Apollinaire, Alcools Le Pont Mirabeau
(Explication linéaire)
Notre étude porte sur le poème entier
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Introduction
Quand Apollinaire fréquentait Marie Laurencin, ils traversaient souvent ensemble ce pont Mirabeau. Dans ce poème, il se remémore cette époque. Le pont Mirabeau, construit 20 ans auparavant, en 1893, avec sa structure en métal, incarne bien la modernité en ce début de XXe siècle. Apollinaire la revendique et cite la tour Eiffel dans « Zone », qui ouvre le recueil d’Alcools.
Et en même temps dans ce poème, Apollinaire multiplie les clins d’oeils à une longue histoire littéraire. Il déclame même Le Pont Mirabeau avec une sorte de lyrisme exacerbé, très étrange, lorsqu’il est enregistré en 1911 par le linguiste Ferdinand Brunot :
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
C’est tout le paradoxe de ce poème : inspiré par une histoire d’amour singulière, une époque marquée par un renouveau incroyable des arts : la peinture, le cinéma, l’architecture… Apollinaire mène une réflexion sur le temps, où le transitoire rejoint l’éternel. Il réalise peut-être ce que Baudelaire appelait de ses voeux dans son Peintre de la vie Moderne :
La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, 1885.
Problématique
Comment ce pont Mirabeau permet-il à Apollinaire de donner une forme poétique moderne au topos littéraire traditionnel de la perte amoureuse et du temps qui passe ?
Axes de lecture utiles pour un commentaire composé
> Une inscription dans un héritage culturel allant de l’antiquité aux symbolistes, en passant par le moyen-âge et la renaissance.
> La dimension picturale d’un poème à une époque où la peinture et le cinéma connaissent un essor exceptionnel.
> Un lyrisme qui tend vers l’élégie : la douleur amoureuse, le deuil, la mélancolie.
> Une écriture libre, où l’évocation et la musicalité prennent le pas sur les règles ou les conventions.
> Une réflexion profonde sur le temps, où l’éternel se mêle au transitoire.
> Une expérience à la fois personnelle et universelle.
Premier mouvement :
L'évocation d'un souvenir douloureux
Regardons un peu la forme générale du poème. Un même refrain revient à chaque fois. C’est un distique formé de 2 heptasyllabes, c’est-à-dire, des vers de 7 syllabes. Apollinaire fait implicitement référence à L’Art Poétique de Verlaine :
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Paul Verlaine, Jadis et Naguère, « Art Poétique », 1874.
De cette manière Apollinaire revendique une certaine réaction à l’égard du classicisme. Les autres vers sont des décasyllabes : un nombre pair, mais ce n’est pas non plus l’alexandrin classique.
En plus, le vers du milieu est coupé en deux : un tétrasyllabe et un hexasyllabe, 4 + 6 = 10. C’est la césure du décasyllabe : la pause naturelle dans un vers long. Mais justement, vous allez voir à la lecture que cette respiration n’est pas respectée partout. Apollinaire montre qu’il connaît les règles classiques, sans se soucier de les suivre.
Cette disposition étrange permet aussi de donner au texte une forme d’ondulation. C’est Apollinaire lui-même qui a voulu ces alinéas de taille variées. Quelques années plus tard, il fera ses premiers Calligrammes : le poème est pour lui en même temps un idéogramme et une calligraphie.
Les rimes sont uniquement féminines : elles se terminent par un -e muet. Pourquoi ce choix ? Ce sont des sonorités qui font résonner les voyelles et notamment le son EU « sonne l’heure … je demeure ». Le retour inéluctable des heures, c’est un thème typiquement élégiaque, qui s’inscrit ici directement dans la musicalité des mots.
