Couverture pour XVIIe siècle

Histoire littéraire du XVIIe siècle
La notion de « classicisme »




Je pourrais commencer directement en plein XVIIe siècle avec Louis XIV, pour plonger directement dans l’époque classique. Mais ça ne sert à rien de faire ça, et pour bien comprendre, il faut remonter en arrière, jusqu’à l’antiquité ! Mais ne vous inquiétez pas, on va revenir rapidement au siècle qui nous intéresse.

Origine du mot



Alors le mot « classicus » en latin, ce n'est pas un terme littéraire, mais social, hé oui, pour les romains, « classicus », c’est ce qui caractérise « la classe supérieure des citoyens ». La classe sociale la plus aisée quoi. Et en réalité, à l’époque, ce sont justement ceux qui savent lire et écrire. Et voilà comment le terme évolue d’un sens social, à un sens littéraire, en gardant son côté élitiste.

XVIe siècle



Du coup au XVIe siècle, les classiques, ce sont les meilleurs auteurs ; et les meilleurs, ce sont bien sûr les anciens grecs et latins... Côté Grec ? Platon, Aristote, Euripide, Sophocle, Homère... Côté latin ? Virgile, Ovide, Horace...

Mais justement au XVIe siècle, des auteurs comme Thomas Sébillet et Joachim Du Bellay veulent donner au Français ses lettres de noblesse : on va désormais faire des œuvres officielles en français. Il y a plein de raisons politiques à ça : et notamment créer une cohésion sur le territoire. François Ier impose le Français comme langue administrative avec l’ordonnance de Villers Cotterêts en 1539.

En 1548, Thomas Sébillet écrit son Art Poétique Français. Pour l’instruction des jeunes studieux, et encore peu avancés en poésie française. Et tout juste un an plus tard, il est carrément ringardisé par Joachim du Bellay qui publie sa Défense et Illustration de la langue française qui va fonder avec Pierre de Ronsard le mouvement de la Pléiade, dont je parlerai dans une autre vidéo.


XVIIe siècle



Début 17e siècle, l’orthographe du français n’est pas fixée, la syntaxe non plus. Regardez comment écrit Théophile de Viau :
La reigle me desplaist, j'escris confusement :
Jamais un bon esprit ne faict rien qu'aisément.
Autresfois quant mes vers ont animé la scène,
L'ordre où j'cstois contrainct m'a bien faict de la peine.
Ce travail importun m'a longtemps martyre.

Théophile de Viau, Élégie à une dame, 1626.

Oui mais bon, on éprouve le besoin de créer des règles et de rationaliser tout ça. En 1634, Richelieu crée L’Académie Française qui va donc chercher à établir de bons préceptes pour la langue française, mais aussi pour la création littéraire. D’ailleurs, c’est l’époque où Descartes publie son Discours de la Méthode, 1637. Les penseurs et les philosophes veulent utiliser la Raison et la logique pour comprendre la réalité.

L’un des premiers membres de l’Académie française, c’est Vaugelas, qui écrit bientôt le premier ouvrage codifiant la langue française : Remarques sur la Langue Française en 1647.
Dans la préface, il écrit :
C’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps.
Vaugelas, Remarques sur la Langue Française, 1647.

Alors, petit à petit, on observe un développement incroyable d'œuvres littéraires en français, qui atteint son apogée pendant le siècle de Louis XIV. Voilà notre siècle classique, et voilà pourquoi il est classique : c’est l’aboutissement d’un processus de codification de la langue et de la production littéraire.

Oui, en plein XVIIe siècle mais par contre, attention, pour l’instant, on n'utilise pas le terme de classicisme. Tout au plus, on parle d’atticisme, c'est-à-dire, l’influence des grecs dans les arts. Parce que là-dessus, pas de problème, tous les auteurs sont d'accord pour prendre l'antiquité en modèle. Mais tous ne sont pas d'accord pour dire qu'il est impossible de faire mieux. Pendant tout le XVIIe siècle, on va voir s’affronter les Anciens et les Modernes.

Du côté des Anciens, c’est Boileau qui mène le groupe, suivi par Bossuet, Racine, La Bruyère, La Fontaine… Pour eux, l’Art des Anciens est indépassable, il faut les imiter et tenter de les égaler. D’ailleurs on voit bien comment Racine s’inspire presque toujours de la mythologie dans ses tragédies : Phèdre, Andromaque, Britannicus, etc.

Les modernes sont représentés par Charles Perrault, et justement, ce n’est pas un hasard s’il s’éloigne de la mythologie antique pour puiser dans un folklore issu du moyen-âge. Corneille prend aussi des libertés, notamment avec Le Cid qui se base sur l'Histoire de l'Espagne, alors même que la France est en guerre contre l'Espagne. Corneille écrira même une pièce pas très connue sur Attila, le roi des Huns !

