La famille que je me propose d’étudier a pour caractéristique le débordement des appétits. [...] Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations.
Émile Zola, Préface de La Fortune des Rougon, 1871.
Malheureuse ! Je n’ai fait que des loups… [...] Il n’y avait qu’un pauvre enfant, et ils l’ont mangé ; chacun a donné son coup de dents [...] Ils ont tué. Et ils vivent comme des messieurs.
Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871.
Aristide voulait avoir les mains libres ; une femme et une enfant lui semblaient déjà un poids écrasant pour un homme décidé à franchir tous les fossés. [...] Son instinct de bête affamée saisissait [...] les indices de la curée chaude dont la ville allait être le théâtre.
— Qu’espérais tu donc, [...] Tu [...] m’arrives avec une détestable réputation de républicain. [...] C’est moi qui ai choisi la place, je sais ce que tu peux en tirer… [...] Seulement [...] pas de scandale [...] ou je te supprime.
— Sicardot... Ma foi, non [...] Saccard ! Il y a de l’argent dans ce nom-là ; on dirait que l’on compte des pièces de cent sous.
— Oui, un nom à aller au bagne ou à gagner des millions.
Nous mettons toutes sortes d’intentions littéraires dans les noms, [...] tout un caractère dans l’assemblage de certaines syllabes. Puis, quand nous en tenons un enfin qui nous contente, [...] nous nous habituons à lui, au point qu’il devient à nos yeux l’âme même du personnage.
Émile Zola, Lettre à Élie de Cyon, 29 janvier 1882.
Alors commença, pour le ménage, la vie monotone des petits employés. [...] Aristide frémissait de rage dans cette pauvreté, [...] où il tournait comme une bête enfermée. [...] Cet apprentissage acheva la terrible éducation de Saccard. [...] Il n’eut plus la sottise de rêver ses millions tout haut.
Il était d’une obligeance extrême, il offrait à ses camarades de les aider, [...] et il étudiait alors les registres. [...] Au bout de deux ans, l’Hôtel de Ville n’eut plus de mystères pour lui. [...] Il avait surpris le vaste projet de la transformation de Paris. [...] Dès lors, son activité eut un but.
Les clients qui venaient pour les marchandises de l’entresol entraient et sortaient [...] par la rue Papillon ; il fallait être dans le mystère du petit escalier pour connaître le trafic en partie double de la marchande de dentelles.
Elle était un véritable répertoire vivant d’offres et de demandes. [...] Elle savait où il y avait une fille à marier tout de suite, [...] une dame blonde que son mari ne comprenait pas [...] un baron [porté sur] les petits soupers et les filles très jeunes. Et elle colportait [...] des dossiers au fond de son panier [...] d’un bout de Paris à l’autre, [...] sans jamais prendre une voiture.
Une dette contractée par l’Angleterre vis-à -vis de la France, du temps des Stuarts, et dont le chiffre [...] montait à près de trois milliards.
Il reconnut cet appétit de l’argent, ce besoin de l’intrigue qui caractérisaient sa famille ; seulement, chez elle, [...] ce Paris où elle avait dû chercher le matin son pain noir du soir [...] [avait produit] cet hermaphrodisme étrange de la femme devenue [...] homme d’affaires et entremetteuse à la fois.
L'homme n'est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. [...] Notre grande étude est là , dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société.
Zola, Le Roman Expérimental, 1880.
« Ah ! si tu n’étais pas marié !... » Cette réticence, dont il ne voulut pas demander le sens complet et exact, rendit Saccard singulièrement rêveur.
Mme Sidonie [...] trouva moyen de venir chaque soir faire des tisanes, qu’elle prétendait souveraines. À tous ses métiers, elle joignait celui [de] garde-malade, se plaisant [...] aux conversations navrées [...] autour des lits de moribonds.
Un soir, le médecin leur avoua que la malade ne passerait pas la nuit. Mme Sidonie était venue de bonne heure, préoccupée, regardant [...] Angèle de ses yeux noyés où s’allumaient de courtes flammes. [...] Elle avait abandonné les potions, laissant le mal faire son œuvre.
— Je me suis occupée de toi, pour la chose que tu sais… [...] Mais, dans un pareil moment... Vois-tu, j’ai le cœur brisé.