Deuxième explication : les vers qui se terminent par des rimes masculines (c'est-à-dire n’importe quelle sonorité à part le -e muet) sont en fait des vers tranchés, isolés au sein de chaque strophe. On peut y voir la solitude du poète, inscrite dans les sonorités du poème.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vous connaissez les marques du lyrisme : des émotions exprimées de manière musicale à la première personne. La musique est bien présente, à travers les allitérations, le retour de sons consonnes, en M et en L à travers tout le poème. La première personne est présente au singulier et au pluriel. Mais elle disparaît complètement des deux derniers quatrains. La plainte lyrique du poète se fond dans une plainte universelle.
Le jeu avec les personnes est particulièrement intéressant. La première personne du pluriel est mystérieuse : « nos amours »… On suppose que c’est Apollinaire et Marie Laurencin, mais il n’y a pourtant pas de destinataire, pas de prénom, pas de deuxième personne. Cette histoire d’amour en particulier représente l’amour en général.
La troisième personne entre dans une construction impersonnelle « faut-il » : elle n’a pas de référent. Ensuite, la troisième personne désigne le pont : « qu’il m’en souvienne ». L’expression « je m’en souviens » a été complètement transformée pour évacuer la première personne du poète, qui est comme dépossédé de son histoire personnelle, c’est le pont qui va rappeler le souvenir raconté à travers le poème.
D’ailleurs, le pont Mirabeau a un nom propre, qui est aussi un mot-valise (un mot composé de plusieurs mots) : le verbe « mirer », l’adjectif « beau », et pourquoi pas, l’eau qui coule, elle-même. On se mire dans un miroir — l’eau est un miroir ! — et en effet, quand on pense aux tableaux impressionnistes, pointillistes et même cubistes, le pont qui se reflète est presque un cercle.
La lettre O est présente visuellement partout dans le poème, dans une variété d’assonances, des retours de sons voyelles en O , OU, ON. Si le pont Mirabeau et sa structure en métal représentent la modernité et l’aventure personnelle du poète, c’est aussi un nom évocateur qui garde du sens, détaché de tout contexte.
Le premier verbe « couler » est probablement au présent d’énonciation, pour une action qui se déroule au moment où l’on parle. Mais c’est peut-être aussi un présent de vérité générale : une action qui reste vraie en tout temps. Et dans ce cas, le pont Mirabeau devient n’importe quel pont, la Seine devient n’importe quel fleuve. L’histoire d’amour du poète est une histoire universelle.
De même pour « la joie » et « la peine » : les article définis peuvent désigner les émotions d’Apollinaire et de Marie, ou alors, ce sont des articles génériques, qui désignent les notions générales de joie et de peine. Apollinaire s’arrange toujours pour faire cohabiter le personnel et l’universel.
Juste avant la première publication, Apollinaire a supprimé la ponctuation, du coup, « Nos amours » peut être interprété comme le sujet du verbe « couler ». Cela construit une métaphore : les amours coulent, comme le fleuve, c’est-à-dire qu’elles passent et disparaissent. C’est l’image même qu’utilise le philosophe Héraclite au VIe siècle avant J.-C. : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »
« Nos amours » est aussi le complément d’objet du verbe « souvenir » : elles coulent, mais aussi, elles restent dans le souvenir. En plus, « amour » forme une rime interne avec le mot « toujours » : on est du côté de la permanence.
Par contre, l’imparfait est cruel, du côté de l’éphémère, pour des actions répétées dans un passé révolu. « La joie venait après la peine » mais ce n’est plus le cas : on se dirige vers une tonalité mélancolique.
« Souvienne » rime avec « peine » : c’est le thème de la nostalgie. Au subjonctif, le souvenir reste sur le mode de la virtualité, une interrogation en suspens, qui est renforcée par l’inversion du sujet « Faut-il » se souvenir ? Faut-il oublier ?
