Montrer l'homme [...] sous les influences de l'hĂ©rĂ©ditĂ© et des circonstances ambiantes, [...] vivant dans le milieu social [...] quâil modifie tous les jours, et au sein duquel il Ă©prouve Ă son tour une transformation continue.
Zola, Les Rougon-Macquart, Notes préparatoires, 1868.
VoilĂ oĂč se trouvent l'utilitĂ© pratique et la haute morale de nos Ćuvres naturalistes, [...] quand on possĂ©dera les lois, il n'y aura plus qu'Ă agir sur les individus et sur les milieux, si l'on veut arriver au meilleur Ă©tat social.
Ămile Zola, Le Roman ExpĂ©rimental, 1880.
Ah ! quelle curée que le second Empire ! DÚs le lendemain du coup d'Etat, l'orchestre a battu les premiÚres mesures de la valse, [qui est] vite [...] devenu un galop diabolique. Ils ont mis les mains aux plats, mangeant goulûment, s'arrachant les morceaux de la bouche.
Ămile Zola, Chroniques et PolĂ©miques, 13 fĂ©vrier 1870.
Quand le sanglier tombe et roule sur l'arĂšne,
Allons, allons ! les chiens sont rois !
Le cadavre est Ă nous ; payons-nous notre peine,
Nos coups de dents et nos abois.
Allons ! nous n'avons plus de valet qui nous fouaille
Et qui se pende Ă notre cou :
Du sang chaud, de la chair, allons, faisons ripaille,
Et gorgeons-nous tout notre soûl !
Auguste Barbier, Iambes, « La Curée », 1830.
Tout Paris était là : la duchesse de Sternich, en huit-ressorts ; Mme de Lauwerens, en victoria trÚs correctement attelée ; [...] Mme de Guende, en coupé, [...] la petite Sylvia dans un landau gros bleu...
MAXIME â Tiens, Laure dâAurigny, lĂ -bas, dans ce coupĂ©âŠ
[RenĂ©e clignait] des yeux, [...] son front pur traversĂ© dâune grande ride, sa bouche [avançant comme] celle des enfants boudeurs. [...]
Elle prit son binocle, [...] et, le tenant Ă la main, [...] elle examina la grosse Laure dâAurigny tout Ă son aise, dâun air parfaitement calme.
â Tu la trouves jolie ? Vous en faisiez lâĂ©loge, lâautre jour, [lors de] la vente de ses diamants !...
â Ă propos, tu nâas pas vu la riviĂšre et lâaigrette que ton pĂšre mâa achetĂ©es Ă cette vente ?
â Certes, il fait bien les choses [...] Il trouve moyen de payer les dettes de Laure et de donner des diamants Ă sa femme.
â Oh ! je voudrais bien⊠Mais non, je ne suis pas jalouse [...] Le cher homme, je le laisse bien libre. [...] Vois-tu, je mâennuie [...] je mâennuie Ă mourir.
RenĂ©e, qui avait connu en pension les deux insĂ©parables, comme on les nommait dâun air fin, les appelait Adeline et Suzanne, de leurs petits noms.
â Tu habites un hĂŽtel splendide, [...] tes caprices font loi [...] Partout, aux Tuileries, chez les ministres, chez les simples millionnaires, [...] il nây a pas de plaisir oĂč tu nâaies mis les deux pieds [...] Et tu tâennuies ! [...] Que rĂȘves-tu donc ?
â Quoi ?... autre chose, parbleu ! Je veux autre chose. Si je savais...
Elle contemplait lâĂ©trange tableau qui sâeffaçait derriĂšre elle. [...] Le lac [...] dâune propretĂ© de cristal, [...] reflĂ©tait les verdures noires, pareilles Ă des franges de rideaux savamment drapĂ©es au bord de lâhorizon.
Ce coin de nature, ce dĂ©cor qui semblait fraĂźchement peint, baignait dans une ombre lĂ©gĂšre [...] qui achevait de donner aux lointains [...] un air dâadorable faussetĂ©.