Elle s’essuya encore les yeux. Saccard la laissa faire tranquillement, sans dire un mot. Alors elle se décida.
— C’est une jeune fille qu’on voudrait marier tout de suite [...] la chère enfant a eu un malheur.
— Eh bien ! que décides-tu ? [Il faut] livrer demain [...] le nom du coupable... Si tu acceptes, je vais leur envoyer une de tes cartes de visite.
Les yeux d’Angèle [...] avaient l’horrible étonnement d’une nature douce et inoffensive s’apercevant, à la dernière heure, des infamies de ce monde. [...] Elle s’éteignit doucement, [...] et à mesure qu’il pâlissait, ce regard prenait plus de douceur. Elle pardonna au dernier soupir.
M. Béraud du Châtel, [...] était [...] un de ces républicains de Sparte, rêvant un gouvernement d’entière justice et de sage liberté. Vieilli dans la magistrature, où il avait pris [...] une sévérité de profession, il donna sa démission de président de chambre, en 1851, lors du coup d’État.
Diderot ou Flaubert avant lui, Zola critique très vivement l’éducation que les filles reçoivent dans les couvents :
Il y a là une plaie sociale. [...] Toute association cloîtrée de personnes d’un même sexe est mauvaise pour la morale. […] La jeune fille [...] mise ignorante aux bras de son mari, [...] si elle a vécu au couvent, à coup sûr elle n’est plus innocente.
Émile Zola, La Cloche, 2 février 1870.
M. Béraud du Châtel mépriserait [...] un gendre pauvre, il l’accuserait d’avoir séduit sa fille pour sa fortune, peut-être même aurait-il l’idée de faire [...] une enquête.
— Vous ne m’avez pas dit dans quelle rue se trouve l’immeuble de deux cent mille francs ?
— Rue de la Pépinière, [...] presque au coin de la rue d’Astorg.
Cette simple phrase produisit sur lui un effet décisif. Il ne fut plus maître de son ravissement. [...] Il finit par faire la conquête de la tante Élisabeth, qui voyait avec une joie involontaire, sous les doigts de cet habile homme, le drame dont elle souffrait depuis un mois, se terminer en une comédie presque gaie.
Le lendemain du mariage, dont la présence d’Eugène Rougon, mis en vue par un récent discours, fit un événement dans l’île Saint-Louis ; les deux nouveaux époux furent enfin admis en présence de M. Béraud du Châtel.
— Monsieur, [...] nous avons beaucoup souffert. Je compte que vous nous ferez oublier vos torts.
Quand ils partirent, pour aller occuper un superbe appartement, dans une maison neuve de la rue de Rivoli, le regard de M. Béraud du Châtel n’avait déjà plus d’étonnement, et [...] Christine [considérait] son beau-frère comme un camarade.
Il fut ravi de l’aventure [...] : il avait [...] une dot superbe, une femme belle à le faire décorer en six mois. [...] On lui avait acheté deux cent mille francs son nom pour un fœtus que la mère ne voulut pas même voir.
Ce jour-là , ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s’ouvraient sur Paris. [...] Le soleil se couchait dans un nuage rouge, [...] une poussière d’or, [...] tombait sur la rive droite de la ville. [...]
— Il pleut des pièces de vingt francs dans Paris ! [...] On dirait que le quartier bout dans l’alambic de quelque chimiste.
— Oui, [...] plus d’un quartier va fondre, et il restera de l’or aux doigts des gens qui [...] remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! [...] Il ne se doute guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins.
Angèle [...] riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds. [...] Et de sa main [...] tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts.
— Regarde là -bas, du côté des Halles, [...] ils dégagent le Louvre et l’Hôtel de Ville. [...] [Puis] Le second réseau trouera la ville de toutes parts. [...] Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers, [...] traversé par d’admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers.
Angèle avait un léger frisson, devant [...] ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l’amas [...] des toits sombres. [...] Quand elle mourut, il ne fut pas fâché qu’elle emportât dans la terre ses bavardages des buttes Montmartre.
S’il avait tressailli, lorsque la tante Élisabeth lui avait indiqué l’endroit où se trouvait la maison, c’est qu’elle était située au beau milieu du tracé d’une voie dont on ne causait encore que dans le cabinet du préfet de la Seine.