On peut aussi se demander à qui s’adresse cette question : pas de dialogue ici, c’est un monologue (le poète se parle à lui-même)... Ou peut-être une sorte d’aparté, comme au théâtre (les paroles ne sont entendues que par les spectateurs). Le dernier vers surgit comme une pensée, sans transition : c’est une parataxe : la juxtaposition de propositions sans liaison. Le poète pense, dans la solitude.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Ce sont maintenant des heptasyllabes, du coup, les « i » du premier vers sont prononcés avec la voyelle qui suit « vienne la nuit » et non pas « vi-enne » ou « nu-it »... Ce sont des synérèses : une syllabe contient deux voyelles. Cette liberté d’écriture crée un effet musical de précipitation, qui imite le passage rapide du temps.
La musicalité est même présente de façon thématique, avec le verbe « sonner » : « Sonne l’heure » est directement emprunté à un poème de Verlaine :
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure Paul Verlaine, Poèmes Saturniens, 1866.
En imitant le rythme de ce poème de Verlaine, Apollinaire enchaîne les propositions les unes après les autres. Il manque manifestement des mots de liaison : c’est une asyndète : l’omission des liens logiques entre plusieurs propositions. Cette musicalité un peu précipitée représente bien le temps qui nous échappe.
Il manque aussi les « que » explétifs qui introduisent normalement le subjonctif. Du coup, la valeur de ce mode devient flottante : on peut penser à l’hypothèse « si la nuit vient », le souhait « que la nuit vienne donc », la concession « même si la nuit vient ... alors je demeure » Finalement, peu importe la volonté de celui qui parle, le passage du temps a un caractère fatal, inéluctable.
C’est le thème traditionnel des vanités en peinture, qui rejoint la mélancolie propre à l’élégie : si tout se termine par la mort, alors pourquoi vivre ? Les vanités prennent leur nom d’une citation du livre de l’Ecclésiaste, dans l’Ancien Testament : « Vanitas vanitatum omnia vanitas : vanité des vanités, tout n’est que vanité. »
La nuit et l’heure au singulier deviennent les jours au pluriel. Cela crée un effet d’accélération. De même, le verbe venir entre en écho avec le verbe s’en aller, qui ont la même initiale en V , cela évoque peut-être la vitesse… En plus, ces verbes de mouvement s’opposent entre eux : le premier signifie plutôt « arriver » le deuxième : « partir ». Le temps passe rapidement et inéluctablement.
Le champ lexical du temps est donc associé au mouvement avec des effets d’accélération, mais tout cela est s’oppose soudainement au verbe « demeurer ». C’est une antithèse : le rapprochement de termes contradictoires. Dans ce poème, il semblerait que le passage du temps révèle paradoxalement quelque chose de permanent, qui se cache sous cette première personne, la voix du poète.
Quand on regarde les sujets, ils sont d’abord postposés, c’est à dire, placés derrière le verbe dans le premier vers. Puis, ils sont antéposés, placés devant le verbe. Cela crée un effet d’accélération, et en même temps, cela forme un chiasme : une structure en miroir. La 1ère personne du singulier se retrouve comme isolée à la fin. Le poète qui reste seul, méditant sur la mort et le passage du temps, c’est un thème central de l’élégie.
Ce « Je demeure » final et mystérieux est certainement une réminiscence de François Villon, un poète du 15e siècle qu’Apollinaire aimait particulièrement. Dans son Testament, il écrit :
Je plains le temps de ma jeunesse,
Auquel j’ay plus qu’autre gallé
Jusqu’à l’entrée de vieillesse
Qui son partement m'a celé :
[...]
Allé s’en est, et je demeure,
Povre de sens et de savoir,
Triste, failly, plus noir que meure [...] François Villon, Testament, 1461.
Normalement, notamment dans le lyrisme romantique, le poète songe à sa propre mort : les êtres humains meurent ; ce qui demeure, c’est la Nature. Le meilleur exemple, c’est certainement « Le Lac » le poème de Lamartine dans ses Méditations Poétiques :
« L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir ! Lamartine, Méditations poétiques, « Le Lac », 1820.
Apollinaire au contraire fait exprès de jouer sur l’ambiguïté : dans « demeure » il y a « meurt » (le verbe mourir à la troisième personne). Il y a aussi « de », le chiffre 2 peut-être. C’est le couple qui meurt, tandis que la voix du poète persiste. Au-delà d’une histoire d’amour individuelle se cache un témoignage universel.
