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Lamartine, Les Méditations poétiques « Le Soir » (explication linéaire)
Notre étude porte sur le poème entier
Le soir ramène le silence.
Assis sur ces rochers déserts,
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s'avance.
Vénus se lève à l'horizon ;
A mes pieds l'étoile amoureuse.
De sa lueur mystérieuse
Blanchit les tapis de gazon.
De ce hêtre au feuillage sombre
J'entends frissonner les rameaux :
On dirait autour des tombeaux
Qu'on entend voltiger une ombre.
Tout à coup détaché des cieux,
Un rayon de l'astre nocturne,
Glissant sur mon front taciturne,
Vient mollement toucher mes yeux.
Doux reflet d'un globe de flamme,
Charmant rayon, que me veux-tu ?
Viens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumière à mon âme ?
Descends-tu pour me révéler
Des mondes le divin mystère?
Les secrets cachés dans la sphère
Où le jour va te rappeler?
Une secrète intelligence
T'adresse-t-elle aux malheureux ?
Viens-tu la nuit briller sur eux
Comme un rayon de l'espérance ?
Viens-tu dévoiler l'avenir
Au coeur fatigué qui t'implore ?
Rayon divin, es-tu l'aurore
Du jour qui ne doit pas finir ?
Mon coeur à ta clarté s'enflamme,
Je sens des transports inconnus,
Je songe à ceux qui ne sont plus
Douce lumière, es-tu leur âme ?
Peut-être ces mânes heureux
Glissent ainsi sur le bocage ?
Enveloppé de leur image,
Je crois me sentir plus près d'eux !
Ah ! si c'est vous, ombres chéries !
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries.
Ramenez la paix et l'amour
Au sein de mon âme épuisée,
Comme la nocturne rosée
Qui tombe après les feux du jour.
Venez !... mais des vapeurs funèbres
Montent des bords de l'horizon :
Elles voilent le doux rayon,
Et tout rentre dans les ténèbres.
Introduction
Lorsque Lamartine écrit ce poème, Le Soir, il vient d'apprendre la mort de sa bien-aimée, Julie Charles, qu'il considérait comme sa muse, et qu'il appelle souvent Elvire. La jeune femme a été emportée à l'âge de 33 ans par une phtisie, une maladie de poitrine.
Lamartine s'isole et aspire à la rejoindre dans la mort. Les poèmes qu'il écrit pendant cette période partent d'une contemplation de la Nature pour mieux mener une méditation sur le passage du temps et la brièveté de la vie. C'est le cas pour ce poème Le Soir, où le spectacle du crépuscule lui inspire des pensées funèbres.
Problématique
Comment Lamartine met-il en scène sa contemplation de la tombée de la nuit pour exprimer sa mélancolie et mener une réflexion philosophique et spirituelle sur la brièveté de la vie ?
Axes de lecture utiles pour un commentaire composé
> Le lyrisme lamartinien
> La mise en scène de la parole du poète
> Une réflexion sur la brièveté de la vie
> Une poésie philosophique et spirituelle
> La poésie transfigure la Nature
> La tentation de la mort
> Deuil et mélancolie
Premier mouvement :
Une Nature symbolique
Le soir ramène le silence.
Assis sur ces rochers déserts,
Je suis dans le vague des airs
Le char de la nuit qui s’avance.
Vénus se lève à l’horizon ;
À mes pieds l’étoile amoureuse
De sa lueur mystérieuse
Blanchit les tapis de gazon.
De ce hêtre au feuillage sombre
J’entends frissonner les rameaux :
On dirait autour des tombeaux
Qu’on entend voltiger une ombre.
Le poème s'ouvre sur l'image du poète qui prend la posture du promeneur contemplatif dans la Nature, assis sur un rocher : lui est immobile mais le décor autour de lui est en mouvement avec le char de la nuit qui s'avance. C'est cela qui est novateur en ce début du XIXe siècle, désormais, le poète romantique assume sa subjectivité. Il ne s'efface plus devant l'art comme dans la tradition classique.
Ce lieu commun du poète qui s'isole dans la Nature pour méditer fait référence aux Rêveries du Promeneur Solitaire que Rousseau publie une dizaine d'années auparavant :
Sitôt que je me vois sous les arbres, au milieu de la verdure, je crois me voir dans le paradis terrestre et je goûte un plaisir interne aussi vif que si j’étais le plus heureux des mortels.
La lune est présente à travers une allégorie : le char de la nuit s'avance. L'éclairage de la scène change : la lueur mystérieuse blanchit le gazon. C'est un moment privilégié de contemplation et de méditation, un moment d'entre deux suspendu entre la nuit et le jour. Comme un peintre qui joue avec les couleurs et les lumières, le poète parvient à saisir un moment d'éternité.
La métrique de ce poème est particulièrement intéressante. Alors que la plupart des vers des Méditations Poétiques sont des alexandrins, ce poème est entièrement rédigé en octosyllabes. Alors que l'alexandrin est grand et noble, l'octosyllabe est plutôt un signe d'humilité et de simplicité. Le poète se sent humble au sein de cette grande Nature.