Larsonneau, qu’il avait rencontré furetant comme lui dans les bureaux de l’Hôtel de Ville [...] travailla si bien, qu’il eut la maison pour cent cinquante mille francs. [...] Le mari n’intervint que pour autoriser sa femme à vendre.
Quand le marché fut conclu, elle le pria de placer en son nom cent mille francs qu’elle lui remit en toute confiance, [...] sans doute [pour] lui faire fermer les yeux sur les cinquante mille francs qu’elle gardait en poche. Il sourit d’un air fin ; il entrait dans ses calculs qu’elle jetât l’argent par les fenêtres.
Quand il posséda la maison, il eut l’habileté, en un mois, de la faire revendre deux fois à des prête-noms, en grossissant chaque fois le prix d’achat. [...] Pendant ce temps, Larsonneau [...] refusait impitoyablement de renouveler les baux, à moins qu’on ne consentît à des augmentations formidables de loyer.
Ils falsifièrent des écritures, pour établir la vente des pianos sur un chiffre énorme. [...] Ainsi travaillée, la maison tripla de valeur. Elle pouvait être estimée à cinq cent mille francs devant la commission des indemnités.
La jolie Mme Michelin [...] venait parfois excuser son mari auprès de ses chefs, lorsqu’il s’absentait pour cause d’indisposition. [...] Michelin gagnait de l’avancement à chacune de ses maladies.
Fait baron par Napoléon Ier, en récompense de biscuits avariés fournis à la Grande Armée, [...] avec son [...] allure d’éléphant, [...] il se vendait avec majesté et commettait les plus grosses infamies au nom du devoir [...]. Cet homme étonnait [...] par ses vices. [...] À deux reprises, on avait dû étouffer de sales aventures, pour qu’il n’allât pas [en] cour d’assises.
[Quand] il vendit [...] son nom à [...] [la] Société générale des ports du Maroc [...] les actionnaires accoururent, bien qu'ils [...] ne pussent expliquer eux-mêmes à quelle œuvre on allait l’employer.
Le Crédit viticole, une caisse de prêt [...] dont il parlait avec des réticences, des attitudes graves qui allumaient autour de lui les convoitises des imbéciles.
Mme Sidonie [...] promit au baron de traiter avec certaines gens, assez maladroits pour ne pas être honorés de l’amitié qu’un sénateur avait daigné témoigner à leur enfant, une petite fille d’une dizaine d’années.
— Messieurs, [...] l’Empereur veut faire de grandes choses, ne lésinons pas sur des misères…
— Si vous le permettez [...] M. le baron fera l’enquête avec moi.
— Oui, oui, [...] rien de louche ne doit entacher nos décisions.
Il n’y eut pas la moindre opposition. Ce fut ainsi qu’Aristide Saccard remporta sa première victoire. Il quadrupla sa mise de fonds et gagna deux complices.
Le Second Empire a réalisé les monstres de Balzac. [...] De nos jours, on rencontre Nucingen au détour de chaque rue.
Émile Zola, Le Rappel, 13 mai 1870.
L’hôtel Béraud, bâti vers le commencement du dix-septième siècle, était une [...] construction [...] noire et grave. [...] À l’intérieur [...] se trouvait une cour carrée, [...] une réduction de la place Royale, [...] qui achevait de [lui] donner l’apparence d’un cloître.
Dans cette maison morte, [...] il y avait [...] un trou de soleil et de gaieté. [...] C’était la « chambre des enfants ». [...] [De la fenêtre] on apercevait [...] tout ce bout de Paris qui s’étend de la Cité au pont de Bercy. [...] Mais l’âme [du] paysage, c’était la Seine [...] vivante ; [...] elle sortait [...] du bord [...] tremblant de l’horizon [...] pour couler droit aux enfants.
Aux jours misérables de ma jeunesse, j'ai habité des greniers de faubourg, d'où [...] Paris [...] dans le cadre de ma fenêtre, me semblait comme le confident tragique de mes joies et de mes tristesses. [...] Eh bien ! dès ma vingtième année, j'avais rêvé d'écrire un roman dont Paris, avec l'océan de ses toitures serait un personnage, quelque chose comme le chœur antique.
Émile Zola, Lettre-préface pour Une Page d’Amour, 1884.
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