablement séparé du monde des vivants. Victor Hugo va d'abord illustrer cette idée en jouant avec le registre fantastique : le surnaturel fait irruption dans la réalité. Les vivants sont comme des fantÎmes pour le condamné, et réciproquement.

Deux jeunes filles me suivaient avec des yeux avides. — Bon, [...] ce sera dans six semaines !

C'est une premiĂšre marque d'humour noir de Victor Hugo : la sentence de mort est une bonne nouvelle pour ces jeunes filles. Alors qu'on imagine ces personnages plus aptes Ă  la compassion, au contraire, elles font preuve de sadisme. Dans ces conditions, la peine de mort n'a plus rien de dissuasif.

Nous nions [...] qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, [...] il ruine en lui toute sensibilitĂ©, partant toute vertu.
Victor Hugo, Préface du Dernier Jour d'un Condamné, 1832.

Avec ces jeunes filles, Victor Hugo montre comment les spectateurs perdent leur humanitĂ© en suivant les exĂ©cutions. Aujourd’hui encore, mĂȘme alors que l’exĂ©cution n’est pas publique, on retrouve cette fascination. Regardez par exemple le moment de la mort de Ted Bundy, un cĂ©lĂšbre serial killer amĂ©ricain.

III



Dans son cachot, le narrateur essaye de trouver des raisons d’accepter son sort...
Les hommes, [...] sont tous condamnĂ©s Ă  mort avec des sursis indĂ©finis. Qu’y a-t-il donc de si changĂ© Ă  ma situation ? Depuis l’heure oĂč mon arrĂȘt m’a Ă©tĂ© prononcĂ©, combien sont morts qui s’arrangeaient pour une longue vie !
Ah, n’importe, c’est horrible !


Ici, Victor Hugo montre la différence entre la conscience de la mort, le concept philosophique, et la sentence de mort, qui produit un isolement radical et désespérant. Vous verrez que sans cesse le condamné oscille entre espoir et désespoir.

IV



Maintenant, notre condamnĂ© est transfĂ©rĂ© Ă  BicĂȘtre, qui a Ă©tĂ© construit par Louis XIII sur les ruines d'une ancienne forteresse. Le bĂątiment sert d'abord Ă  soigner les soldats invalides, mais on finit par y garder aussi les vagabonds, les aliĂ©nĂ©s, les criminels, et mĂȘme les homosexuels et les prisonniers politiques.
Vu de loin, cet Ă©difice [...] garde quelque chose de son ancienne splendeur. [...] Mais Ă  mesure que vous approchez, le palais devient masure. [...] Aux fenĂȘtres [...] de massifs barreaux de fer [...] auxquels se colle [la] figure d’un galĂ©rien ou d’un fou.
C’est la vie vue de prùs.


On entre de plain pied dans le registre rĂ©aliste : un regard qui s’attache aux dĂ©tails sordides d’une rĂ©alitĂ© banale. Et c’est lĂ  ce que veut nous montrer Victor Hugo : ce cadre atroce constitue le quotidien de tous les prisonniers.

V



Victor Hugo donne juste assez d'informations sur le condamné pour favoriser l'identification et garder une dimension universelle à son témoignage.
Ma jeunesse, ma docilitĂ©, [...] quelques mots en latin [...] m’ouvrirent la promenade une fois par semaine [...] et firent disparaĂźtre la camisole oĂč j’étais paralysĂ©. AprĂšs bien des hĂ©sitations, on m’a aussi donnĂ© de l’encre [et] du papier.

Le condamné peut donc écrire son histoire au fur et à mesure. C'est une maniÚre pour Victor Hugo de préserver la vraisemblance. On se rapproche du genre du journal, mais sans les dates.