â Vrai, il y a des jours oĂč je suis tellement lasse de vivre ma vie de femme riche, adorĂ©e, saluĂ©e, que je voudrais ĂȘtre une Laure dâAurigny, [...] ça doit ĂȘtre moins fade. [...] Il faudrait autre chose ; [...] une jouissance rare, inconnue.
Elle ne clignait plus les paupiĂšres ; la ride de son front se creusait [...] ; sa lĂšvre dâenfant boudeur sâavançait, [...] en quĂȘte de ces jouissances quâelle souhaitait sans pouvoir les nommer.
â Tiens ! tu as raison, [...] câest crevant. Va, je ne mâamuse guĂšre plus que toi ; jâai souvent aussi rĂȘvĂ© autre chose... [...] Moi, je voudrais ĂȘtre aimĂ© par une religieuse. Hein, ce serait [...] drĂŽle !... Tu nâas jamais fait le rĂȘve, toi, dâaimer un homme auquel tu ne pourrais penser sans commettre un crime ?
Nous ne dĂ©crivons plus pour dĂ©crire, par un caprice et un plaisir de rhĂ©toricien. Nous estimons que lâhomme ne peut ĂȘtre sĂ©parĂ© de son milieu, quâil est complĂ©tĂ© par son vĂȘtement, par sa maison, par sa ville, par sa province.
Ămile Zola, Le Roman ExpĂ©rimental, 1880.
LâhĂŽtel disparaissait sous les sculptures. Autour des fenĂȘtres, [...] il y avait des balcons pareils Ă des corbeilles de verdure, que soutenaient de grandes femmes nues [...] Ă la voir du parc, [...] cette grande bĂątisse [...] avait [...] lâimportance riche et sotte dâune parvenue, avec son lourd chapeau dâardoises [...] CâĂ©tait [...] un des Ă©chantillons les plus caractĂ©ristiques du style NapolĂ©on III, ce bĂątard opulent de tous les styles. [...]
â Ton pĂšre dĂ©sire que tu sois trĂšs galant avec Louise.
â En voilĂ une corvĂ©e ! [...] Je veux bien Ă©pouser, mais faire sa cour, câest trop bĂȘte... Ah ! que tu serais gentille, RenĂ©e, si tu me dĂ©livrais de Louise, ce soir.
Cet homme Ă©tait superbe, tout de noir habillĂ©, [...] la face blanche, [...] lâair grave et digne dâun magistrat.
Elle se revit enfant dans [...] cet hĂŽtel silencieux de lâĂźle Saint-Louis, oĂč depuis deux siĂšcles les BĂ©raud Du ChĂątel mettaient leur gravitĂ© noire de magistrats. Puis elle songea [...] Ă ce veuf qui sâĂ©tait vendu pour lâĂ©pouser, et Ă [...] ce nom de Saccard, dont les deux syllabes sĂšches avaient sonnĂ© Ă ses oreilles [...] avec la brutalitĂ© de deux rĂąteaux ramassant de lâor. [...] Dans cette vie Ă outrance [...] sa pauvre tĂȘte se dĂ©traquait un peu plus tous les jours.
Jâai voulu montrer [...] le dĂ©traquement nerveux d'une femme dont un milieu de luxe et de honte dĂ©cuple les appĂ©tits natifs.
Ămile Zola, PrĂ©face de La CurĂ©e, 1870.
Aristide Saccard, debout auprĂšs de la porte, tout en pĂ©rorant [...] avec [...] sa verve de mĂ©ridional, [saluait] les personnes qui arrivaient. [...] De toute sa personne [...] ce quâon voyait le mieux, câĂ©tait la tache rouge du ruban de la LĂ©gion dâhonneur quâil portait trĂšs large.
Quand RenĂ©e entra, il y eut un murmure dâadmiration. Elle Ă©tait vraiment divine. [...] DĂ©colletĂ©e jusquâĂ la pointe des seins [...] la jeune femme semblait sortir toute nue de sa gaine [...] de satin, pareille Ă [...] ces nymphes dont le buste se dĂ©gage des chĂȘnes sacrĂ©s [...] Elle avait, au cou, une riviĂšre Ă pendeloques, dâune eau admirable, et, sur le front, une aigrette [...] [constellĂ©e] de diamants.