À la fin du siècle, la querelle s’épuise progressivement, les Anciens se font vieux, les enjeux de pouvoir sont moins importants. Perrault et Bossuet acceptent de jouer la réconciliation, et s'embrassent en public devant l’Académie Française.

XVIIIe siècle



Au début du XVIIIe siècle, Voltaire porte un regard rétrospectif sur le siècle précédent, et il écrit un ouvrage qu’il intitule Le Siècle de Louis XIV :
Ce n’est pas seulement la vie de Louis XIV qu’on prétend écrire ; on se propose un plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d’un seul homme, mais l’esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais.

Vous avez remarqué, il dit « siècle éclairé » en effet, pour l’instant, le mot « classicisme » n’existe pas encore ! Dans cet ouvrage, Voltaire va mettre Corneille, Racine, Molière et Fénelon quasiment au même niveau que les auteurs antiques. On voit que la pensée des Modernes à fait son chemin, et à tendance à s'imposer de manière historique. On voit aussi que tous ces auteurs sont déjà regroupés dans un mouvement qui a une cohérence aux yeux de Voltaire.

XIXe siècle



Ce n’est qu’au début du XIXe siècle qu'on va enfin voir apparaître le terme de « classicisme ». Il surgit sous la plume d'un écrivain alors méconnu, j’ai nommé Stendhal.

Dans son pamphlet Racine et Shakespeare, Stendhal va opposer l’ancienne école, le classicisme, à une nouvelle conception de la beauté, qu’il va nommer le romanticisme, et qui donnera par la suite, le romantisme. Écoutez ce qu’il écrit en 1817 :
Le romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible.
Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands-pères.
Stendhal, Racine et Shakespeare, chapitre 3, 1823.

Oui, on va se retrouver avec une définition un peu double. D’un côté le classicisme qui recouvre la production littéraire du XVIIe siècle, et d’autre part, les « classiques », c'est-à-dire d’une manière générale toutes les œuvres qui ont marqué l’Histoire Littéraire.

1850, au milieu du 19e siècle, le critique littéraire Charles-Augustin Sainte-Beuve va montrer le lien entre ces deux définitions :
Depuis que la France posséda son siècle de Louis XIV et qu’elle put le considérer un peu à distance, elle sut ce que c’était qu’être classique, mieux que par tous les raisonnements.

Il part donc d'une définition restreinte à un siècle précis, le XVIIe siècle, pour ensuite l'élargir englober tout ce qui constitue pour lui un vrai classique :
Un vrai classique [...] c’est un auteur qui a enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, qui lui a fait faire un pas de plus, [...] qui a rendu sa pensée, son observation ou son invention, sous une forme n’importe laquelle, mais large et grande, fine et serrée, saine et belle en soi ; qui a parlé à tous dans un style à lui et qui se trouve aussi celui de tout le monde, dans un style nouveau sans néologisme, nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges.

Au XIXe siècle, on peut dire que la querelle des Anciens et des Modernes se radicalise avec les romantiques. Stendhal attaque le principe même d'imitation des anciens :
Imiter aujourd’hui Sophocle et Euripide, et prétendre que les imitations ne feront pas bâiller le Français au XIXe siècle, c’est du classicisme.
Stendhal, Racine et Shakespeare, 1823.

Dans la préface de Cromwell, Victor Hugo va remettre en cause les règles traditionnelles du théâtre classique, en prônant le mélange des genres, et surtout le mélange du grotesque avec le sublime :
Voilà un principe étranger à l’antiquité, un type nouveau introduit dans la poésie ; [...] voilà une forme nouvelle qui se développe dans l’art. Ce type, c’est le grotesque. Cette forme, c’est la comédie.
Et ici, qu’il nous soit permis d’insister ; car nous venons d’indiquer le trait caractéristique, la différence fondamentale qui sépare, [...] l’art moderne de l’art antique, la forme actuelle de la forme morte [...] la littérature romantique de la littérature classique.

Victor Hugo, Préface de Cromwell, 1827.

C'est ce texte qui va fonder le théâtre romantique. Mais ça, ce sera pour une autre vidéo ! Ce que je veux vous montrer par là, c'est que l'époque classique est centrale : elle est l'aboutissement d'un long mûrissement des périodes qui ont précédé (l'antiquité, le moyen-âge, la redécouverte de l'antiquité à la Renaissance, le mouvement baroque), mais elle est aussi le point de départ des divergences à venir, et elle contient déjà en germe l'explosion des mouvements littéraires au XIXe et au XXe siècle.