Notre condamné à mort rencontre aussi les autres détenus, qui lui parlent en argot.
Ils m’apprennent [...] Ă  rouscailler bigorne, comme ils disent. [...] Épouser la veuve (ĂȘtre pendu), [...] le taule (le bourreau), la cĂŽne (la mort), la placarde (la place des exĂ©cutions). Quand on entend parler cette langue, cela fait l’effet [...] d’une liasse de haillons que l’on secouerait devant vous.

C'est un autre trait de l'Ă©criture de Victor Hugo : il mĂ©lange les niveaux de langage (soutenu, courant, familier). Mais vous allez voir que cela permet surtout d’illustrer des modes d’expression variĂ©s : la prose, le vers, l’oral, l’écrit, le chant et mĂȘme la danse.

VI



Maintenant qu’il a de l’encre et du papier, le condamnĂ© se pose la premiĂšre question de l'Ă©crivain : pourquoi Ă©crire ?
Pourquoi n’essaierais-je pas de me dire Ă  moi-mĂȘme tout ce que j’éprouve de violent et d’inconnu dans la situation abandonnĂ©e oĂč me voilĂ  ? [...] Ces angoisses, le seul moyen d’en moins souffrir, c’est de les observer.

Mais il songe aussi que son tĂ©moignage pourrait ĂȘtre lu par d’autres, et notamment par les juges :
N’y aura-t-il pas [...] dans cette espĂšce d’autopsie intellectuelle d’un condamnĂ©, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Se sont-ils jamais seulement arrĂȘtĂ©s Ă  cette idĂ©e poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence [...] ?
Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute [...] qu'il n’y a rien avant, rien aprĂšs. Ces feuilles les dĂ©tromperont.

Pour faire reculer l’ignorance, le scientifique doit regarder de prĂšs la rĂ©alitĂ©, il fait une autopsie. Mais la peine de mort, par son sensationnalisme et son instantanĂ©itĂ©, nous focalise sur la souffrance physique : elle cache l’avant et l’aprĂšs. Avant, c’est la souffrance morale, et aprĂšs, c’est aussi une interrogation importante aux yeux de Victor Hugo : nul ne sait si l’ñme existe et ce qu’elle devient aprĂšs la mort. La peine de mort nie Ă  la fois l’intelligence humaine et la spiritualitĂ©.

VII



Le condamné se met aussitÎt à douter de ses raisons d'écrire.
Que ce que j’écris ici puisse ĂȘtre un jour utile Ă  d’autres, [...] Ă  quoi bon ? [...] Quand ma tĂȘte aura Ă©tĂ© coupĂ©e, qu’est-ce que cela me fait qu’on en coupe d’autres ? [...] Ah ! c’est moi qu’il faudrait sauver !

C'est un nouvel argument que Victor Hugo prĂ©sente ici : une fois condamnĂ©, le coupable ne songe plus qu’à sa propre fin. Le sort des autres lui devient indiffĂ©rent, il n'est plus disponible pour rĂ©parer son crime... Au contraire, le prisonnier Ă  perpĂ©tuitĂ© a le temps de rĂ©flĂ©chir et de s'amender.

VIII



AprĂšs cette phase de dĂ©sespoir, le condamnĂ© tente de calculer froidement le temps qui lui reste, mais cela finit comme un compte Ă  rebours, d’autant plus oppressant qu’il ne sait plus depuis combien de temps il est enfermĂ©.
En tout six semaines. La petite fille avait raison. Or voilĂ  cinq semaines au moins [...] que je suis dans ce cabanon de BicĂȘtre.

Malgré ce qu'annonce le titre, Le Dernier Jour d'un Condamné ne se déroule pas sur 24h, mais sur 1 semaine à peu prÚs, avec en plus des retours dans le passé. Pour Victor Hugo, le plus important, ce n'est pas l'unité de temps ou de lieu, mais bien l'unité d'action.

IX



Le condamnĂ© a fait son testament. Il rĂ©alise qu’il ne pourra rien lĂ©guer Ă  ses proches, car il doit payer son exĂ©cution.
La guillotine, c’est fort cher. Je laisse une mĂšre, je laisse une femme, je laisse un enfant. J’admets que je sois justement puni ; ces innocentes, qu’ont-elles fait ? N’importe ; on les dĂ©shonore, on les ruine. C’est la justice.