â Câest la riviĂšre et lâaigrette, nâest-ce pas ?...
Toutes les femmes se rĂ©pandirent en Ă©loges [...] [oĂč] perçait le dĂ©sir de sentir sur leur peau nue un de ces bijoux que tout Paris avait vus aux Ă©paules dâune impure illustre.
Une vaste piĂšce carrĂ©e, dont les boiseries [...] [Ă©taient] ornĂ©es de minces filets dâor. [...] Quatre grands panneaux [...] mĂ©nagĂ©s de façon Ă recevoir des peintures de nature morte [...] Ă©taient restĂ©s vides, le propriĂ©taire de lâhĂŽtel ayant sans doute reculĂ© devant une dĂ©pense purement artistique.
Sidonie Rougon, la sĆur de Saccard, se trouve entre Mignon et Charrier, deux entrepreneurs, anciens maçons enrichis. Elle va les amadouer pour faciliter les affaires de son frĂšre.
Seule dĂ©ception de Saccard : son frĂšre, le ministre EugĂšne Rougon, nâa pas pu venir. Il a envoyĂ© son jeune secrĂ©taire, M. de SaffrĂ© Ă la place. Ce dernier sera accaparĂ© toute la soirĂ©e par Mme Michelin, la femme du chef de bureau de la voirie, qui, lui, se contente de sourire en laissant sa femme travailler Ă son avancement.
RenĂ©e, [...] avait, Ă sa droite le baron Gouraud, Ă sa gauche M. Toutin-Laroche, ancien fabricant de bougies, [...] conseiller municipal, membre du conseil de surveillance de la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale des ports du Maroc, directeur du CrĂ©dit Viticole [...] homme considĂ©rable [...] que Saccard, placĂ© en face [...] appelait dâune voix flatteuse tantĂŽt : « Mon cher collĂšgue », et tantĂŽt : « Notre grand administrateur ».
â La transformation de Paris [...] sera la gloire du rĂšgne. Le peuple est ingrat : il devrait baiser les pieds de lâempereur. Je le disais ce matin au Conseil [...] « Messieurs, laissons dire ces braillards de lâopposition : bouleverser Paris, câest le fertiliser. »
SACCARD â Vous avez fait des miracles [...] Paris est devenu la capitale du monde.
HUPEL DE LA NOUE â Et nâoubliez pas le cĂŽtĂ© artistique ; les nouvelles voies sont majestueuses.
M. HAFFNERâ Quant Ă la dĂ©pense, [...] nos enfants la paieront, et rien ne sera plus juste.
Et comme, en disant cela, il regardait M. de SaffrĂ© [...] le jeune secrĂ©taire, pour paraĂźtre au courant de ce quâon disait, rĂ©pĂ©ta :
â Rien ne sera plus juste, en effet.
M. Michelin, [...] souriait [...] ; câĂ©tait [...] sa façon de prendre part Ă une conversation ; [...] ce quâil jugeait sans doute [...] plus favorable Ă son avancement. Un autre personnage Ă©tait Ă©galement restĂ© muet, le baron Gouraud qui mĂąchait lentement comme un bĆuf aux paupiĂšres lourdes. [...]
M. MIGNON â Vous avez bien raison, [...] nous vivons dans un bon temps. [...] Jâen connais [...] qui ont joliment arrondi leur fortune. [...] Quand on gagne de lâargent, tout est beau.
[Nous pleurons] l'ancien Paris artiste, [...] oĂč il existait des groupes, des voisinages, des quartiers, des traditions [...] Nous accusons l'administration prĂ©fectorale d'obĂ©ir Ă l'idĂ©e fixe et Ă l'esprit de systĂšme, d'avoir immolĂ© l'avenir Ă ses caprices, d'avoir englouti le patrimoine des gĂ©nĂ©rations futures ; de nous mener sur la pente des catastrophes.