En plus, l'octosyllabe est un mètre ancien dans la langue française, utilisé dès le moyen-âge par Chrétien de Troyes ou Marie de France par exemple. Il fait donc référence à un passé lointain et idéalisé : c'est peut-être ici une marque de nostalgie. Le poète songe au passage du temps et à la disparition des moments heureux.
Les rimes vont dans le même sens. Ce sont des rimes embrassées, et ici les rimes masculines embrassent les rimes féminines. Pour rappel, les rimes féminines sont celles qui se terminent par un -e muet, les rimes masculines sont toutes les autres. Cela représente un échange : le poète met en scène son poème et sa parole.
Ce n'est pas un hasard si l'étoile qui apparaît porte le nom de la déesse de l'amour. L'adjectif « amoureuse » insiste sur le symbole. C'est aussi l'étoile polaire, la première étoile qui apparaît au crépuscule, et qui indique le nord. Symboliquement, la fin de la journée, le froid du nord, la lumière blanche, tout cela fait référence à la mort. Cette étoile rappelle au poète son amour disparu, elle fait surgir tous les souvenirs liés à Elvire.
De même l'arbre a une dimension symbolique : c'est le lien entre la terre et le ciel. La méditation poétique élève l'âme aux pensées spirituelles. D'ailleurs, les sensations visuelles laissent place aux sensations auditives, plus éthérées. Il introduit l'évocation de la mort : les ombres qui sont au ciel et les tombeaux qui sont sous terre.
Par ailleurs, le hêtre est symbole de sagesse et de patience, et c'est aussi un homophone du verbe être : la poésie est un moyen privilégié d'aborder la question philosophique de l'existence, de la vie et de la mort.
Premier mouvement :
Une Nature symbolique
Tout à coup, détaché des cieux,
Un rayon de l’astre nocturne,
Glissant sur mon front taciturne,
Vient mollement toucher mes yeux.
Doux reflet d’un globe de flamme,
Charmant rayon, que me veux-tu ?
Viens-tu dans mon sein abattu
Porter la lumière à mon âme ?
Descends-tu pour me révéler
Des mondes le divin mystère,
Ces secrets cachés dans la sphère
Où le jour va te rappeler ?
La description laisse place à un discours narratif, avec l'adverbe « tout à coup ». Le décor s'anime avec des verbes d'action : le rayon glisse et vient toucher les yeux du poète. C'est une personnification : le rayon est comparable à un ange qui vient porter un message au poète. L'adjectif « charmant » est aussi riche de sens. Étymologiquement, il provient du latin carmen qui désigne à la fois le charme magique et le chant poétique. Chez Lamartine, la poésie transfigure la Nature pour lui donner un sens.
Le poète est toujours au cœur de la scène : le lecteur suit ses pensées et son regard, qui sont mentionnés à travers le front et les yeux. Les éléments du décor s'éclipsent devant cette lumière qui prend tout l'espace et vient impressionner le poète jusque dans son intériorité. La scène est entièrement construite à travers la subjectivité du poète.
D'ailleurs, l'esprit du poète est désormais au-delà de la terre : le soleil est un globe enflammé, une sphère qui cache des secrets de mondes au pluriel mystérieux. La poésie permet d'atteindre des vérités inatteignables autrement.
Toutes les marques du lyrisme sont bien présentes ici : la première personne du singulier : mon front, mon sein, mon âme, me révéler… Le poète exprime sa douleur : mon front taciturne, mon sein abattu. La musicalité des vers est particulièrement recherchée avec les chuintantes « détaché » qui forme une rime interne avec « toucher » on peut aussi relever « charmant » et « cacher ». Ces allitérations miment le chuchotement : c'est une poésie de l'intimité. Tout cela constitue ce qu'on appelle le lyrisme lamartinien.
Le poète entame un véritable dialogue avec ce rayon, il lui pose de nombreuses questions. « Que me veux-tu ? ... Viens-tu porter … ? Descends-tu me révéler … ? » Ces questions ne sont pas rhétoriques, elles attendent une réponse. Le verbe « révéler » implique même tout un discours. Le poète met en scène sa propre parole comme un dialogue avec la lumière.
La première question est ouverte, les deux suivantes sont fermées. Une question fermée, c'est une question à laquelle on ne peut répondre que par oui ou par non. Cela permet à Lamartine de présupposer le rôle du rayon : il vient porter la lumière, révéler des mystères. Il est porteur de vérités profondes et spirituelles.
Deuxième mouvement :
Une Nature porteuse de vérités spirituelles
Une secrète intelligence
T’adresse-t-elle aux malheureux ?
Viens-tu, la nuit, briller sur eux
Comme un rayon de l’espérance ?
Viens-tu dévoiler l’avenir
Au cœur fatigué qui l’implore ?
Rayon divin, es-tu l’aurore
Du jour qui ne doit pas finir ?
Mon cœur à ta clarté s’enflamme,
Je sens des transports inconnus,
Je songe à ceux qui ne sont plus :
Douce lumière, es-tu leur âme ?
Peut-être ces mânes heureux
Glissent ainsi sur le bocage.