Ma pauvre vieille mùre a soixante-quatre ans, elle mourra du coup. [...] Ma femme [...] mourra aussi. À moins qu’elle ne devienne folle. Mais ma fille, [...] ma pauvre petite Marie, qui rit, qui chante à cette heure [...] c’est elle qui me fait mal !

Avec ce registre pathétique, Hugo veut montrer que la peine de mort enlÚve définitivement une personne à ses proches sans pour autant soulager les victimes. Elle augmente l'injustice en punissant des innocents.

X



Le prisonnier décrit son cachot avec minutie. C'est déjà pratiquement un tombeau.
Huit pieds carrĂ©s. Quatre murailles de pierre de taille. [...] Une noire voĂ»te en ogive. [...] Pas de fenĂȘtres, pas mĂȘme de soupirail. [...] Je me trompe ; au centre de la porte, [...] une ouverture [...] coupĂ©e d’une grille en croix.

Un jour il entend mĂȘme son guichetier faire une visite guidĂ©e. Le prisonnier est radicalement coupĂ© des autres, ceux qui continuent Ă  vivre, ceux qui continuent d'ĂȘtre humains.
Ces cachots sont tout ce qui reste de l’ancien chĂąteau de BicĂȘtre tel qu’il fut bĂąti dans le quinziĂšme siĂšcle par le cardinal de Winchester, le mĂȘme qui fit brĂ»ler Jeanne d’Arc. J’ai entendu dire cela Ă  des curieux [...] qui me regardaient Ă  distance comme une bĂȘte de la mĂ©nagerie. Le guichetier a eu cent sous.

Cette rĂ©fĂ©rence Ă  Jeanne d'Arc n'est pas anodine, elle rappelle que la peine de mort sert des intĂ©rĂȘts politiques : il faut se dĂ©barrasser d'une personne qui serait gĂȘnante mĂȘme en prison. Cela favorise donc les faux procĂšs.

Autre argument : le condamné à mort devient martyr d'une cause. C'est le cas des résistants et des libérateurs, mais également des terroristes. Au lieu de faire un exemple, la peine de mort donne le criminel en exemple.
Aux yeux de certains [...] l'exécution du terroriste en fait une sorte de héros [...] au service d'une cause. DÚs lors apparaßt le risque [...] de voir se lever [...] pour un terroriste exécuté, vingt jeunes gens égarés. [...] La peine de mort nourrit le terrorisme.
Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981.

XI



Pendant la nuit, le prisonnier regarde les murs de sa cellule avec une lampe, ils sont couverts d’inscriptions. Ce sont les derniĂšres traces des condamnĂ©s, comme autant d'Ă©pitaphes.
J’aimerais Ă  [...] retrouver chaque homme sous chaque nom ; Ă  rendre le sens et la vie Ă  ces inscriptions mutilĂ©es, [...] corps sans tĂȘte comme ceux qui les ont Ă©crits.
Pauvre jeune homme ! Que leurs prétendues nécessités politiques sont hideuses !


La référence à Jeanne d'Arc permettait à Victor Hugo de préparer cette dénonciation : les partisans républicains comme Jean-François Bories sont sacrifiés pour des raisons politiques.

XII



Sous une toile d'araignĂ©e, le condamnĂ© dĂ©couvre encore d’autres noms :
Dautun, celui qui a coupĂ© son frĂšre en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tĂȘte dans une fontaine et le tronc dans un Ă©gout ; Poulain, celui qui a assassinĂ© sa femme ; Jean Martin, celui qui a tirĂ© un coup de pistolet Ă  son pĂšre [...] ; Castaing, ce mĂ©decin qui a empoisonnĂ© son ami, et qui, [...] au lieu de remĂšde lui redonnait du poison. Papavoine, l’horrible fou qui tuait les enfants Ă  coups de couteau sur la tĂȘte !