XXe siècle



Au XXe siècle, les écrivains vont retenir ce que les œuvres classiques ont de meilleur. Ils vont être fascinés par la simplicité, la clarté, et notamment par la notion de tragique. Par exemple, le roman d'Aragon, Aurélien, raconte l'histoire de l'amour impossible d'Aurélien avec Bérénice, qui fait écho à la pièce de Racine...

Dans L'Étranger d'Albert Camus, le mécanisme tragique sert à illustrer l'absurde, tandis que dans Antigone d'Anouilh, ce mécanisme tragique illustre la résistance.
L'Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre.
Anouilh, Présentation de la première édition d'Antigone, 1946.

On voit bien que la volonté de Anouilh va plus loin qu'un simple récit tragique : utiliser un mythe bien connu permet de faire passer un message intemporel, qui concerne tous les êtres humains. De même Camus va utiliser Le Mythe de Sisyphe pour illustrer l'absurdité, qui n'est pas propre au XXe siècle, mais qui est une réalité humaine intemporelle.

Eugène Ionesco fait remarquer cette puissance des idées immuables sous une forme changeante. Au point que, pour lui le classicisme devient paradoxalement la pointe de la nouveauté et de l'innovation !
Finalement je suis pour le classicisme : c'est cela l'avant-garde. La découverte d'archétypes oubliés, immuables, renouvelés dans l'expression : tout vrai créateur est classique.
Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, « discours sur l'avant-garde ».

Paul Valéry voit cela comme une dynamique. Il réutilise les termes « romantique » et « classique » pour illustrer un cycle de l'Histoire Littéraire : le romantisme est une première vague de création, le classicisme vient après, avec une volonté organisatrice :
Tout classicisme suppose un romantisme antérieur. […] L’essence du classicisme est de venir après. L'ordre suppose un certain désordre qu'il vient réduire.
Paul Valéry, Variété II, « Situation de Baudelaire », 1924.

André Gide va faire de cette dynamique le travail même de l'écrivain. Pour lui, le « classicisme » est cette capacité de l'écrivain à apprivoiser l'expression des émotions spontanées, c'est la plus haute ambition de l'art.
L'œuvre classique ne sera forte et belle qu'en raison de son romantisme dompté. [...] L’œuvre d'art classique raconte le triomphe de l'ordre et de la mesure sur le romantisme intérieur. L’œuvre est d'autant plus belle que la chose soumise était d'abord plus révoltée.
André Gide, Incidences, Essais critiques, 1924.

Donc là, c'est le point de vue de l'écrivain, mais on peut aussi se placer du côté du lecteur. Pour Italo Calvino, ce qui caractérise un classique, c'est justement le fait de pouvoir sans cesse le lire, le relire et le réinterpréter.
Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire [...] quand ils nous parviennent, ils portent en eux la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace qu'ils ont laissée dans la ou les cultures qu'ils ont traversées.
Calvino, Pourquoi lire les classiques, 1991.

Roland Barthes en particulier va se pencher sur le cas de Racine. Et il va montrer que le génie de cet auteur, c'est justement d'avoir su utiliser une langue et des schémas suffisamment transparents pour provoquer des réinterprétations infinies.

Par un paradoxe remarquable, l’auteur français qui est sans doute le plus lié à l’idée d’une transparence classique, est le seul qui ait réussi à faire converger sur lui tous les langages nouveaux du siècle. [...] Son génie serait situé [...] dans un art inégalé de la disponibilité, qui lui permet de se maintenir éternellement dans le champ de n’importe quel langage critique.
Roland Barthes, Sur Racine, 1963.

Et Barthes montre alors que l'œuvre de Racine illustre parfaitement cette idée de disponibilité. La psychanalyse ? La théorie marxiste ? La lecture thématique, structurale ? Toutes les critiques ont pu produire des interprétations nouvelles et variées sur l'œuvre de Racine.

Alors voilà, vous avez pu voir comment évolue cette notion de classicisme à travers les siècles. Maintenant je vous propose rentrer plus en avant dans le VIIe siècle lui-même, avec plusieurs vidéos sur des sujets précis que je traite sur mon site : la querelles des Anciens et des Modernes, l'influence du protestantisme et du jansénisme sur la littérature, les liens entre le pouvoir et les arts sous Louis XIII et Louis XIV, les caractéristiques littéraires du classicisme, et quelques grands chef-d'oeuvres du classicisme au XVIIe siècle. J'ai aussi prévu de réaliser une vidéo spécialement sur une sensibilité très présente au XVIIe siècle, et qu'on a appelé finalement, le baroque !

⇨ * XVIIe siècle ⏳ La notion de classicisme à travers les siècles (PDF) *

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