Enveloppé de leur image,
Je crois me sentir plus près d’eux ?
Le poète interprète le rayon de lune qui tombe sur lui. Il fait trois hypothèses. D'abord, il s'agit de l'espérance. Ensuite, il vient annoncer l'avenir. Enfin, il s'agit de l'âme des morts. Ces trois idées progressent et forment pour Lamartine un message cohérent : en effet la mort est à la fois un présage de l'avenir, et en même temps un espoir. car il songe rejoindre sa bien-aimée dans la mort.
La première personne revient deux fois en tête de vers : c'est ce qu'on appelle une anaphore rhétorique : deux vers commencent avec un même mot. Les sensations « je sens des transports » sont intimement liées aux pensées « je songe » Le poète est toujours au centre de la narration, il assume sa subjectivité.
La rime « aurore ... implore » est signifiante. Dans la mythologie grecque, Aurore est une déesse maudite par Vénus, et qui est condamnée à ne tomber amoureuse que de mortels. Elle voit donc mourir tous ceux qu'elle aime, tandis qu'elle reste seule.
Et dans ce poème paradoxalement la mort est associée à des sensations positives, qui sont maintenant liées au toucher. La délivrance, des transports, une sensation d'enveloppement, de proximité. La douleur qui est associée à la vie « cœur fatigué » s'oppose paradoxalement à une sensation de chaleur dans la mort « le cœur s'enflamme » qui est pourtant une métaphore habituellement réservée à l'amour. Cela s'explique en effet parce que le poète songe à « ceux qui ne sont plus ». Le rayon de lune rapproche le poète de sa muse disparue.
Cette méditation sur la mort est aussi une réflexion sur le temps et sur Dieu. La mort est désignée comme un jour qui ne doit pas finir, elle n'a pas le caractère fugace de la vie, elle est éternelle.
Plus importante que la vie, la mort est alors considérée comme une consolation pour ceux qui ont une vie malheureuse. En poète chrétien, Lamartine fait allusion à Dieu « une secrète intelligence » qui corrige les malheurs endurés sur terre. Le rayon devient symboliquement une émanation du paradis auquel le poète aspire.
Troisième mouvement :
Fin du poème, fin du poète ?
Ah ! si c’est vous, ombres chéries,
Loin de la foule et loin du bruit,
Revenez ainsi chaque nuit
Vous mêler à mes rêveries.
Ramenez la paix et l’amour
Au sein de mon âme épuisée,
Comme la nocturne rosée
Qui tombe après les feux du jour.
Venez !… Mais des vapeurs funèbres
Montent des bords de l’horizon :
Elles voilent le doux rayon,
Et tout rentre dans les ténèbres.
La rosée est encore une allusion au mythe d'Aurore, qui aurait tant pleuré la mort de son fils Émathion qu'elle aurait produit la rosée du matin. La rosée symbolise la tristesse du poète et participe au lyrisme lamartinien qui s'exprime à travers les éléments naturels de façon privilégiée.
Dans ces trois dernières strophes, les questions font place aux exclamations Ah ! … Venez ! … Le poète s'adresse directement aux morts avec une apostrophe « ombres chéries » il les implore avec des impératifs « revenez … ramenez … venez » on dirait que le poète lui-même est sur le point de mourir et de rejoindre ces âmes. La fin du poème est aussi le moment le plus dramatique, le moment de plus grande intensité.
La dernière strophe opère un basculement brutal. La phrase est immédiatement interrompue dès le premier mot « venez » avec les points de suspension. Puis le lien logique d'opposition « mais » renverse tout. Les rimes amour // jour positives et lumineuses laissent place à la rime funèbre // ténèbre, qui embrassent et du coup étouffent les rimes horizon et rayon. D'ailleurs, ce sont les bords de l'horizon qui sont obscurcis, ce qui renforce la sensation d'écrasement. Pour le poète resté seul, la vie est un poids.
Le phénomène est mystérieux, avec le déterminant indéfini « des vapeurs funèbres » qui désignent en fait les nuages qui viennent masquer la lune. Avec cette disparition, le poète revit symboliquement la perte de l'être aimé. Toutes les valeurs alors sont inversées. La vie prend les qualificatifs habituels de la mort : vapeurs funèbres, le voile qui fait penser à un linceul, les ténèbres. Éloigné de ceux qu'il aime, le poète reste seul, isolé dans la vie.
Conclusion
Dans ce poème, toutes les sensations et réflexions sont inscrites dans la subjectivité du poète. Lamartine développe une forme de lyrisme très personnel, qui se traduit dans un dialogue avec la Nature.
La parole du poète est ainsi mise en scène afin de mener une réflexion profonde sur le passage du temps, la brièveté de la vie et des moments heureux. Chez Lamartine, la poésie est un moyen privilégié pour mener une méditation philosophique et spirituelle.
Ce poème, Le Soir, montre bien comment Lamartine transfigure la Nature à travers la poésie pour faire passer ses émotions au lecteur. Le poète éprouve une mélancolie terrible depuis la mort d'Elvire, il aspire lui-même à la mort dans l'espoir de la rejoindre.
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