VoilĂ  [...] quels ont Ă©tĂ© avant moi les hĂŽtes de cette cellule. C’est ici, sur la mĂȘme dalle oĂč je suis, qu’ils ont pensĂ© leurs derniĂšres pensĂ©es, ces hommes de meurtre et de sang ! [...] Ils se sont succĂ©dĂ© Ă  de courts intervalles ; [...] ce cachot ne dĂ©semplit pas.

Victor Hugo cite les pires crimes : mutilations, parricide, empoisonnement avec préméditation, meurtre d'enfants. Est-ce que cela ne justifie pas la peine de mort ? Victor Hugo donne déjà quelques éléments de réponse :

D'abord, la peine de mort fait disparaĂźtre les criminels, comme la toile d'araignĂ©e qui couvre leurs noms et leurs pensĂ©es. Les causes et motifs des crimes disparaissent avec eux. Seul un vĂ©ritable travail d'analyse donnerait les clĂ©s de comprĂ©hension des crimes, et donc le moyen de les empĂȘcher Ă  l'avenir.

Par exemple, Michel Fourniret, incarcéré depuis 2008, avoue de nouveaux meurtres 10 ans plus tard, et participe à la recherche des corps. La peine de mort aurait laissé ces crimes irrésolus, sans reconnaissance par la société, ni sanction pénale, ce qui est le pire cas de figure pour les familles des victimes.

Ensuite, si la peine de mort Ă©tait dissuasive, pourquoi ce cachot est-il sans cesse rempli ? Aucun de ces crimes passionnels n'a pu ĂȘtre empĂȘchĂ© par la peine de mort.
Ceux qui croient Ă  la valeur dissuasive de la peine de mort mĂ©connaissent la vĂ©ritĂ© humaine. La passion criminelle n'est pas plus arrĂȘtĂ©e par la peur de la mort que d'autres passions ne le sont qui, celles-lĂ , sont nobles.
Robert Badinter, Discours Ă  l’AssemblĂ©e Nationale, 1981.

Enfin, pour Victor Hugo, jouer avec la vie et la mort, c'est nier l'importance de la spiritualité dans la vie humaine. Le registre fantastique lui permet d'illustrer cette question : que devient l'ùme d'un homme exécuté ?
Il m’a semblĂ© tout Ă  coup [...] que le cachot Ă©tait plein d’hommes [...] qui portaient leur tĂȘte [...] par la bouche, parce qu’il n’y avait pas de chevelure. [...] Ô les Ă©pouvantables spectres ! [...] ChimĂšre Ă  la Macbeth ! Les morts sont morts, ceux-lĂ  surtout. [...] Bien cadenassĂ©s dans le sĂ©pulcre. [...] Comment se fait-il donc que j’aie eu peur ainsi ?

Ici Victor Hugo est ironique : il laisse entendre l'inverse de ce qu'il dit. S'il y a des morts qui reviennent, ce sont justement ceux-lĂ  : ceux qui ont eu une mort violente. Et ce n'est pas un cadenas qui les empĂȘchera de revenir !

Le Dernier Jour d'un Condamné n'est pas découpé en grandes parties, mais on peut retrouver une logique théùtrale avec ici la fin d'un premier acte et un changement de décor. On a tous les éléments de l'intrigue, le mécanisme tragique est enclenché. Avec mes vidéos, je vais tenter de suivre ces mouvements.


⇹ * Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 🃏 Chapitres I Ă  XII (axes de lecture) *

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⇹ * Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© 🎹 Portraits des personnages *

⇹ * Victor Hugo, Le Dernier Jour d'un CondamnĂ© đŸŽžïž Chapitres I Ă  XII (diaporama de la vidĂ©o) *

⇹ * Hugo, Le dernier jour d'un condamnĂ© 🎧 chapitres 1 Ă  12 (podcast) *

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