Article de Jules Ferry, Le Temps, « Les Comptes Fantastiques dâHaussmann », 1867.
RENĂE â Par grĂące, mon ami, ayez un peu pitiĂ© de nous, [...] laissez lĂ votre vilaine politique.
Alors, M. Hupel de la Noue, [...] dit que ces dames avaient raison. Et il entama le rĂ©cit dâune histoire scabreuse qui sâĂ©tait passĂ©e dans son chef-lieu. Les [...] dames rirent beaucoup de certains dĂ©tails. Le prĂ©fet contait [...] avec [...] des inflexions de voix, qui donnaient un sens trĂšs polisson aux termes les plus innocents.
Dans l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire, La Curée est la note de l'or et de la chair.
Ămile Zola, PrĂ©face de La CurĂ©e, 1870.
Un vent chaud semblait avoir soufflĂ© sur la table, [...] Ă©miettĂ© le pain, [...] rompu la belle symĂ©trie du service. [...] Et les convives sâoubliaient lĂ [...] en face des dĂ©bris du dessert.
â Elle me traite comme si tout Ă©tait fini entre nous ? Quel crime ai-je pu commettre ?
â Câest convenu, [...] je lui dirai un mot ; mais [...] je ne promets rien ; elle va mâenvoyer coucher, câest sĂ»r.
â Jâai bien fait de ne pas te dĂ©livrer de Louise. Vous allez vite tous les deux.
â Est-ce que tu crois [...] que je lui ai pincĂ© les genoux sous la table ? Que diable, on sait se conduire avec une fiancĂ©e !...
â Il avait lâair vraiment dĂ©sespĂ©rĂ©, [...] vrai, je te trouve cruelle. [...] Ă ta place, je lui enverrais au moins une bonne parole.
RenĂ©e le regardait dâun air indĂ©finissable.
â Va dire Ă M. de Mussy quâil mâembĂȘte.
â Ah ! voilĂ mon petit mari ! [...] Dites-moi dans quel fauteuil mon pĂšre a pu sâendormir. Il se sera dĂ©jĂ cru Ă la Chambre.
Les jeunes gens retrouvĂšrent leurs grands Ă©clats de rire du dĂźner [...] se croyant seuls, sans mĂȘme apercevoir RenĂ©e, debout au milieu de la serre, Ă demi cachĂ©e, qui les regardait de loin.
Les larges fleurs du grand Hibiscus de la Chine [semblaient] des bouches sensuelles de femmes, [...] les lÚvres rouges, [...] de quelque Messaline géante, [...] des baisers [...] qui toujours renaissaient avec leur sourire avide et saignant.
DerriĂšre elle, un grand sphinx de marbre noir, [...] avait un sourire de chat discret et cruel ; [...] comme sâil avait lu [...] le dĂ©sir [...] fuyant, « lâautre chose » vainement cherchĂ©e par RenĂ©e. [...]
Lâarbuste derriĂšre lequel elle se cachait [...] Ă©tait une plante maudite, un tanghin de Madagascar, [...] dont les moindres nervures distillent un lait empoisonnĂ©. Et, [...] comme Louise et Maxime riaient plus haut [...] RenĂ©e [...] prit entre ses lĂšvres un rameau du tanghin [...] et mordit une des feuilles amĂšres.
âšÂ * Ămile Zola, La CurĂ©e đïž Chapitre I (diaporama de la vidĂ©o) *
âšÂ * Ămile Zola, La CurĂ©e đš Portraits des personnages *
âšÂ * Ămile Zola, La CurĂ©e - Paris et ses transformations *
âšÂ * Ămile Zola, La CurĂ©e đ Chapitre 1 (axes de lecture) *
âšÂ * Zola, La CurĂ©e đ Chapitre I (lecture accompagnĂ©e PDF) *
âšÂ * Zola, La CurĂ©e đ§ Chapitre 1 (rĂ©sumĂ©-analyse en podcast) *
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