La demeure, c’est aussi une construction architecturale, cela donne au poète un point commun avec le pont Mirabeau. Or le pont Mirabeau, c’est aussi le titre du poème : la poésie est elle-même un monument qui traverse les âges. On comprend alors pourquoi Apollinaire est tellement sensible à l’héritage des siècles passés.
Deuxième mouvement :
Un amour voué à disparaître
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
« Les mains dans les mains ... face à face » la répétition musicale des mots insiste sur la symétrie de l’image : les mains et les visages sont en miroir. C’est presque un pictogramme ou une figure hiératique comme en trouve dans la peinture symboliste. On touche à un symbole universel : le lien entre deux amants.
Mais dans ce poème, la dimension universelle prend toujours sa source dans une histoire personnelle : le poète s’adresse à son amante à la première personne du pluriel. C’est une analepse, un retour dans le passé. On entre maintenant dans le souvenir qui était annoncé dans le premier quatrain.
Mais c’est une image ambiguë. Normalement, l’expression figée « main dans la main » représente des amants proches l’un de l’autre, en route vers un horizon commun. Ici ce n’est pas le cas, le pluriel crée une distance entre eux. La métaphore du « Le pont de nos bras » illustre bien le paradoxe de ce symbole du pont : le lien entre deux rives pourtant irrémédiablement séparées.
Le verbe rester à la première personne du pluriel et à l’impératif représente le lien et la stabilité. Mais le connecteur temporel « tandis que » est en même temps un lien d’opposition, il annonce la caractère fugace irrémédiable du temps : l’enjambement oblige le lecteur à lire le vers d’une traite.
La dernière image du quatrain est particulièrement riche. Le complément du nom est antéposé, c’est « l’onde des éternels regards » qui est « lasse ». En même temps, c’est une hypallage : un adjectif qui n’est pas attaché au nom qu’il devrait qualifier naturellement. On attendrait que la lassitude qualifie les regards qui passent. Et inversement, c’est l’onde qui devrait être éternelle. Les deux notions opposées sont mélangées.
Cela crée une métaphore qui joue avec toutes ces notions : les regards sont comme une onde : ils passent et sont toujours renouvelés. Dans Paris, chaque passant est éphémère, mais le flux des passants est constant. En ce début de XXe siècle, Apollinaire est évidemment fasciné par la naissance du cinéma : les images qui se succèdent donnent l’illusion d’une continuité.
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Après la scène des amants qui se tiennent les mains, « l’amour s’en va » : le poème suit une chronologie. C’est en plus une anaphore rhétorique : une répétition en début de vers. Le verbe « s’en aller » se retrouve aussi à chaque refrain : comme si le mouvement de l’amour qui s’en va était démultiplié. L’absence de ponctuation favorise l’enjambement « l’amour s’en va comme la vie est lente » : le poète joue avec le rythme et le déroulement inéluctable du temps.
On est passé d’un article possessif pluriel « nos amours » dans le premier quatrain, à un article défini singulier « l’amour » qui est en plus accompagné d’un présent de vérité général « l’amour s’en va » : le parcours que le poète nous fait suivre, nous mène du particulier au général.
Apollinaire reprend les mots de Ronsard, dans son très célèbre sonnet à Marie :
Le temps s'en va, le temps s'en va ma Dame,
Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame, Pierre de Ronsard, Les Amours, « Sonnet à Marie », 1552.
L’adverbe de comparaison « comme » est répété trois fois, ce qui permet de filer une métaphore : l’eau ressemble à l’amour ; courante, elle passe. C’est un mouvement à la fois lent, comme la vie, et violent, comme l’Espérance. La rime rapproche les trois mots, la lenteur est même entièrement contenue dans la violence. C’est paradoxal : cela contredit le sens commun : normalement, la violence est du côté de la vitesse. Le passage du temps est ambigu, il s’apparente presque à une torture psychologique.
Que signifie cette « Espérance violente » ? La métrique oblige à prononcer la diérèse : chaque voyelle compte pour une syllabe entière. Au niveau du sens, c’est clairement un oxymore : l’association de deux termes contradictoires. Normalement, l’espérance porte en soi la douceur. Il me semble que c’est la persistance de l’espoir qui est violente, la force de cette volonté qui demeure, malgré les ruptures.
La répétition du mot « comme » a plusieurs effets. D’abord, c’est un effet musical, le passage du temps est illustré par ces échos en « co ». Il y a aussi une ambiguité sur sa nature grammaticale. Avec une ponctuation forte à la fin de chaque vers, il pourrait tout aussi bien être un adverbe exclamatif « Comme la vie est lente ! » cela renforce la plainte du poète.
La majuscule au mot Espérance construit une allégorie : la personnification d’un concept abstrait. De même, l’amour s’en va, et l’eau court. Tous ces éléments entrent dans une logique de personnification. Au-delà de son histoire d’amour personnelle, le poète est en interaction avec des symboles vivants, des concepts universels.
Troisième mouvement :
Persistance des souvenirs
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Le temps s’allonge, les « jours » deviennent des « semaines », le verbe « passer » est repris, répété, au point même qu’on peut se demander si le mot « passé » est un adjectif ou un participe passé. L’allitération en S laisse entendre ce passage du temps. Il manque des mots « ni le temps passé, ni les amours ne reviennent » comme en Ancien français où justement les articles et les adverbes sont parfois supprimés. Cela donne une tournure vieillie à ces vers. Le poète joue avec ce qui passe et ce qui perdure.
« Les amours » reviennent cette fois au pluriel. Ce n’est plus ni l’histoire personnelle ni le sentiment amoureux général, mais la variété des couples qui se sont formés et qui appartiennent au passé. Apollinaire opère ainsi une sorte de multiplication simultanée des points de vue, c’est frappant, car c’est justement la synthèse qui est proposée au même moment dans la peinture cubiste. Vous savez qu’Apollinaire était proche de Picasso.
La négation revient de manière insistante avec les conjonctions de coordination : « ni … ni » qui forment une anaphore rhétorique. Dans cette construction, le temps est mis en parallèle avec les amours : on peut y voir une métaphore, comme si les amours étaient finalement la matière même du temps qui passe, obéissant à la même loi tragique de l’absence.
Derrière ce motif de l’absence, se cache bien sûr le mythe d’Orphée, ce poète qui va jusqu’aux Enfers retrouver sa compagne Eurydice. Mais au moment de sortir, il se retourne trop tôt, et la perd définitivement...
Le poème se termine avec le retour de la rime en -eine « Seine … peine … souvienne // semaines … reviennent … Seine » Le dernier vers est le même que le premier, c’est ce qu’on appelle une antépiphore, le retour de termes en début et en fin d’un passage. Pourtant, le poète nie justement le retour « ni les amours reviennent ». L’effet de boucle ne représente pas le retour de l’amour : ce qui revient de façon lancinante, dans ce poème, c’est le souvenir.
Conclusion
Dans ce poème Apollinaire chante les thèmes traditionnels de l’élégie : la douleur amoureuse, le deuil du temps qui passe, la mélancolie. Il s’inscrit dans un héritage culturel très riche, de l’antiquité au symbolisme en passant par le moyen-âge et la renaissance.
Et pourtant, il va aussi utiliser des images et des procédés modernes, qui peuvent rappeler l’impressionnisme, le cubisme, et même le cinéma. Cette modernité se manifeste dans la liberté d’écriture d’Apollinaire, qui met l’image et la musicalité avant tout.
Apollinaire cultive le paradoxe : dans sa réflexion sur le temps, l’éternel se mêle sans cesse au transitoire. À travers la poésie, son histoire d’amour singulière et parisienne se reflète et se démultiplie, comme une expérience universelle.
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